Ces derniers mois ont vu se multiplier des débats parfois violents sur l’usage de certains mots, créant des lignes de fracture entre les un.es et les autres. Débats stériles ? Sans doute, lorsqu’ils aboutissent à perdre de vue les faits pour ne plus disputer que « désémantisation » ou « resémantisation », mais pas seulement. Car ils disent aussi combien les mots engagent, combien ils pèsent et sont lourds de conséquences. C’est justement ce poids des mots que l’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé·e·s (AJAR) étudie dans un « Kit : Outre-mer » accessible en ligne…
L’objectif de l’AJAR est en effet de proposer des éléments de définition et vocabulaire qui reviennent sur l’histoire et le sens de certains termes afin de « mettre en lumière » et de déconstruire les « différents biais » racistes qu’ils diffusent, et d’éviter les chausse-trapes qu’ils tendent. Quoique destinée aux professionnel.les de l’information, cette démarche n’intéressera pas que les journalistes, mais aussi, à, coup sûr, les enseignant.es dans leurs pratiques et dans le travail de décryptage qu’elles et ils peuvent mener au quotidien avec les élèves, entre « continent pauvre » ou « continent paupérisé », « découvertes » ou « colonisations ».
Parmi les éléments de réflexion proposés, on pourra retenir un certain nombre de questionnements à aborder. Pourquoi les expressions « Indiens d’Amérique » ou « Amérindiens » posent-elles problème ? Que désignent en linguistique les langues créoles, « langues aussi riches et complexes que n’importe quelles autres langues » ? Pourquoi est-il préférable de parler d’ « esclavagisé » plutôt que d’ « esclave » ? Quels problèmes pose l’emploi du mot « Métropole » ? Faut-il lui préférer celui d’ « Hexagone » ou de « France continentale » ? Pourquoi le mot « ultramarin » installe-t-il selon Patrick Chamoiseau « une notion de centralité de métropole » ? …
Dans une seconde partie, le Kit analyse « le traitement médiatique consacré à la couverture des Outre-mer et ses biais racistes ». Activité aisément, elle aussi, transposable en classe, et riche d’enseignements. L’association pointe tout d’abord du doigt l’invisibilisation des Outre-mer qui pâtissent d’« une faible représentation des journalistes originaires des Outre-mer dans les rédactions », et d’« une forte invisibilisation dans l’actualité au quotidien des Français » ; elle met par ailleurs en évidence « les biais racistes et le prisme colonial » fréquents dans le traitement de l’actualité ultra marine, notamment par le recours récurrent à des formulations telles que « Qu’apportent ces territoires lointains à notre pays ? » qui laissent entendre que « les départements ultramarins ne font pas partie de la France », ou « La France peut-elle encore tenir ses Outre-Mer ? », rappel plus ou moins impensé du « rapport de domination entre la France hexagonale et ses anciennes colonies ». Méconnaissance géographique, angle sécuritaire systématique sont notamment aussi évoqué.es, pistes intéressantes à exploiter, à nouveau, en classe, tout comme les contre-exemples de « bonnes pratiques », car elles existent, mises en place par certaines rédactions.
Un Kit à découvrir et exploiter, qui apporte, alors que l’on vient de commémorer l’abolition de l’esclavage, « des clés de compréhension », et aide à entrer dans un « traitement de l’actualité antiraciste, plus respectueux et plus juste ».
Claire Berest