Aujourd’hui, lundi 6 mai, c’est journée morte dans les INSPE (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation). Formateurs et formatrices se mobilisent pour s’opposer à la réforme des concours de l’enseignement et de la formation des enseignant. À travers le pays, des motions sont adoptées et des actions organisées. À Paris, deux conférences avec le chercheur Xavier Pons et la chercheuse Anne-Anne Chartier éclaireront sur les enjeux de la formation des enseignant·es dès 11 heures. À Carcassonne, les personnels mobilisés ont rédigé cette tribune. Ils et elles partagent leurs inquiétudes avec les lecteurs et lectrices du Café pédagogique.
Nous, personnels de la Faculté d’Éducation du site de Carcassonne, dans l’Aude, réunis en collectif, souhaitons exprimer notre profond mécontentement et notre vive inquiétude suite aux annonces de réforme des concours de recrutement et de la formation des futurs professeurs des écoles de nos enfants. Cette réforme, mal préparée, se voudrait imposée par voie d’annonce médiatique, sans concertation des principaux intéressés, dans le plus grand mépris des étudiants qui en subiraient le calendrier intenable. Cette réforme devrait, en outre, s’appliquer comme par magie, dès la rentrée, pour un concours sorti du chapeau au printemps 2025. Nous refusons ce passage en force.
Cette formation des professeurs des écoles, nous la menons avec conviction et engagement au quotidien. Nous avons dans ce domaine une expertise sur laquelle nul n’a jugé utile de s’appuyer pour mener et appliquer une réforme dont nous ne connaissons ni les tenants, ni les aboutissants, ni même les contenus. Y a-t-il par hasard un texte écrit qui nous aurait échappé ? Autre chose que des propos tenus lors de la visite d’une école retransmise à la télévision ? Nul ne le sait.
Cette formation mystère, par ailleurs, nous ne pourrons plus bientôt la mener dans nos territoires, tant la réforme prévue en l’état menace la survie des établissements de formation des villes modestes, comme la nôtre, celle de Carcassonne. Or, on sait combien cette présence de l’enseignement supérieur au cœur des ruralités est essentielle, surtout pour les jeunes gens dont les moyens financiers sont insuffisants pour étudier loin de leur lieu de vie.
Mais réfléchissons, ne soyons pas obtus et étudions un peu le projet : avant d’intégrer la solution miracle d’une école normale du XXI° siècle, l’étudiant pourra, nous dit-on, intégrer une nouvelle licence préparant au métier. Dans notre Université, celle de Montpellier, et sur notre site, celui de Carcassonne, cette licence existe déjà. Il semblerait que personne ne s’en préoccupe. Non. En lieu et place de licences déjà créées par les Universités de France, qui ont des qualités avérées, qui bénéficient d’accréditations officielles, et que personne, étrangement, n’a voulu évaluer avant de réformer le tout, en lieu et place de cela, donc, une nouvelle licence spécifique est créée. Fort bien. Vous voudriez vous y inscrire ? Impossible, elle n’existe pas. Qui la créera ? aucune idée. Faites donc sortir le lapin du chapeau.
Nous sommes en colère. Nous avons à cœur, chaque jour, de préparer la réussite de nos étudiants aux concours et d’accompagner leurs premiers pas dans un métier dont on sait combien les enjeux du monde contemporain le rendent difficile. Ce concours est modifié dans les grandes largeurs. De quelles informations disposons-nous, à quatre mois seulement de sa mise en œuvre ? De guère mieux qu’une coquille vide, non officielle de surcroit, évoquant essentiellement des durées d’épreuve. D’un squelette indigent de projets de nouveaux programmes, en français et en mathématiques. Et, miracle, d’un diaporama ayant malencontreusement fuité. Toujours l’histoire du lapin et du chapeau.
A la lumière de ces bribes, que peut-on dire ? Qu’attend-on des futurs enseignants de l’École Publique en charge de nos enfants ? de vos enfants ? Qu’ils viennent combler, comme ils le pourront, le manque cruel de personnels qualifiés, de plus en plus difficile à cacher, surtout dans les lieux oubliés, banlieues et autres territoires ruraux, dont nous sommes.
Toutefois, reconnaissons-le, cette réforme des concours de l’enseignement et, par extension de la formation des étudiants qui ont encore le courage et la volonté de croire en notre métier, a le mérite de revenir sur une précédente réforme, la dernière en date, à laquelle nombre d’enseignants, de formateurs et de professionnels de l’éducation étaient d’ailleurs opposés, tant dans les rectorats que dans les universités. De quelle façon analyse-t-on cet échec ? On ne l’analyse pas. On revient en arrière, on ne tire aucune leçon de nos erreurs, on continue, vite, à marche forcée, la communication n’attend pas.
Or, si nous ne nous opposons pas au déplacement du concours en fin de troisième année de licence, nous refusons catégoriquement le calendrier intenable qui contraindrait nos étudiants à mener au pas de charge une troisième année d’études au cours de laquelle ils auraient six mois à peine pour se préparer tant bien que mal à des épreuves dont les contenus ne sont toujours pas connus à ce jour et dont les exigences sont plus que floues. Nous manquons d’enseignants ? Qu’à cela ne tienne, recrutons-les plus tôt, appâtons-les d’une obole et le problème sera, comme par magie, résolu. Mais les lapins, nous insistons, ne sortent pas des chapeaux. Tenter de colmater la brèche des recrutements insuffisants, toujours à court terme, en contraignant l’ensemble du système et de ses acteurs à un timing intenable, nous paraît quelque peu contre-productif et accessoirement manquer d’intelligence, si tant est qu’il s’agisse d’une qualité importante en matière d’éducation.
Si éventuellement quelqu’un s’avisait de poser la question à un formateur, une formatrice, dont l’enseignement et la formation est le métier, que dirait-elle, que dirait-il ?
Probablement que l’un des points forts de la formation des enseignants actuelle est la possibilité pour les étudiants de confronter les connaissances issues de la recherche en didactique des disciplines, en sciences de l’éducation et psychologie de l’enfant avec les pratiques variées d’enseignants expérimentés sur le terrain, et de se créer pas à pas un véritable chemin professionnel, efficace et cohérent. En clair ? Le rôle des universités, celui des rectorats, ne sont pas opposables mais complémentaires et tous deux essentiels.
Les jeunes enseignants ont besoin de se construire pour mener à bien la réussite et veiller à l’épanouissement des élèves dont ils ont la charge. Pour ce faire, ils ont tout autant besoin de l’expertise du terrain et de bonnes pratiques que de la réflexion sur leur action, rendue possible par l’accès à la recherche universitaire. Idée à laquelle les concepteurs de réformes feraient peut-être bien, eux aussi, de réfléchir.
L’École n’est pas le lieu du court terme ni celui des annonces médiatiques. Elle n’a pas à être utilisée ainsi. Il faut défendre l’École Publique. Il faut former correctement ses enseignants.
Pour cette raison, nous participerons, contre la réforme annoncée, à la journée de mobilisation des INSPE de France, le lundi 6 mai 2024.