Claire Lommé, professeure de mathématiques en collège jusqu’en juillet dernier, est aujourd’hui coordinatrice ULIS. Aujourd’hui, elle fait le bilan de cette transition, elle explique son choix de changer de métier avant que « ça se délite ». Et elle rappelle le rôle fondamental des enseignants spécialisés : diffuser une philosophie, « celle du toutes et tous ensemble, pour de vrai, dans les faits ». « On n’y est pas, mais croyez-moi, de mon petit dispositif, j’y travaille dur. Et par les temps qui courent, l’inclusion, la cohésion, la tolérance comptent encore plus ».
Un an. Cela fait un an que j’ai quitté mon métier d’enseignante de mathématiques. Un an que je me suis engagée dans un autre métier, celui d’enseignante spécialisée. En juin 2023 j’apprenais que j’avais bien un poste en ULIS collège, et que j’avais obtenu le droit de partir en formation. A cette époque l’année dernière je déménageais ma classe. J’empaquetais, je scotchais un nombre déraisonnable de cartons remplis de livres, de matériels pédagogiques, de jeux. Aujourd’hui, nous avons réaménagé le coin lecture, avec les élèves, pour qu’il soit plus vaste : finalement ils l’ont bien investi. Ils s’y retrouvent pour discuter, ils s’y reposent, ils y lisent, ils y emmènent un rubiks cube pour se mettre au défi.
Cette année est passée à une vitesse incroyable. Elle a été très dense, voire épuisante, tant j’ai eu de choses à apprendre. Préparer le CAPPEI, passer le master 1 besoins particuliers, m’adapter à un nouvel établissement, et surtout devenir coordinatrice ULIS ont été autant d’aventures. Je suis heureuse de m’être engagée dans cette transformation. Je crois que je vais profiter à fond de mes vacances, pour préparer l’année à venir, car j’ai une myriade de projets, mais aussi pour me reposer, profiter de celles et ceux que j’aime.
Mon quotidien est très différent par rapport à mon ancien métier. Je vais garder 12 des 14 élèves du dispositif de cette année, et je les connais bien, à présent. J’ai mieux cerné leurs besoins. Cet été, je vais travailler à construire des contenus qui les amènent le plus loin, le plus haut possible. Cette année j’ai réussi à concilier travail individualisé et projets collectifs, en privilégiant les projets. J’aimerais continuer l’année prochaine, mais mieux. Je cogite, je remplis les pages de notes de mon agenda d’idées, et je m’appuie sur l’imagination de mon mari qui réfléchit aussi pour son propre dispositif.
Mon changement de cap est pour moi comme un aiguillage. Je reste enseignante, ce qui était fondamental pour moi. Dans la classe, toujours. Mais c’est long, une carrière. Les 30 années passées à enseigner, partager, diffuser les mathématiques exclusivement m’ont passionnées. Je suis partie à l’issue d’une année merveilleuse ; un de mes inspecteurs m’avait dit un jour « Reconvertis-toi quand tout va bien. N’attends pas que ça se délite ». C’est ce que j’ai fait.
L’année dernière a été la première année où je ne refaisais pas mes cours : ma programmation, ma progression et mes contenus me satisfaisaient. Ils fonctionnaient bien. Je n’ai pas aimé ça. J’ai besoin de défis, de matière à réflexion. J’en avais encore, évidemment, mais plus de la même façon. Ce qui me posait le plus de difficulté, c’était d’inclure tous les élèves en mathématiques. J’avais à enseigner à une malvoyante, deux autistes, trois allophones, une dyscalculique, deux dyspraxiques, un dysphasique et de nombreux dyslexiques. Alors là, j’avais une grande marge de progrès et des problématiques professionnelles robustes. Et puis il y avait notre parcours, en tant que parents d’enfant en situation de handicap, qui fait que je sais comme c’est difficile d’être scolarisé dans de bonnes conditions quand on n’est pas ordinaire. Sans des personnes formidables pour nous aider, un de nos enfants n’aurait pas été scolarisé jusqu’au bac. Je sais que le rôle des professionnels de l’éducation peut être crucial.
Être coordinatrice ULIS me permet de rester en classe, d’enseigner aussi les mathématiques, de découvrir la didactique de toutes les autres disciplines. Je dois être en lien avec les familles, les collègues, les professionnels de santé, les éducateurs, les personnels administratifs, les collectivités locales, des associations, et j’aime beaucoup faire du lien entre toutes ces personnes, en pensant toujours au projet et au développement de l’autonomie de l’enfant. Être coordinatrice ULIS me permet aussi de porter un projet de société, de diffuser une philosophie : celle du toutes et tous ensemble, pour de vrai, dans les faits. On n’y est pas, mais croyez-moi, de mon petit dispositif, j’y travaille dur. Et par les temps qui courent, l’inclusion, la cohésion, la tolérance comptent encore plus.
Claire Lommé