34 chef·fes d’établissements interpellent la ministre de l’Éducation nationale. Ils et elles estiment que les contraindre à mettre en place le choc des savoirs, « avec une pression à peine dissimulée », revient à leur demander de « renier » leur « éthique », leur « déontologie » et « les principes républicains » auxquels ils sont attachés. Le Café pédagogique publie leur tribune en exclusivité.
Madame la Ministre de l’Éducation,
Par l’arrêté du 15 mars 2024, vous nous demandez de mettre en place le choc des savoirs et d’organiser les groupes de besoins
Sachez, Madame la Ministre, que nous, fonctionnaires d’État, professionnels de l’Éducation, sommes très attachés à la mixité scolaire que nous considérons comme un principe républicain. Pour nous, les groupes de besoins entérinent une forme de tri scolaire qui est contraire à nos valeurs républicaines. En instaurant le choc des savoirs, vous nous demandez de poser des actes qui sont contraires à notre déontologie.
Sachez, Madame la Ministre, que nous, fonctionnaires d’État, professionnels de l’Éducation, partageons le constat que le système éducatif français est inéquitable et qu’il ne permet pas la réussite de tous. Or, chaque élève est différent. Tout l’enjeu de l’autonomie des établissements scolaires est de pouvoir répondre aux besoins spécifiques des élèves en fonction du contexte local, notamment par les pratiques coopératives et la différenciation pédagogique. Supprimer cette autonomie, réunir tous les élèves en difficulté dans un même groupe, entrave lourdement leurs possibilités de réussite scolaire.
Sachez, Madame la Ministre, qu’instaurer le choc des savoirs et mettre en place les groupes de besoins revient à déconstruire toute l’organisation pédagogique que nous avons élaborée avec les enseignants dans nos établissements scolaires. En instaurant le choc des savoirs, vous nous demandez de désavouer les dispositifs pédagogiques locaux auxquels nous avons nous-mêmes participé en qualité de premiers pilotes pédagogiques de l’établissement. Cela revient à nier les capacités d’ingénierie pédagogique des enseignants et nous conduira à générer du mal-être en opérant des arbitrages pédagogiques qui ne sont pas les nôtres. Sachez, Madame La Ministre, que cela est contraire à notre éthique professionnelle.
Sachez, Madame la Ministre, que balayer la construction pédagogique déjà existante est ressenti pour nous, fonctionnaires d’État, professionnels de l’Éducation, comme une forme de déni de notre capacité de pilotage pédagogique, un manque de confiance flagrant dans nos capacités à mobiliser les équipes vers la réussite des élèves. Sachez, Madame La Ministre, qu’en nous demandant de regrouper les élèves à besoin dans un même groupe, vous nous demandez aussi de dire aux parents, en les regardant dans les yeux, que c’est pour le bien de leur enfant. Vous nous demandez aussi de répondre aux objections des familles en justifiant des décisions qui ne nous appartiennent pas. Madame La Ministre, nous, fonctionnaires d’État, professionnels de l’Éducation, exerçons un métier humain. Sachez qu’il va nous être impossible d’apporter les justifications sincères à la mise en place de ce dispositif. Les formations à la communication ministérielle dont nous allons bientôt bénéficier n’y changeront rien.
Sachez, Madame la Ministre, que le dispositif du choc des savoirs, construit sans aucune concertation, se heurte à de nombreuses contraintes qui le rendent totalement inopérable dans beaucoup d’établissements. Ces contraintes sont celles de la disponibilité des salles liées aux alignements des enseignements qui complexifient les emplois du temps et celles de la disponibilité des enseignants. Dans beaucoup de collèges, le manque d’enseignants est déjà une réalité. La mise en place des groupes de besoins va conduire à la situation délicate où la majorité des élèves seront dans des groupes à 30 quand les élèves à besoins seront stigmatisés dans des groupes allégés.
Sachez, Madame la Ministre, que dans beaucoup de nos établissements, les parents expriment un refus massif des groupes de besoins. La difficulté à trouver des professeurs principaux de 6e et de 5e, dont la mission est souvent confiée aux professeurs de français et de mathématiques, ainsi que la dislocation partielle des groupes classes dès la fin du mois de septembre suscite des inquiétudes légitimes pour le bien-être des élèves dont la scolarité au collège comprend aussi l’apprentissage de la vie sociale et du bien-vivre ensemble.
Depuis plusieurs années, les autorités ministérielles ont privilégié la communication médiatique au détriment du temps long de la co-construction éducative. Ces orientations nous ont conduit à poser des actes qui ne reposaient sur aucun texte réglementaire au moment où ils ont été pris. Ainsi, la loyauté envers les autorités ministérielles nous met en porte à faux vis-à-vis du respect des principes républicains de la décision publique et engage notre responsabilité de fonctionnaires d’État. Dans certains de nos établissements, des parents menacent de mettre en cause notre responsabilité pour les actes qui ont été posés sans fondement réglementaire. Sachez, Madame la Ministre, qu’à l’avenir, nous, fonctionnaires d’État, ne souhaitons plus engager notre responsabilité de la sorte.
