Quel professeur d’allemand n’a pas entendu l’argument « apprendre l’allemand, c’est (trop) difficile » ? Apprendre l’allemand n’est pas facile, certes. Mais apprendre est-ce toujours facile ? Apprendre une langue nécessite du temps, s’inscrit dans la durée, c’est un patient chemin semé d’erreurs. Mais quel sportif ou musicien ne s’est-il pas entrainé longtemps ? L’allemand est une langue qui s’apprend et qui se comprend. Son apprentissage peut s’appuyer sur un travail de comparaison, entre langue maternelle et étrangère, un travail de liens entre les langues anglaises et allemandes, c’est un travail de réflexion qui n’est pas intuitif. L’allemand est une langue qu’il faut expliquer, « erklären », pour que cela devienne « clair », « klar ». Expliquer, rend clair et éclaire « aufklären » : erklären, aufklären ». Voilà peut-être la mission de l’enseignant : expliquer, rendre clairs une langue, le monde, l’autre, soi-même, s’éclairer et éclairer. Le professeur enseigne, mais il éduque aussi : l’école est une fabrique de citoyenneté.
Apprendre l’allemand, c’est d’abord apprendre à comprendre
L’allemand est une langue qui doit se comprendre. Et comprendre une langue étrangère, c’est apprendre à mieux comprendre d’autres langues, le français ou l’anglais. Apprendre l’allemand, c’est faire des liens, non pas avec le français, mais avec l’anglais, « Mutter – mother », « Montag – monday », « Freitag – friday / Sonntag – sunday », « Milch – milk », « Honig – honey »… Toute langue étrangère résiste : apprendre une langue demande du temps. L’allemand nécessite d’avoir les règles du jeu en tête : les mots et groupes syntaxiques ont une place, une fonction dans la phrase, il faut le savoir et mettre les éléments à leur place selon. Il faut se poser des questions que l’on n’a pas à se poser en français sur la fonction d’un groupe (COD, complément de lieu?) pour les déclinaisons. Alors, oui ce n’est pas intuitif, en revanche, il y a des règles claires, qui une fois énoncées, se comprennent et peuvent s’appliquer.
Apprendre à se poser des questions, à s’interroger, à appréhender le temps long pour l’acquisition et la maîtrise de savoirs et de compétences ne relève-t-il pas d’une démarche essentielle aujourd’hui ? Apprendre l’allemand, c’est d’une certaine manière, ralentir, poser les choses, accepter des étapes adopter une démarche réflexive, dans une société d’accélération et qui tend au zapping. Apprendre à comprendre participe, à mieux comprendre le monde, soi et les autres.
Apprendre au collège ou aimer pour apprendre : mes élèves germanistes, « une petite famille »
Enseigner, c’est certes transmettre des connaissances, expliquer, mais c’est aussi une histoire de relation. J’ai vu mes élèves progresser mais aussi muer, pousser, changer d’amis, souffrir, rire, aimer, changer. Enseigner est un merveilleux poste d’observation. Même si nous ne disons pas tout ce que l’on voit, nous voyons et nous savons souvent – tôt ou tard- ce qui se passe dans la tête ou dans le cœur des nos élèves. Les quatre années de collège ne sont souvent pas un long fleuve tranquille ; ce sont des émois, personnels, familiaux, amicaux. Car bien sûr, nous savons que cela joue sur le reste : « le reste », c’est-à-dire aussi le sens de notre métier : les apprentissages (faire) apprendre.
Je connais mes élèves, leurs points forts et réussites, leurs fragilités. C’est l’heure du dernier cours avec mes élèves de 3e, celles et ceux que j’ai parfois l’impression d’avoir vu grandir. Je me souviens encore de leur arrivée en 6e, au sortir de l’école primaire, à l’heure où ils vont prendre le chemin du lycée. Mes élèves de 3e dont je vais souvent à la rencontre dès le CM2, lors de séance de sensibilisation de l’allemand. Le seul privilège du professeur d’allemand est peut-être celui de pouvoir suivre ses élèves durant leurs années collège. Ces quatre années sont propices à construire un lien, une relation pédagogique, qui est souvent au cœur des apprentissages.
C’est frappant comme cette classe de 3e a insisté tout au long de l’année sur leur sentiment d’être « une petite famille », celles des élèves germanistes. Et ce sentiment, je crois, leur a fait apprécier de se retrouver en cours d’allemand et a apporté du plaisir. Le plaisir est un facteur clé pour apprendre. Comme pour enseigner d’ailleurs.
Mes élèves m’ont fait un beau cadeau en me remerciant pour les cours d’allemand et me rappelant, avec humour, quelques-unes de mes marottes, mais aussi en me remerciant pour les « leçons de vie ». Je les quitte, avec un sentiment du devoir accompli, et un pincement au cœur.
Merci mes chers élèves. Pour ces quatre années où nos rendez-vous étaient des moments de plaisir. Merci l’un pour ta curiosité, tes progrès, ou encore toi, pour ton humour, merci un autre pour avoir levé ton regard timide vers moi, jusqu’à l’abandonner, toi pour ta franchise, toi pour ta nonchalance, toi pour avoir partagé ardeur et bonne humeur.
Merci pour votre curiosité et pour votre confiance.
Djéhanne Gani