« Docs sur l’Éduc » est un podcast sur la pratique des métiers de l’éducation, en particulier dans les écoles et établissements de l’éducation prioritaire. Il est réalisé à Marseille par Alain Barlatier, documentariste et ancien enseignant. Chaque vendredi « Le café pédagogique » en publie un épisode (billet et entretien audio). En cette journée internationale de lutte pour les droit des femmes, « Docs sur l’Éduc » présente une de celles qui font tenir l’école. Le podcasteur Alain Barlatier donne la parole à Séverine Goettelmann professeure de lettres dans un collège classé REP+, à Marseille. L’enseignante, parle de son implication, de l’innovation pédagogique nécessaire pour que toutes et tous trouvent un chemin vers la réussite.
Depuis les derniers remaniements ministériel et le passage éphémère d’Amélie Oudéa-Castéra au ministère de l’éducation nationale, la question de la place de l’école publique est revenue au centre des débats.
Depuis plusieurs mandats présidentiels (a minima depuis 2007 et la Révision Générale des Politiques Publiques), les politiques libérales mises en œuvre n’ont eu de cesse de décrédibiliser l’école publique par des vagues massives et successives de suppression de postes – c’est encore vrai pour la rentrée 2024 – et une multiplication de réformes toutes rejetées par les professions de l’éducation (réforme du collège, du lycée, de la voie professionnelle, du baccalauréat, « choc des savoirs » de Gabriel Attal) …
Et pourtant, plus cette logique s’impose dans les choix politiques, plus la motivation de la profession pour défendre le service public apparaît comme une évidence. Et c’est encore plus frappant en ce qui concerne les personnels de l’éducation prioritaire.
La plupart des enseignant.es et autres catégories que j’ai pu rencontrer lors de la construction de ce podcast, disent être là par choix, soit au moment de la rédaction de leurs vœux de mutation, soit après avoir été affecté.e dans un collège ou une école REP+ et avoir été séduit.e par les spécificités du métier dans ce contexte.
Toutes et tous insistent sur les solidarités qui peuvent se développer en salle des profs ou des maîtres pour faire face à la difficulté de l’exercice du métier.
Toutes et tous considèrent que la qualité de la relation avec les parents est ici fondamentale, plus importante que dans tout autre établissement. Il ne s’agit pas ici de « contrôle parental » comme on peut le rencontrer dans certains établissements de quartiers huppés mais d’une attente sociale et culturelle de la part des familles à laquelle il est impératif de répondre.
Toutes et tous sont attaché.es à la relation (peut-être affective) qui peut exister avec certains élèves pour qui l’éducation, l’apport d’un corps enseignant très motivé sont une chance inespérée pour dépasser les limites d’un fort déterminisme social.
C’est le cas de Sèverine Gottelmann au collège Vieux-Port à Marseille dont vous pouvez écouter le témoignage cette semaine. C’est aussi le cas de ces jeunes Assistant.es d’Éducation ou AESH qui « débarquent » dans une classe sans aucune formation, avec un statut précaire et qui sont entrainé.es dans le tourbillon de la générosité éducative.
C’est aussi le cas de ces chef.fes d’établissement, ces assistantes sociales, CPE, Psy-EN… qui se dépensent sans compter.
Quoiqu’on dise de l’évolution de la société, de la perte de repères et de la progression de l’individualisme, la maison enseignante fait de la résistance, la transmission des valeurs humanistes auprès des jeunes générations perdurent et cela se traduit au quotidien dans la pratique professionnelle.
C’est ce que nous entendons lors des mouvements sociaux initiés par la profession, chaque fois enterrés, chaque fois renaissants comme récemment. Ils surprennent tous les observateurs et surtout le pouvoir par leur ampleur, leur calme détermination, leur sourde colère.
Nous sommes ici loin des « paquets d’heures d’enseignement » qui pousseraient les parents à inscrire leurs enfants dans des écoles privées et élitistes.
La demande de prise en charge est grande et les agents d’un service public d’éducation, pourtant mis à mal par des années de politique libérale savent y répondre.
Toutes et tous disent que « l’innovation pédagogique » est une nécessité, cela ne se discute même pas. C’est LA condition pour se tenir debout, avancer dans son travail, faire progresser les élèves.
Éva, professeure de lettres elle aussi, co-intervenante avec Séverine dans les mêmes classes le dit bien :
« Au niveau des programmes scolaires, c’est plus ciblé, j’ai l’impression de donner des contenus qui vont être tout de suite utilisés et utilisables par les élèves pour le brevet ou les choix d’orientation. Je cherche à faire passer l’essentiel. Ce sont des élèves qui n’iront jamais seuls au musée, au cinéma ou au théâtre, c’est à l’éducation prioritaire de débloquer les fonds nécessaires pour pouvoir avoir accès à ces lieux de culture, rencontrer des professionnels, leur donner le goût de la connaissance. À nous de leur dire qu’ils sont chez eux dans tous ces lieux de création artistique et pas seulement au collège, à la maison ou dans la rue. »
Ils et elles auraient pu rechercher un poste de travail plus confortable où l’on se remet moins en cause mais ce n’est pas leur démarche. Voir la souffrance sociale, la culture absente de la vie de ces familles et enfants leur est insupportable. Et avec des moyens évidemment insuffisants, ils et elles cherchent les solutions.
Ils et elles cherchent aussi des solutions pour aider une famille à trouver un logement, la sortir de la rue, pour conseiller, voire se mobiliser quand il s’agit d’obtenir la régularisation d’une situation administrative précaire (je pense notamment aux titres de séjours).
Des liens se créent autour des projets pédagogiques. Le travail d’équipe interdisciplinaire et celui avec les autres catégories de personnels est essentiel, surtout quand ces équipes partagent les mêmes valeurs et sont sensibles aux conditions de vie des élèves.
Ces professeurs savent s’écarter du pur transmissif. Il savent s’adapter aux conditions locales et ont une intelligence pratique de leur métier. Ils savent observer les élèves, voir le regard qui s’illumine ou qui s’échappe. Ils tirent de là leur autorité sans autoritarisme. Cette attention fine aux élèves, l’appréciation globale de leur situation (intra et extra muros du collège) les aide à désamorcer les conflits et à embellir leurs conditions d’étude.
Pour l’avoir vécu, je ne fais pas ici d’angélisme, il y a bien des moments de déception, d’abattement ou de colère surtout quand les hautes sphères de la hiérarchie politique ou administrative jouent contre leur camp. Ces enseignant.es vont à l’épreuve car celle-ci constitue leur ADN professionnel. Ils et elles ont acquis un vrai patrimoine d’expériences ; l’éducation nationale devrait en tirer toutes les conséquences et favoriser cette transmission. Que serait leur métier sans toutes ces dimensions ?
Certains parlent à tort de sacerdoce. Je préfère à cela ce que disait Pierre Bourdieu :
« Je pense que la main gauche de l’Etat a le sentiment que la main droite ne sait plus ou, pis, ne veut plus vraiment ce que fait la main gauche. En tout cas, elle ne veut pas en payer le prix. Une des raisons majeures du désespoir de tous ces gens tient au fait que l’Etat s’est retiré, ou est en train de se retirer, d’un certain nombre de secteurs de la vie sociale qui lui incombaient et dont il avait la charge : le logement public, la télévision et la radio publiques, l’école publique, les hôpitaux publics, etc… » in « le sens de l’état » Le Monde, février 1992
Et les enseignant.es comme Séverine et tant d’autres font partie de cette main gauche de l’état.
Alain Barlatier
Pour écouter la totalité du podcast (c’est par ici)