Sur 256 rapports réalisés en 2022-2023 par l’Inspection générale, seulement 30 ont été rendus publics. Le rapport annuel d’activité de l’Inspection générale de l’Education nationale rend compte d’une activité croissante. Mais elle reste fortement contenue dans les armoires blindées de la rue de Grenelle. Le rapport nous livre finalement une cartographie des sujets que le ministère ne souhaite pas dévoiler…
Une inspection réformée par Blanquer
Longtemps le rapport annuel de l’Inspection générale a été un gros volume. La dernière livraison se réduit à une série de vidéos mettant en scène la seule cheffe de service de l’inspection. Car depuis 2017, Jean-Michel Blanquer a réformé l’Inspection générale. La nouvelle inspection générale s’est agrandie des inspections générales des sports, des bibliothèques et de celle de la Jeunesse. Mais le grand changement est ailleurs. L’Inspection générale qui était un corps auto-administré et où régnait la liberté de parole nécessaire à un organe qui doit conseiller le ministre, est devenu un service. Les inspecteurs généraux sont rentrés dans le rang comme des fonctionnaires ordinaires. Leur hiérarchie choisit ceux qui rédigeront les rapports demandés par le ministre.
Doublement des rapports en 2022-23
Pour autant, l’inspection rend compte de son activité avec une liste publique des rapports réalisés entre septembre 2022 et septembre 2023. Ce sont 256 rapports qui ont été commandés. Cela reflète l’inflation du travail de l’inspection. On comptait 85 rapports seulement en 2015. 82 en 2019 et en 2020. 140 en 2021. Le super ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports a vu ses travaux croitre en volume de façon impressionnante. Une inflation qui suit celle des réformes menées par le ministère.
Neuf rapports sur dix enterrés
Pour l’année scolaire 2021-2022, seulement 30 des 256 rapports réalisés par l’Inspection générale ont été rendus publics par le ministère. Parmi les rapports importants et publiés de cette année, il y a celui sur la formation initiale des professeurs des écoles, l’évolution des systèmes d’enseignement face au changement climatique, le PPCR, la réforme du lycée, l’orientation des bacheliers professionnels vers les BTS, les PPPE ou encore la production d’écrits à l’école élémentaire.
Ainsi près de neuf rapports sur dix sont restés enfermés dans les armoires du cabinet ministériel. Avec 12% de rapports publiés (88% de censurés) le ministère ne bat pas son recors mais s’en approche. Le record c’est 2019, l’année où JM Blanquer ne rend public que 8% des rapports annuels. Dans l’autre sens , en 2021, 28% des rapports sont publiés. En 2017 et 2020 on est entre 16 et 18%, soit le double de 2022-23.
Les sujets que le ministère cache
Tous les dossiers n’ont pas vocation à être rendus publics. C’est le cas par exemple de rapports personnels sur la façon de servir d’un enseignant, de faits survenus dans une école de l’académie de Grenoble ou de la manière de servir d’un agent en Martinique. On assiste à une multiplication de ces enquêtes administratives qui concernent aussi des associations. Mais on aurait apprécié de savoir ce que disait l’enquête « relative à un signalement au sein d’une structure de l’administration centrale« . Ou celle sur un service de l’académie de Clermont Ferrand. Ou encore le rapport sur la situation d’une direction de l’académie d’Aix Marseille. Ou ce qui a pu mener un enseignant de l’académie de Versailles à se suicider.
Certains rapports non divulgués renvoient à des pratiques pédagogiques qui ne semblent plus avoir grâce aux yeux ministériels. Ainsi nous ne saurons peut-être jamais ce que disait le rapport sur les pratiques collaboratives au service des apprentissages, ou celui sur la mixité dans le système scolaire, un sujet pourtant porté par un ministre. D’autres touchent de trop près à des questions chaudes. Un exemple ? Le rapport sur la mission des agrégés.
Mais ce qu’on retient surtout ce sont les rapports qui évaluent des politiques publiques lancées par le ministère mais que ce dernier se garde bien de publier. Ainsi le rapport sur la gouvernance des écoles et établissements, élément central de la réforme managériale voulue par le ministère. Ou l’avis émis par les groupes de travail sur la réforme du lycée professionnel. Ou encore le rapport sur les périodes de formation professionnelle dans ce même lycée au moment où le ministère impose leur extension. Si le ministère a choisi aussi de ne pas publier l’évaluation des dédoublements réalisés dans le premier degré est-ce parce que la mesure qui a couté plus de 10 000 postes (prélevés sur le second degré) porte peu de fruits ? Que disait aussi le rapport sur le lien entre la formation donnée lors du SNU et les cours d’EMC ? Sur ces sujets, le ministère préfère enterrer l’avis des experts que demeurent les inspecteurs généraux.
François Jarraud