Mardi 30 janvier matin, Amélie Oudéa-Castéra rencontrait les chef·fes d’établissements. Une rencontre virtuelle, en visioconférence. Initié par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, l’objectif de l’exercice est un échange direct entre le grand patron de l’éducation nationale et ses cadres intermédiaires. Si en effet, tous les chefs d’établissements pouvaient assister à la conférence – ils étaient près de 11 000 connectés, l’échange était tout sauf direct. La ministre, qui ne semble pas encore très à l’aise avec les dossiers de l’éducation, s’en est tenue à ses notes. Quant aux questions, très nombreuses sur le tchat, elle n’a répondu qu’à trois d’entre elles. Les moins polémiques.
Durant près d’une heure, Amélie Oudéa-Castéra est venue défendre les groupes de niveau auprès de ses cadres intermédiaires, les chefs d’établissement, chargés de les appliquer sur le terrain. Un exercice peu évident pour une ministre dont la légitimité est remise en cause à la suite des différentes polémiques qui ont entaché sa prise de fonction.
Pour la ministre de l’Éducation nationale, la mise en place des groupes de niveau ne signe « absolument pas la fin du collège unique ». « Tous les élèves auront à faire le programme et tout le programme. Dorénavant, on leur laisse tout le temps nécessaire pour y arriver ». La ministre récuse toute volonté de « sélection des élèves ». « Ce ne sont pas des classes de niveau, on sait que cela, cela ne marche pas. Il n’y aura pas de classe des meilleurs et de classes des moins bons », assure-t-elle en prenant pour modèle la Suisse ou le Danemark. « Chaque groupe sera un groupe de progrès et chacun sera une voie de progression. Il ne s’agit pas de bannir l’hétérogénéité, mais de garantir de meilleures conditions d’apprentissage ».
Et Amélie Oudéa-Castéra insiste, il ne s’agit pas « de relégation scolaire », pas « de mise à l’écart », mais au contraire « de concentrer les moyens sur ceux qui en ont le plus besoin », pour que les élèves les plus en difficulté reprennent « confiance ». Quant aux élèves en situation de handicap, dont beaucoup s’inquiètent de leur affectation d’office dans les groupes d’élèves les moins bons, la ministre dit « placer sa confiance dans les professeurs, dans les personnels de direction pour considérer ces élèves en fonction de leurs évaluations (ndlr Les élèves en situation de handicap), de leur profil, de leurs appétences et de leur capacité à travailler effectivement avec leurs camarades ».
Les groupes, prônés par le ministère, seraient « fluides » et « dynamiques » et « non une catégorisation figée ». « Tous les trois mois, chaque élève aura l’opportunité de changer de groupes », certifie Amélie Oudéa-Castéra, une affirmation contredite quelques minutes plus tard lorsque la ministre explique qu’à chaque période (entre les vacances scolaires), des changements de groupes pourront être opérés.
Renforcement du travail coopératif des enseignants … sans annonce de temps dédiés
Fin février, la locataire de la rue de Grenelle l’affirme, les textes réglementaires – transmis aux organisations syndicales – seront publiés et « pleinement applicables ». « Les textes prévoient l’organisation des groupes de niveau pour le français et les maths et prévoient des effectifs réduits pour ces groupes. Ils ne fixeront ni la taille ni les nombres de groupes. Chaque chef d’établissement appliquera ces directives en fonction de son contexte spécifique et selon le principe de subsidiarité », explique la ministre qui ajoute qu’un schéma type – un point de référence correspondant à un établissement moyen sera envoyé aux équipes pour les accompagner.
Du côté pratique, c’est en mai/juin que les groupes devront être décidés, lors de réunions entre les chefs d’établissement, les directeurs d’écoles et les IEN (Inspecteurs de l’Éducation nationale) afin de permettre aux premiers de constituer des « pré-classes » et de préparer les services d’enseignement. En début d’année, et à la suite des évaluations de 6e, les groupes seront réajustés. « Nous ne voulons pas séparer, mais inscrire chacun dans une dynamique. Des changements pourront être opérés après chaque période et à chaque conseil de classe », précise Amélie Oudéa-Castéra qui insiste sur la nécessité du travail d’équipe. « Les groupes de niveaux nécessitent un travail en équipe plus important que jamais avec des concertations régulières pour faire évoluer les groupes d’élèves, mais aussi les méthodes des professeurs. La coopération renforcée est l’un des enjeux de ce dispositif ». Pour autant, moyens supplémentaires ou modalités spécifiques pour ces temps ne sont annoncés…
Interrogée sur les moyens, la ministre compte sur le redéploiement des 1 500 postes (avec la fin de la 26e heure de cours) et le recrutement de 830 enseignants supplémentaires annoncé par Gabriel Attal. Elle assure que selon les besoins, il sera possible de renforcer les moyens dans les établissements les plus en difficultés (résultats aux évaluations et IPS). Quant aux professeurs de mathématiques et de français, ils pourront toujours être professeurs principaux, soutient la ministre qui termine son propos sur l’importance des chefs d’établissements, « maillon essentiel de la mise en place de ces groupes en fonction des besoins et spécificité du terrain ». « C’est grâce à votre attention, à votre volonté que nous ferons bouger les choses. La proposition, elle est la vôtre. Ce ne n’est pas la rue de grenelle qui fixe le nombre de groupes et leur taille ».
