Le dernier numéro d’Edubref s’intéresse à l’orientation des élèves, processus complexe et souvent critiqué pour ses implications socio-économiques. Apolline Sauvage Y explore comment les réformes récentes, les dynamiques sociales et les défis émotionnels façonnent les trajectoires éducatives des élèves en France.
La réforme du bac Blanquer et ses conséquences
Depuis la réforme Blanquer du baccalauréat général de 2018, les élèves doivent choisir trois spécialités en Première pour n’en conserver que deux en Terminale. Cette obligation de spécialisation précoce restreint leurs opportunités futures et intensifie les incertitudes vocationnelles confirme Apolline Sauvage. Cette réforme a aussi complexifié l’organisation scolaire et a exacerbé les disparités entre établissements, certains ne pouvant pas offrir toutes les spécialités disponibles.
Les données exploitées par la chercheuse montrent que les choix de spécialités sont fortement influencés par l’origine sociale des élèves. Les enfants d’origine aisée sont surreprésentés dans les filières générales et scientifiques, tandis que les enfants des milieux populaires se dirigent plus souvent vers les filières technologiques et professionnelles. Ce phénomène s’explique en partie par le prestige symbolique et la fermeture sociale de certaines filières. Les formations scientifiques, perçues comme plus prestigieuses, accueillent principalement les élèves les plus performants académiquement et socialement avantagés, tandis que les filières artistiques et littéraires sont souvent vues comme des refuges pour les élèves moins performants.
La réforme a également introduit le contrôle continu comptant pour 40% de la note finale du baccalauréat, modifiant ainsi la dynamique des évaluations et renforçant l’éclatement des groupes classes. Ce nouveau système, présenté par Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale, comme au service de la baisse de l’échec dans l’enseignement supérieur, a engendré de nouvelles formes d’inégalités, notamment en raison de la variabilité des moyens et des ressources entre établissements.
Orientation sous contrainte
L’orientation scolaire ne se limite pas à des choix d’études basés uniquement sur la performance scolaire des élèves. Elle est également le reflet d’une stratification sociale des filières, renforcée par les récentes réformes du baccalauréat explique l’autrice. Les élèves des milieux favorisés ont tendance à choisir des filières perçues comme prestigieuses, tandis que ceux des milieux défavorisés sont souvent orientés vers des filières moins valorisées.
Apolline Sauvage s’intéresse aussi à l’impact émotionnel des choix d’orientation. Les sentiments d’enthousiasme, d’angoisse, de colère et de frustration sont fréquents, en fonction des caractéristiques socio-économiques des élèves relate-t-elle.
Les incertitudes vocationnelles, accentuées par la précocité des choix de spécialisation imposés par la réforme, mettent en lumière la difficulté pour de nombreux élèves de suivre un parcours linéaire et définitif. Cette situation est particulièrement problématique pour les élèves issus de milieux défavorisés, qui ressentent souvent une pression accrue et un manque de soutien adéquat.
Dans l’enseignement supérieur, la hiérarchie sociale des filières se poursuit. Les classes préparatoires et les grandes écoles sont principalement choisies par les élèves des classes supérieures et ceux ayant de meilleurs résultats scolaires, tandis que les sections de technicien supérieur (STS) et les instituts universitaires de technologie (IUT) accueillent un public socialement moins favorisé et moins performant sur le plan scolaire. Les universités, avec leurs filières variées, jouent un rôle particulier, accueillant à la fois des filières élitistes et d’autres moins prestigieuses, ce qui contribue à une hétérogénéité des publics.
Réforme du baccalauréat, ParcourSup, mesures du choc des savoirs… Depuis 2017, les mesures prises entérinent et aggravent la sélection, mettant à mal l’avenir de centaines de milliers d’élèves issus des milieux les moins favorisés – et cela en « même temps » qu’est tenu un discours affichant la volonté de combattre les inégalités…
Lilia Ben Hamouda