Il y a bien sûr une sempiternelle nostalgie du « c’était mieux avant », nostalgie pas toujours nourrie d’une pensée réactionnaire, mais une forme de réaction presque naturelle au changement, qui s’accélère peut-être de génération en génération. Cette forme d’incompréhension ou de refuge dans le connu appartient à chaque génération, c’est une querelle ancestrale, au sein des familles entre les enfants et leurs parents, comme au niveau collectif et politique. Cependant au-delà de cette mécanique générationnelle, nous assistons davantage aujourd’hui à l’approfondissement du fossé social qui vient exacerber une peur de la jeunesse, et plus particulièrement la jeunesse populaire. Et cela est clairement visible sur les bancs de l’École, qui peine à rassembler nos enfants, les enfants de la République. L’École est de plus en plus ségréguée et le fossé social se creuse entre l’école publique et l’école privée. Sans rencontre de l’autre, sans la richesse de la diversité, sans la connaître, comment dès lors faire nation ?
Mais une peur justifiée : la bombe du séparatisme social
Le séparatisme scolaire fait naître des sentiments d’injustice et d’inégalité chez les élèves. Ils voient et comprennent très bien ce qui se joue : l’évitement, la ghettoïsation, et pour certains la discrimination. Ils savent et comprennent qu’ils sont craints, relégués, voire qu’ils ne sont pas aimés. Aujourd’hui le discours politique stigmatise les jeunes des quartiers populaires, relégués dans des quartiers et écoles de plus en plus ségréguées. Mais quelle politique est mise en œuvre pour désenclaver ces établissements ghettos ? Si parfois des collectivités s’emparent avec volontarisme du sujet, ne serait-il pas temps de légiférer, d’adopter un cadre législatif qui apporte plus de mixité ? Car oui, la ségrégation, résidentielle, sociale comme scolaire est un problème politique majeur. Ce que la jeunesse attend, n’est-ce pas que l’État réponde à cette urgence sociale et politique et à leurs attentes, qu’il freine la spirale de l’échec scolaire d’une École au modèle élitiste, qui peine à se transformer ?
Une jeunesse maltraitée et qui a peur
Ce modèle génère un sentiment de défiance, d’injustice et de colère pour celles et ceux de l’entre-soi subi et d’autre part, une angoisse, corollaire de la mise en concurrence ou de l’ignorance de l’autre pour les jeunes de l’entre-soi choisi. Ce processus social et politique qui s’approfondit est un danger pour la République.
Toutefois, de part et d’autre, ne s’agit-il pas que de malaises et de maltraitances dans la jeunesse : dans des lycées professionnels ségrégués qui accueillent majoritairement des enfants issus de milieux socialement défavorisés et immigrés comme dans des lycées généraux avec des élèves angoissés, mis sous pression et en attente par Parcoursup ? Cette maltraitance rejaillit sur les familles, qui partagent les tourments de leur enfant et qui, pour certaines, dès l’entrée dans le système scolaire se demandent si “être un bon parent” va se conjuguer avec “être un bon citoyen”, car un “bon parent” veut la meilleure école pour son enfant et en vient parfois à fuir le collège du quartier, avec l’appui d’un système concurrentiel au détriment de son école publique et de sa « bonne conscience ».
La peur du déclassement, d’une planète en feu, la logique libérale de sélection et de mise en concurrence insécurisent les jeunes, les citoyens qui ne se sentent plus protégés par l’État. L’État devrait inspirer de la confiance, seule assise d’autorité. La confiance est adhésion volontaire, quand l’obéissance ou la docilité sont des réponses à une contrainte ou un ordre, pas forcément légitimé. L’autorité n’est pas l’autoritarisme ou la violence.
La peur : le venin de demain
Le fantasme d’« une jeunesse qui se tient sage », n’est-ce pas la réponse à la peur des « anciens » devant l’énergie et le changement, pourtant nécessaire ? N’est-ce pas l’apanage de chaque génération que de défier la génération antérieure ? La question de la légitimité des pères à donner des leçons se pose peut-être à l’ère de « metoo », révolution féministe, du réchauffement climatique. Quel avenir leur promet ou leur offre le fruit de la politique libérale, du credo de la croissance, de la consommation, de la terre brûlée et du profit ?
La peur qui est instrumentalisée, voire fabriquée, à des fins politiques est le venin de demain, car ce sont des générations de jeunes qui font l’expérience d’une relation dégradée aux autres, par la ségrégation scolaire et sociale, d’une relation dégradée aux institutions, voire de l’État. Une politisation qui se fonde sur la défiance, une violence symbolique ou réelle, la peur est explosive avec des effets durables sur notre démocratie.
Une jeunesse populaire mal aimée et maltraitée
Il fut un temps où l’on parlait de « classes laborieuses, classes dangereuses ». On retrouve cet amalgame, héritage d’une vision et tradition bourgeoise, mais augmentée avec une peur de la jeunesse populaire.
La peur de la violence intensifiée des jeunes est-elle justifiée ? Non, à voir les chiffres et les études, la jeunesse n’est pas plus violente. Alors pourquoi ? Que sert le relais médiatique de ces « opinions », ou de faits divers puisqu’il ne s’agit pas de faits ou d’une vérité attestée par les faits et les chiffres si ce n’est la fabrique de peurs et de « vérités alternatives » ? Si ce n’est insuffler des équations dangereuses entre jeunesse populaire et violence, délinquance et jeunesse des quartiers populaires, puisque cette jeunesse est stigmatisée, celle des établissements REP, celle des quartiers populaires et des banlieues ? Et quand on sait que cette jeunesse est issue de l’immigration, comment ne pas y lire un discours qui vient alimenter ou justifier les peurs, et son corrélat le rejet de l’autre. À quoi servent ces discours de criminalisation ou de moralisation réactionnaire, si ce n’est nourrir le ventre encore et toujours fécond de la bête immonde ?
Djéhanne Gani