La parution récente par la DEPP (juin 2024) du document détaillé intitulé « Évaluation des compétences numériques en fin de troisième 2022, Résultats et analyses détaillées des items » vient compléter la note d’information n°23-45 de M’Bafoumou A., Pac S., Thumerelle J., 2023, « En fin de troisième, près de deux élèves sur trois ont une maîtrise satisfaisante des compétences numériques ». « Cette étude semble robuste et apporte une information importante que les enseignants pourront tenter de confirmer dans leur propre environnement scolaire » écrit Bruno Devauchelle, spécialiste du numérique éducatif. « Le constat de cette maîtrise confirme une évolution qui a longtemps fait question : quel est le niveau réel des élèves. Sans toutefois s’enthousiasmer sur de tels résultats (33% des élèves restent de côté dans ce domaine) reconnaissons une transformation progressive par une intégration des compétences numérique dès le collège ».
Un document précis et très éclairant
Le document détaillé publié en ce mois de juin est très éclairant, car, outre les données chiffrées détaillées qu’il donne à lire ainsi que les analyses associées, il permet d’avoir d’une part une compréhension plus fine de qui sont ces élèves et d’autres part quelles sont les compétences évaluées, dont il est considéré qu’elles sont essentielles, sorte de « socle ». C’est la présentation en cinq niveaux de compétences qui est particulièrement intéressante. Outre que les compétences de chaque niveau sont explicitées, on y lit aussi les différences selon les caractéristiques des élèves : secteur de scolarisation (incluant public et privé), le retard éventuel des élèves, le genre ainsi que l’indice de positionnement social des élèves. Il faut ajouter à cela la présentation détaillée des items soumis aux élèves, ainsi que les modalités de soumission qui permettront aux enseignants qui le souhaitent de procéder à l’évaluation de leurs élèves. Et cela est d’autant plus clair que chaque item d’évaluation est précisé et analysé. Signalons ici que malgré tout, 15% des élèves restent au niveau 1, ce chiffre est à mettre en parallèle avec les études sur l’illettrisme et l’illectronisme qui arrivent aux mêmes conclusions
Compétences scolaires complétées par des compétences numériques
Parmi ces résultats rapportés globalement dans la note 23-45, on note en particulier : l’équilibre des compétences entre filles et garçons, la confirmation du lien entre CSP, secteur de scolarisation (REP+) et compétences numériques. On relève aussi cette phrase qui est porteuse de sens « une relation entre les compétences des élèves en français et en mathématiques en sixième et les compétences numériques en fin de troisième ». Cette corrélation doit être analysée plus finement et de manière qualitative. On peut penser que ce rapprochement n’est pas sans poser de questions. C’est ce que tente de proposer le dispositif ELAINE (Évaluation Longitudinale des Activités liées au Numérique Éducatif) dont le rapport qualitatif (2021) apporte quelques éclairages. Même si cette étude est d’ampleur modeste en quantité, elle permet de mieux comprendre l’importance des dotations individuelles de matériels dans le développement des compétences numérique, mais aussi combien le numérique fait désormais partie du capital culturel.
Interdire, réguler les écrans ?
Au moment où l’OCDE publie un document intitulé « Élèves et écrans : performance académique et bien-être« , (mai 2024) et s’interroge sur la place à donner aux écrans à l’école, nous nous trouvons en présence d’une controverse qui a été récemment alimentée par la commission sur les écrans à la demande de la présidence de la république. D’une part, les élèves développent désormais des compétences numériques dont on connaît l’importance et d’un autre côté on remarque la multiplication des discours de crainte ou de méfiance face au numérique : faut-il interdire ou non ? C’est ce que ce texte de l’OCDE pose aussi à la page 8 : « pour lutter contre la distraction en milieu scolaire ». Il constate, pour ce qui est des téléphones portables que l’interdiction en milieu scolaire transfère à la sphère familiale les usages parfois plus importants des jeunes du fait de ces limitations sur temps scolaire. Et l’OCDE de préconiser : « les enseignants, éducateurs et parents doivent percevoir les bienfaits que la technologie apporte dans un contexte dynamique ou dans un cadre pédagogique, tout en imposant des contraintes de temps de manière à garantir une expérience d’apprentissage globale. ». On est toujours à la recherche des équilibres au sein de la famille et au sein des établissements scolaires, mais on ressent une certaine impuissance éducative. Les chiffres présentés par la DEPP confirment ce que l’on sait plus généralement sur le système scolaire français : il reste inégalitaire même dans le domaine du numérique.
Les compétences numériques, c’est désormais fondamental
Ce qui peut surprendre, c’est donc que, désormais, le développement culturel et scolaire des jeunes a clairement intégré le numérique au sein d’une culture qui articule aussi bien les supports traditionnels, les supports numériques, et plus généralement les apprentissages dits fondamentaux. Les promoteurs du socle commun de connaissance et de compétences ne s’y étaient pas trompés en mettant d’abord les compétences numériques au même niveau que les autres compétences traditionnelles. Elles ont ensuite été diluées dans les versions successives du socle, dont on doit reconnaître qu’il n’a jamais été respecté dans son déploiement complet et ses exigences « pour tous et toutes ». Les compétences numériques rejoignent donc les compétences dites fondamentales au rang de vecteurs d’insertion dans la société par le système scolaire. Cependant les dérives des comportements face aux écrans et avec les contenus vus et utilisés en particulier sur Internet, font douter une partie des décideurs quant au bien fondé d’une politique volontariste comme celle initiée en 2015 et abandonnée en 2018. Le mélange entre des considérations sociales et des considérations scolaires au détriment de ces dernières semble bien renforcer les inégalités scolaires. Reconnaissons désormais que les compétences numériques sont un élément fondamental de la culture contemporaine et agissons en conséquence.
Bruno Devauchelle