Pour les syndicats, si la forme ne va pas, le fond non plus
Dans ce nouveau format de rencontre, les organisations syndicales sont invitées à prendre la parole. Le SNPDEN, Id-FO et la Cfdt ont réagi en direct au discours de la ministre.
Pour Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN, ce qui domine en cette préparation de rentrée, c’est le « découragement et la colère ». « Le ministère a pris l’habitude de préparer les choses à marche forcée, dans un timing déconnecté de la vie des établissements. À ce stade, le flou règne. Il est difficile de travailler sans filer, comme pour la mise en place du pacte et la fin de technologie. Il faut que cesse cette habitude ». « Comment réformer l’école sans convaincre ? », interroge le secrétaire général du syndicat qui s’étonne que la ministre n’ait pas parlé de l’EMC, du théâtre et du SNU, des sujets largement évoqués par le Président lors de sa conférence de presse. « Pour le SNU, il y a une montée en puissance et c’est le chef d’État qui fera des annonces », répond la ministre. « Pour le théâtre, 2024/2025 sera un temps de recension des clubs existants ». Quant à la question de l’EMC, la ministre explique que le temps d’instruction civique – un choix lexical loin d’être anodin – sera bien doublé l’an prochain, mais que cela ne sera pas au détriment de l’enseignement de l’histoire.
Agnès Andersen, secrétaire générale de ID-FO a, quant à elle, rappelé la charge de travail sous laquelle ploient les chefs d’établissements. « Nous demandons tout simplement des moyens pour faire notre travail. Le désarroi et la colère de la profession sont au plus haut. Nous voulons des équipes complètes, des personnels remplacés – tous, pas seulement les professeurs. Et nous demandons une réelle revalorisation ». Sur ce dernier point, la ministre a rappelé que la prime de 1 000 euros par an pour la gestion du pacte à l’origine était pérennisée et qu’elle passait même à 1 250 euros. Soit 250 de plus par an…
C’est sur le fond que le Sgen-Cfdt a interpellé la ministre. « Le personnel est sous le choc », a déclaré Sylvie Perron, secrétaire nationale du syndicat. « Ce projet est à l’encontre de nos valeurs : les groupes de niveau – qui assignent une partie de nos élèves, qui les enferment pendant 35% de leur temps dans des groupes homogènes dont ils ne pourront sortir, et la classe préparatoire, elle aussi signe de ségrégation scolaire ». « Nous sommes signataires d’un appel à un Grenelle alternatif, nous vous invitons à vous pencher sur cette question », l’informe la responsable syndicale en référence au collectif Riposte soutenu par le Café pédagogique.
« C’est aujourd’hui, le séparatisme », lui a répondu la ministre. « Les groupes de niveau vont permettre à chacun d’aller à son rythme, de trouver sa trajectoire ». Et selon elle, si ces groupes de niveau sont légitimes, c’est parce qu’ils sont demandés par une très grande majorité de la profession. « Lors de l’enquête lancée par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation national, sur les 230 000 répondants, près de 88% se sont exprimés en faveur de classes moins hétérogènes ».
Sur le tchat, des questions gênantes pour la ministre
Si les échanges entre la ministre et les organisations syndicales sont restés formels, dans le tchat, les chefs d’établissements étaient plus incisifs. « Les groupes de niveau sont contraires à tout ce qu’a démontré la recherche en pédagogie. Doit-on suivre les travaux de recherche ou les injonctions du ministre ? » écrit l’un d’entre eux. « Le cadre des EPLE est-il connu du ministère ? », interroge un second. « Des décisions politiques prises in vitro … Le souci est que nous travaillons in vivo. Les décalages restent inévitables », ironise celui-ci.
Beaucoup s’inquiètent aussi des effets sur leurs élèves à l’image de ce chef d’établissement : « certains élèves n’arriveront pas à passer du groupe le plus faible à celui supérieur durant toute leur scolarité du collège ! », ou de celui-ci « quelle difficulté d’annoncer à un élève qu’il « descend » de groupe…et quelle difficulté pour un élève de savoir qu’il pourrait « monter » de groupe, mais ne montera jamais…Les élèves vont souffrir de tout cela ».
Les conditions de travail sont aussi largement évoquées dans les messages. « On a juste envie de jeter l’éponge à force d’être maltraités » ou encore, « depuis 2020, il n’y pas eu une année identique. Nous avons dû sans cesse tirer sur la corde, faire et défaire. Nous sommes épuisés et cela ne fait plus sens ».
Jeudi 1er février, la très grande majorité des syndicats de l’éducation appellent à se mobiliser. Les différentes polémiques, mais aussi les annonces du « choc des savoirs » – annonciateur de la fin du collège unique quoi qu’en dise la ministre, semblent avoir convaincu les syndicats les moins enclins à mobiliser par la grève. Mais, cet appel sera-t-il entendu ? Les personnels seront-ils au rendez-vous ?
Lilia Ben Hamouda