Tout comme pour les métiers du professorat, le métier d’assistante sociale scolaire est en crise d’attractivité. Pourtant leur rôle est primordial dans les situations de violences sexuelles et familiales, harcèlement, suicide, pauvreté… Afin « de dénoncer leurs conditions de travail, demander des renforts de postes massifs et faire valoir une nécessaire revalorisation salariale », elles se sont mobilisées vendredi 22 mars. Dans cette tribune que signe le collectif ENsemble, qui réunit la moitié de la profession, elles expliquent leur malaise.
En France, on compte aujourd’hui 12 millions d’élèves. Parmi eux, les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- 3 enfants par classe sont victimes de harcèlement (Éducation nationale)
- 3 enfants par classe sont victimes de violences sexuelles (CIIVISE, 2023)
- 1 enfant meurt tous les 5 jours de violences intrafamiliales (Igas, 2019)
- 3000 enfants dorment dans la rue (baromètre de l’Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité, 2023)
- 3 millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté (Insee, 2018)
- 400 000 enfants sont témoins de violences intrafamiliales (rapport du Haut Conseil à l’égalité des femmes et des hommes, 2019)
- le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans
- plus de 20 000 mineurs en situation de prostitution (ACPE 2024)
Dès lors, il est important de revenir sur l’importance du service social scolaire et son rôle primordial pour le bien-être des jeunes. Ces dix dernières années ont été le théâtre d’un délitement de la cellule familiale, d’une paupérisation de la population, de l’accroissement des difficultés de logement… Plus récemment, la crise sanitaire et la mise en lumière des situations d’inceste et de violences intrafamiliales ont renforcé un sentiment, déjà important, de mal-être global dans notre société.
Or nous ne pouvons que déplorer la difficulté des acteurs sociaux à soutenir et accompagner les jeunes qui ont de plus en plus de mal à trouver leur place. Le service social scolaire, en première ligne pour intervenir auprès des élèves et étudiants en difficulté, œuvre quotidiennement à la réussite scolaire et éducative des futurs citoyens de demain. Ses missions font écho aux politiques sociales visées par notre Premier ministre, Gabriel Attal, dans son discours de politique générale.
Que signifie ce mal être ? Où prend -il racine ? Dans quel contexte évolue-t-il ? L’enfant qui voit ses parents se déchirer ou s’insulter ne va pas bien. L’enfant qui subit des humiliations, des exigences disproportionnées ne va pas bien. L’enfant qui prend des coups, subit des moqueries, ne va pas bien. L’enfant qui a quitté son pays dans un contexte traumatique ne va pas bien. L’enfant qui se sent délaissé par des parents trop occupés, qui vit une séparation de ses parents compliquée, ou voit son père s’alcooliser ne va pas bien. L’enfant qui a subi des violences sexuelles ne va pas bien.
Aux prémices de leur vie, ils ont tout à construire et en premier lieu leur confiance en eux. Si nous ne sommes pas attentifs à ces indicateurs extérieurs, nous oublions l’essentiel : leur quotidien. Ils sont les futurs adultes que nous aidons à grandir : les futurs parents, médecins, boulangers, maçons, enseignants et représentants politiques. Des citoyens en devenir dont nous devons prendre soin.
Si, dans les représentations, le mal être des jeunes appelle une réponse médicale, la question est plus complexe. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) ainsi que la HAS (Haute Autorité de la Santé) plaident ainsi pour l’abandon des approches médicales exclusives au profit d’approches plus globales et environnementales. Les facteurs de risque étant nombreux, il est indispensable de favoriser la complémentarité des acteurs sociaux, médicaux et thérapeutiques autour de l’enfant. Il s’agit aussi d’éviter les médications trop systématiques. En 7 ans, la hausse de la consommation de psychotropes chez les mineurs a été de 155,5% pour les hypnotiques, 62,5% pour les antidépresseurs, 78% pour les psychostimulants et 48,5% pour les antipsychotiques. Soit 2 à 20 fois plus que la population générale (rapport 2021 du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge).
L’assistante sociale tient un rôle primordial dans la prise en charge des jeunes. Dans son bureau, tous les sujets sont abordés : sexualité, relations amicales, précarité, conflits avec les parents, envies suicidaires, et rêves d’enfants. Attentive à leurs préoccupations, elle participe à leur dignité, à les reconnaître comme individus ou comme victimes. Elle apporte ce regard spécifique qui va porter leur parole d’enfant. Elle a un rôle central de prévention, un rôle éducatif déterminant. Professionnelle de l’écoute, elle aide le jeune à identifier ses émotions et ses besoins. Formée à l’approche systémique, elle accueille ses propos, analyse ce qui dysfonctionne et repère les leviers possibles.
L’objectif est de préserver la sécurité affective du jeune, mais aussi ses relations familiales. Elle accompagne les parents dans la compréhension des enjeux de leur situation. Lorsque celle-ci, trop dégradée, met en danger l’enfant, elle contribue à déclencher des mesures de protection en alertant les autorités.
L’assistante sociale a aussi un rôle central de prévention qui se traduit par des actions de sensibilisation collectives sur des thématiques variées (les violences, le harcèlement, les addictions aux écrans, les conduites à risque, les relations filles/garçons…). Enfin, à l’heure où les agressions à l’égard des enseignants sont en augmentation, les assistantes sociales sont en première ligne pour canaliser les émotions.
Ce travail d’accompagnement est mené d’arrache-pied, pourtant ses conditions de mise en œuvre sont moins réjouissantes. Ces travailleuses de l’ombre sont épuisées et se sentent méprisées. Elles sont en sous-effectifs criants et gèrent parfois jusqu’à 5 établissements. Dans les écoles primaires et maternelles, là où les enfants sont les plus vulnérables, elles sont quasi inexistantes et n’interviennent le plus souvent que par des conseils téléphoniques auprès des équipes de direction.
Depuis le discours de politique générale de M. Attal, annonçant des revalorisations salariales pour récompenser l’investissement de leurs collègues infirmières scolaires dans la santé mentale des jeunes, la colère monte. L’absence de mention des assistantes sociales est vécue comme un silence assourdissant. Elles sont 3 000, pour 12 millions d’élèves, investies quotidiennement dans leurs multiples missions aux responsabilités délicates. La plupart de ces jeunes n’auront jamais la chance de rencontrer une assistante sociale.
Le service social scolaire ne peut se satisfaire de n’intervenir que dans l’urgence et de passer à côté d’un grand nombre de situations dramatiques, alors que son rôle est si crucial en termes de prévention. Malgré tout l’engagement des professionnelles, l’ambition de protéger les enfants de l’inceste, du harcèlement, de la maltraitance ne peut se faire que par des renforts massifs de postes et des revalorisations salariales significatives. Le Conseil National de la Protection de l’Enfance appelle à la mise en œuvre d’un plan Marshall face aux 30 000 postes de travailleurs sociaux vacants, appuyé par une refonte des politiques publiques et un effort financier massif et durable.
Le métier d’assistante sociale scolaire est en crise d’attractivité. Leurs grilles salariales sont bien en deçà de toutes les autres catégories A de la fonction publique. Cette situation crée un véritable malaise parmi celles qui doivent précisément prendre en charge le malaise de notre jeunesse. Les assistantes sociales de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur se sont mobilisées le 22 mars 2024 à Paris pour dénoncer leurs conditions de travail, demander des renforts de postes massifs et faire valoir une nécessaire revalorisation salariale.
Le collectif ENsemble, collectif de 1 500 assistantes sociales de l’Éducation nationale