Devenir des exécutants de dispositifs préconstruits retire tout le sens à nos métiers et contrevient à toutes les recommandations de bonne gouvernance des organismes internationaux portées par la recherche universitaire. C’est en accordant davantage d’autonomie pédagogique aux établissements scolaires que les systèmes éducatifs augmentent leurs performances en termes de réussite des élèves. Sachez, Madame La Ministre, que nous sommes soucieux du respect de la hiérarchie des normes réglementaires, notamment les décrets n° 2014-1377 du 18 novembre 2014, art 30 et n° 2016-1063 du 3 août 2016, art 2 ainsi que l’article R 421-20 du Code de l’éducation. Sachez Madame la Ministre, que nous, fonctionnaires d’État, professionnels de l’Éducation sommes très attachés aux marges d’autonomie dont disposent les établissements scolaires pour répondre aux besoins des élèves dans le respect des attendus nationaux. La diversité de nos projets d’établissements, Madame la Ministre, sont autant d’exemples et de preuves de mise en place de solutions innovantes adaptées aux contextes locaux.
La mise en place du choc des savoirs va à l’encontre des valeurs auxquelles nous croyons, qui ont été déterminantes dans les choix professionnels qui nous ont conduit à devenir fonctionnaires d’État, professionnels de l’Éducation, au service de l’intérêt général et de la réussite des élèves. Sachez, Madame la Ministre, qu’en exerçant notre métier, tous les jours, nous cherchons à donner la pleine signification à la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » qui orne le fronton de nos établissements scolaires. Madame la Ministre, nous contraindre à mettre en place le choc des savoirs, avec une pression à peine dissimulée, revient à nous demander de renier notre éthique, notre déontologie et les principes républicains auxquels nous sommes attachés.
À l’heure où l’École de la République, attaquée de toutes parts, est au bord de l’implosion, nous avons besoin de retrouver de la sérénité, d’être unis et réunis autour d’un projet commun et partagé.
Liste des signataires
Igor ALTCHENKO, Proviseur Lycée professionnel Paul Emile Victor, Avrillé (49)
Bernard BENAC, Principal Collège Gutenberg, Saint-Herblain (44)
Nadège BOISRAME, Proviseure adjointe Lycée professionnel JJ Audubon, Couëron (44)
Louis BON, Principal adjoint Collège Salvador Allende, Rezé (44)
Bruno BOURGOIN, Principal Collège Joachim Du Bellay Cholet (49)
Christian CAILLAUD, Principal Collège Salvador Allende (44)
Romuald CHOLLET, Proviseur Lycée Rabelais, Fontenay le Comte (85)
Mélanie DELANOUE, Proviseure adjointe Lycée Monge La Chauvinière, Nantes (44)
Jean-Marc DESVIGNES, Principal Collège Bellevue, Guémené-Penfao (44)
Nathalie FACORAT, Principale Collège Camille Lepage, Loireauxence (44)
Marie-France GAY, Principale Collège Anne de Bretagne, Saint-Herblain (44)
Stéphane GERMAIN, Principal Collège de la Coutancière, La Chapelle sur Erdre (44)
Chris GUIGNET, Principal Collège Louise Michel, Paimboeuf (44)
Cécile GUILLON, Proviseure-Adjointe, Lycée Léonard de Vinci, Montaigu (85)
Tania HERAUD, Principale Collège René Couzinet, Chantonnay (85)
Hervé HEUGUE, Principal Collège Les Colliberts, Saint Michel en l’Herm (85)
Régis HUREZ, Principal Collège Jacques Prévert, Herbignac (44)
Bruno Le BOULC’H, Principal Collège Olympe de Gouges, Sainte-Pazanne (44)
David LANDRY, Proviseur Lycée Professionnel Albert Chassagne, Paimboeuf (44)
Hugues LENOIR, Principal Collège de Goulaine, Basse-Goulaine (44)
Christophe LEROUX, Principal adjoint Collège Paul Langevin, Couëron (44)
Laurent LOISEAU, Principal Collège Paul Langevin, Couëron (44)
Delphine MARCHENA, Principale Collège Hector Berlioz, Nantes (44)
Éric MIGNON, Principal Collège Gutenberg, Saint Herblain (44)
Fabrice ORDONNEAU, Principal Collège Gaston Chaissac, Pouzauges (85)
Céline PAVAGEAU, Principale Collège Pierre de Coubertin à Legé (44)
Pascal PELOTE, Principal Collège Victor Hugo, Nantes (44)
Roselyne PERRAIS, Proviseure adjointe Lycée Pierre Mendès France, La Roche/Yon (85)
Régine PONDA, Principale Collège Julie-Victoire Daubié, Saint Philbert de Grand Lieu (44)
Franck ROBIN, Proviseur, Lycée Colette Le Bret, Aizenay (85)
Cathy RODIER, Principale Collège Simone Veil, Nantes (44)
Max TCHUNG-MING, Principal Collège Claude Debussy, Nantes (44)
Adeline TERRIEN, Principale adjointe Collège JV Daubié, Saint Philbert de Grand Lieu (44)
Patrick VASSE, Proviseur Lycée Monge La Chauvinière, Nantes (44)