Pour l’Afef, association française pour l’enseignement du français, les groupes de niveau – tels que voulu par Gabriel Attal, « c’est la désorganisation programmée des classes de collège contre laquelle l’AFEF tient à s’élever ». Viviane Youx, présidente de l’association, signe cette tribune.
Rarement une mesure ministérielle a soulevé autant de désaccord que celle des groupes de niveau en français et mathématiques au collège. L’écrasante majorité des syndicats et des associations de professeurs de ces deux disciplines dénonce de manière unanime ce choix qui contrevient à l’expérience des professeur·es et à tous les résultats de recherches. Le Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN), lors de son colloque du 28 novembre 2023 « Agir sur les inégalités sociales de l’école à l’enseignement supérieur » affirmait son opposition au découpage en groupes de niveau par la voix des chercheurs présents, trois d’entre eux ont démissionné juste après la déclaration de Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale.
Aujourd’hui la confusion règne. Notre nouvelle ministre, Nicole Belloubet, annonce un assouplissement de la règle des groupes de niveau précédemment édictée, alors que Gabriel Attal, désormais premier ministre, insiste sur leur mise en place stricto sensu à la rentrée 2024.
Mais, au-delà de cette confusion dont nous ne comprenons pas bien l’enjeu, c’est la désorganisation programmée des classes de collège contre laquelle l’AFEF tient à s’élever. Et ce pour trois raisons :
- Classer dès le début de la sixième les élèves en faibles/moyens/forts c’est opérer un classement qui a très peu de chances d’évoluer au fil de l’année, voire des années, ne serait-ce que pour des questions administratives, organisationnelles et de nombre de professeur·es. Les élèves classés « faibles » resteront enfermés dans une classification stigmatisante dont rien ne leur permettra de sortir. Ou alors il faudrait des moyens énormes, que les collèges n’auront pas, et les principaux n’auront pas d’autre choix que de constituer des groupes figés, si un texte réglementaire leur impose ces groupes de niveau regroupant plusieurs classes de sixième, cinquième…
- Ces regroupements interclasses pour constituer les groupes de niveau en français et mathématiques vont mettre fin au collectif classe, qui permet l’écoute et l’attention aux autres dans un espace partagé qui apprend à vivre ensemble et à développer de l’empathie. Le collectif-classe se fonde sur une mixité, une hétérogénéité qui fonctionnent grâce à des collaborations entre élèves de niveaux différents qui s’entraident et apprennent ensemble. Plutôt que d’évacuer l’hétérogénéité, aussi humainement riche que difficile à gérer, il serait plus efficace de donner aux professeur·es une formation et des moyens pour mettre en place une pédagogie différenciée. Jamais ne sont évoqués les effectifs de classe trop lourds, dont la baisse aurait pourtant été un levier intéressant pour favoriser la gestion de l’hétérogénéité et faire progresser tous les élèves, grâce à une politique qui en donne les moyens aux établissements.
- La discipline français est vaste, elle est langue, langages, culture, littérature, à l’oral comme à l’écrit. En fonction de quel « niveau » les élèves vont-ils être regroupés ? Quid de ce qui est plus difficile à évaluer : la compréhension, l’interprétation, la culture, les pratiques langagières dans différentes situations ? La littérature, pivot entre langue, culture, compréhension du monde et de soi, suppose de développer une lecture et une écriture littéraire qui demandent du temps, de la confiance, du suivi, et la confrontation aux autres, quel que soit son niveau. Certaines compétences linguistiques et langagières peuvent s’acquérir plus facilement en petits groupes, des groupes de besoin pourquoi pas, non figés et non durables, voire grâce à des logiciels adaptatifs supervisés par les professeurs. Mais c’est la littérature qui donne sens à notre discipline : elle ouvre à la fois à la culture et à la compréhension du monde, de soi et des autres. Et nous ne connaissons pas de groupes de niveau qui le permettent.
Pour ces trois raisons, l’AFEF se prononce fermement contre le découpage des classes de collège en groupes de niveau dans deux disciplines, qui vont détruire le collectif-classe et se révéler totalement inefficaces pour les apprentissages exigeants que l’AFEF défend pour tous les élèves.
Viviane Youx
Présidente de l’AFEF