Romuald Normand, professeur des Universités à l’Université de Strasbourg, propose une revue de la littérature internationale sur les regroupements d’élèves. Selon cette recension, pour que les groupes de niveau annoncés à la rentrée prochaine fonctionnent, il y a beaucoup de conditions à réunir : formation des enseignants, flexibilité des groupes dans le temps et dans l’espace, collaboration des équipes pédagogiques pour définir ensemble les groupes, les séquences pédagogiques et évaluer régulièrement les acquis cognitifs des élèves comme les effets du regroupement… Des conditions qui semblent loin d’être réunies dans les collèges français.
Principalement basée sur les résultats de Peter Blatchford (et son équipe), un universitaire anglais qui a beaucoup travaillé sur les effets de la réduction de la taille des classes et le groupement des élèves sur les apprentissages, la revue de littérature présentée par Romuald Normand s’appuie principalement sur l’expérimentation des groupes de niveau qui a lieu depuis de nombreuses années au Royaume Uni.
Que nous apprend la recherche internationale sur les groupes de niveau ?
Le Royaume-Uni, qui expérimente les groupe de niveau depuis de nombreuses années, est un terrain intéressant pour en déceler les effets positifs et négatifs, de nombreux chercheurs outre-manche les étudiant. Le chercheur Peter Blatchford en est spécialiste. Dans ses différentes recherches, il nous apprend que le regroupement d’élèves par niveau ou par aptitudes n’a pas vraiment d’effets sur les apprentissages des élèves. Si le regroupement tend à améliorer la réussite des bons élèves explique-t-il, il est préjudiciable pour les plus défavorisés et ceux à besoins particuliers. Les groupes de niveau peuvent démotiver ces derniers et conduire à des attitudes antiscolaires. Pour autant, le chercheur tempère. Ces groupes de niveau peuvent être pertinents selon lui, mais seulement à certaines conditions.
Quelles sont ces conditions ?
D’après Blatchford, il semble qu’il faille tenir compte de plusieurs facteurs déterminants dans le regroupement des élèves : la taille de la classe, le fait que les groupes soient dans la classe ou hors la classe, les interactions entre élèves, entre l’enseignant et les élèves, ainsi que la pratique pédagogique mis en œuvre. Les résultats de ses recherches montrent que lorsque l’effectif est trop important, cela conduit à des problèmes de gestion de classe et que cela impacte directement les conditions d’apprentissage.
Le chercheur prône aussi une formation des enseignantes et enseignants au travail de groupe et au développement des compétences psychosociales des élèves – qui sont nécessaires aux interactions au sein de groupe.
Selon lui, lors d’une organisation pédagogique en groupe, l’enseignant doit prioritairement travailler sur ces compétences psychosociales avant d’aborder les compétences cognitives. Ces dernières contribuent à l’amélioration des compétences des élèves. C’est ce que le chercheur nomme une « pédagogie sociale ».
Une pédagogie sociale, c’est à dire ?
La pédagogie sociale est une pédagogie collaborative, flexible, qui prend les dispositifs pédagogiques comme une ressource et non comme une contrainte. D’après Blatchford, la pédagogie sociale est nécessaire à l’efficacité des tâches cognitives effectuées au sein du groupe d’élèves. Il préconise des dispositifs d’apprentissages flexibles sur un plan organisationnel et cognitif.
Au lieu d’avoir des regroupements fixes d’élèves, il invite à réfléchir à des groupes flexibles dans le temps et dans l’espace – en dehors de la classe, en coordination avec d’autres enseignants. Blatchford préconise de faire travailler les équipes pédagogiques de façon collaborative, pour définir ensemble les groupes, les séquences pédagogiques et évaluer régulièrement les acquis cognitifs des élèves comme les effets du regroupement.
Ces techniques collaboratives existent déjà. En Finlande, des regroupements se développent en dehors du face-à-face pédagogique avec les élèves ou un enseignant/une classe. Trois à quatre enseignants peuvent réunir 80 élèves et les regrouper en fonction de leurs besoins selon différentes séquences d’apprentissages. C’est très flexible, et les changements peuvent se faire d’une séance à l’autre. C’est un travail de coopération entre les élèves et entre les enseignants.
Ce travail collaboratif se déroule « au fil de l’eau », et le dispositif peut être régulièrement révisé. Cela nécessite donc un réel accompagnement – et une formation des enseignants en ce sens, des temps de coordination et une grande flexibilité notamment dans la gestion des emplois du temps et les contenus scolaires.
La dynamique de l’équipe pédagogique procédant au regroupement est tout aussi importante que celle induite au sein du groupe élève.
Quel bilan de l’expérimentation anglaise ?
L’expérimentation anglaise montre que ce n’est pas le dispositif en lui-même qui a des effets mais les modes d’interaction qui sont privilégiées dans les interactions entre élèves, ou avec l’enseignant. Cela nécessite de repenser plus spécifiquement les temps et les espaces sur le plan matériel et cognitif où s’opèrent des regroupements flexibles. Beaucoup de systèmes éducatifs à travers le monde jugés performants dans les résultats à PISA – a Finlande, Singapour, etc.- ont rompu avec la « forme scolaire » pour dégager des espaces de concertation et de co-production des enseignements favorisant ces regroupements en conciliant mieux dans l’école ou dans l’établissement l’évaluation des acquis des élèves, leur développement social et cognitif, l’innovation pédagogique. L’enjeu est de passer d’un apprentissage de « surface » – où les connaissances et les compétences acquises sont éphémères, à un apprentissage « approfondi » – où les élèves acquièrent et stabilisent réellement leurs connaissances et compétences à travers un progrès cognitif.
Mais alors, les groupes de niveaux prévus à la prochaine rentrée sont-ils pertinents en France ?
Cela ne peut fonctionner que dans des établissements où les équipes s’engagent dans le dispositif, où elles ont des temps institutionnalisés pour se réunir, pour travailler ensemble à l’aménagement des groupes, pour évaluer fréquemment les progrès cognitifs des élèves … Mais cela nécessite aussi tout un travail en amont sur les compétences psychosociales des élèves, qui sont encore peu travaillées en France, des compétences qui permettent le saut cognitif, et qui assurent que chaque élève est placé dans un dynamique de réussite.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda