Enseigner l’histoire dans les quartiers populaires c’est faire, à un moment ou un autre, le constat douloureux que les élèves se sentent éloignés de l’histoire qui leur est transmise. Alors comment faire entrer les élèves dans l’histoire ? Comment leur faire prendre conscience qu’elle se pratique au quotidien et qu’ils en sont tous des acteurs?
Inclure l’histoire des quartiers populaires au récit national
Ce sont ces questions qui ont amené des enseignant·es d’histoire géographie du secondaire, des chercheur·euses en histoire et en sciences sociales et des archivistes à créer l’AMuLoP, l’Association pour le Musée du Logement Populaire. Son projet est ambitieux, créer un musée au cœur de la Seine st Denis afin d’inclure pleinement les quartiers populaires au patrimoine du grand Paris et au récit historique national. Une ambition qui a aussi pour intention de changer les représentations qui stigmatisent trop souvent ces banlieues et rendre leur dignité aux habitant·es de ces quartiers en restituant leur histoire.
Au travers d’une muséographie et d’une scénographie modernes, adaptées à toutes et tous, et qui prend ses racines dans une approche avant tout didactique, il s’agit de faire l’histoire du quotidien des habitant·es des quartiers populaires à travers le prisme du logement. Une histoire sensible, incarnée, vivante et immersive, in situ. Le projet se veut participatif en faisant entrer les populations de ces quartiers dans la démarche de collecte de témoignages mais aussi dans la construction des expositions.
Expérimenter la scénographie et la démarche didactique : mener des enquêtes historiques pour raconter la vie quotidienne des habitants d’un immeuble
En attendant de trouver le lieu définitif, le collectif a déjà réalisé une exposition dans la cité Emile Dubois ou « cité des 800 » à Aubervilliers, La vie hlm Histoires d’habitant·e·s de logements populaires. Aubervilliers, 1950-2000, afin de tester la démarche didactique qu’il souhaite mettre en œuvre : in situ, raconter par une approche micro-historique la vie quotidienne des habitant·es d’un immeuble populaire (la barre Grosperrin) pour aborder des problématiques socio-historiques plus larges. Pour cela, les dispositifs pédagogiques et muséaux doivent placer les élèves dans une démarche d’enquête historique. 2567 élèves, de l’école à l’université, venant d’Aubervilliers et d’autres communes de Seine st Denis, ont eu l’opportunité de visiter l’exposition. Ce fut pour eux l’occasion de participer à des ateliers pédagogiques qui les amènent à retracer l’histoire des gens ordinaires par la micro-histoire et donc la consultation d’archives variées afin de tracer le fil de leur vie et de leur trajectoire. Les élèves devaient ainsi reconstituer le parcours d’une personne ayant réellement habité la barre et l’inscrire, par l’intermédiaire de frises chronologiques grands formats, dans un contexte historique plus large, tant au niveau local qu’international. Pour scénariser le travail d’enquête, les élèves étaient mis en situation : ils appartenaient à une commission qui devait choisir un·e habitant·e pour être exposé·e dans le futur musée. Ainsi, chaque groupe d’élèves devait présenter « son » habitant et défendre, par une argumentation historique construite, la légitimité de sa place dans l’exposition. Un bon moyen de les faire travailler, sans même s’en rendre compte, les compétences de l’oral tout en apprenant à raisonner et justifier leur choix. L’exposition elle-même, ouverte à tous les publics, offrait la possibilité de visiter deux appartements avec deux objectifs différents. Le premier, à travers la reconstitution de l’intérieur de la famille Croisille en 1967, permettait une visite immersive tournée vers une histoire sociale mais aussi sensible et culturelle, alors que le second était davantage tourné, par sa mise en scène, vers les archives et les questionnements de l’historien et invitait chacun à l’enquête historique.
Eviter l’assignation identitaire
Le risque d’assignation identitaire et géographique propre à ce genre de démarche d’enquête est totalement conscient chez les membres du collectif qui questionnent les moyens de l’éviter. Si les allers-retours entre le passé et le présent, l’histoire individuelle et l’histoire collective sont recherchés pour favoriser l’émancipation des jeunes par la connaissance de leurs origines, il ne s’agit pas de réduire les élèves à une identité. Pour cela ils s’obligent, dans toutes les démarches pédagogiques engagées, à systématiquement avoir un regard critique, pluriel et croisé sur les pratiques mises en œuvre. Ici réside l’intérêt d’associer des enseignant·es du secondaire et des chercheur·euses en sciences sociales ou en didactique. Afin de rendre les élèves pleinement acteur·rices de la démarche, la réflexion pédagogique tend aussi à inclure pleinement les élèves dans une recherche participative. Il s’agit d’identifier les objets de recherche avec eux, de les inviter à définir les hypothèses et de partir de leurs savoirs personnels. C’est donc dans un rapport de transmission horizontale dans lequel les savoirs sont croisés que l’association pense pouvoir favoriser la construction d’un savoir collectif, inclusif, critique et par conséquent émancipateur.
Prolonger la réflexion et la démarche en classe
Pour cela, Elodie Paillet, membre active du collectif et professeure au collège Guy Môquet à Villejuif, participe cette année au Festival d’histoire populaire de Créteil, organisé en partenariat avec le master histoire publique de l’Université Paris-Est Créteil et les archives de la ville. Dans ce cadre, avec un historien et un sociologue de l’association, elle a invité ses élèves à se questionner sur l’histoire des habitant·es de leur quartier. Pour cela, conjointement, élèves et professionnels ont élaboré un recueil d’entretiens pour interroger des témoins. Par petits groupes, ils se sont mis d’accord sur quatre thématiques : parcours résidentiel et migratoire, le travail et ses activités, les objets de la vie quotidienne et le logement passé et actuel. Chaque élève, comme un apprenti historien, partait ensuite en quête de son témoignage, soit dans sa famille, soit dans son quartier. A partir du recueil de toutes ces histoires locales, en classe, l’enseignante atteint aussi des objectifs civiques : faire découvrir un territoire proche et faire émerger et valoriser son histoire, souvent méconnue des élèves. Ces micros-histoires lui permettent aussi de monter en généralité et faire de ces objets d’histoire locale un objet plus complexe. Le passage par les parcours ordinaires des habitant·es du quartier lui permet d’amener les élèves à questionner des points de programme plus larges.
Ainsi, par l’enquête, l’histoire est incarnée aux yeux des élèves, qui s’investissent dans la construction de leur savoir et se l’approprient plus naturellement. En utilisant les ressources locales, via un partenariat avec les archives, la fabrique de l’histoire prend du sens. Dans un rapport pédagogique horizontal, la professeure, accompagnée de chercheurs, accompagne les élèves dans la construction de leur savoir, le mettent en lien avec l’histoire de leur territoire et de leur environnement proche et le connectent à une histoire nationale et mondiale. L’ensemble de ce travail est ensuite mis en valeur dans des panneaux d’exposition, qui, par l’intermédiaire de QR codes, permettent de faire entendre les témoignages recueillis par les élèves. Ils sont exposés le temps d’un week-end aux archives de Créteil dans le cadre du festival puis, au collège, où les enquêté·es sont invité·es à venir découvrir leur histoire à travers le travail des jeunes de leur ville. Le lien entre les élèves et leur quartier est renforcé.
Laetitia Benbassat
NB :L’Amulop propose des ateliers pédagogiques sur l’apprentissage des démarches de l’enquête historienne à partir des trajectoires d’habitants à tous les collègues de la région parisienne.