“Tous les élèves en seconde générale ou technologique vont devoir faire un stage. Parce que tous les pays qui réussissent mieux que nous sur l’orientation font faire beaucoup plus de stages à leurs élèves. Nous, on a le stage de 3ème qui est utile mais ce n’est pas suffisant…”. La vidéo TikTok, postée par Gabriel Attal le 24 novembre 2023, s’arrête. On rembobine : “Le stage de 3ème qui est utile”, vraiment ?
Le stage, et après ?
À écouter les élèves de la seconde 4 du lycée Feyder, le constat de l’utilité ne fait pas vraiment consensus : “je me suis ennuyé”, “c’était cool mais en vrai j’ai rien fait”, “ça change des cours classiques”, “J’ai écrit des trucs dans mon rapport mais clairement c’était pour la note”.
Alors le stage de 3ème est-il vraiment utile ? Si pour la plupart des élèves, ce stage semble être un moment agréable, ils en perçoivent davantage l’utilité pour finaliser un rapport de stage qui est noté et/ou prolongé par un oral en fonction des établissements. Est-il utile pour construire un projet d’orientation ? Cela semble donc dépendre de ce que les élèves en font après.
Après justement, il y a la classe de seconde où la réflexion sur le projet d’orientation se poursuit. Elle se heurte entre autres au manque de connaissances sur les parcours et sur les métiers. Le stage de 3ème semble déjà bien loin pour les élèves et ne résonne guère avec leurs projections scolaires, voire professionnelles. Il nous faut donc trouver une pratique qui remobilise les élèves sur leurs expériences de stage.
“Personne ne sait tout, mais tout le monde sait quelque chose”
Les pédagogies coopératives se déclinent parfois dans la classe par l’organisation de réseaux d’échanges réciproques de savoirs, développés par Claire et Marc Héber-Suffrin, souvent appelés « marchés de connaissance ». L’objectif est de mettre au travail cet adage : « Personne ne sait tout mais tout le monde sait quelque chose ». Concrètement, après avoir préparé son stand avec une affiche et ce qu’il va dire aux autres, l’élève transmet à des camarades un savoir-faire singulier ou une connaissance avant de bénéficier à son tour d’explications sur un autre stand. Les élèves circulent et découvrent ici et là à confectionner des bracelets brésiliens, à faire des jongles avec le pied, à compter en japonais, etc. Une interrogation surgit à nouveau : est-ce utile ?
La recherche en éducation apporte un éclairage documenté sur cette question avec l’effet tuteur (Baudrit. Le tutorat. 2007). Ce type d’organisation est utile à l’élève qui explique aux autres car cette posture le valorise et lui permet aussi de progresser sur ce qu’il transmet. Dès lors, une condition nécessaire s’impose : le marché de connaissances est utile à tout le monde uniquement si nous organisons des rotations permettant à tous les élèves de tenir un stand et d’être en position de passeur.
Au lycée, nous expérimentons chaque année ces marchés de connaissance (retour sur un marché de connaissance en seconde). En début d’année, s’ils permettent d’appréhender le groupe classe comme un collectif qui échange des connaissances, nous nous heurtons systématiquement à une difficulté : les élèves ne savent pas quoi présenter. Lors de la préparation des stands, ils sont invités à choisir ce qu’ils veulent présenter aux autres. Un certain nombre d’élèves bloquent : “je ne sais rien faire”, “j’ai pas d’idée”,… Bien sûr, nous passons auprès d’eux pour les aider à trouver une idée et pour les mettre en confiance, mais cela est rarement concluant. Pourtant, conformément au principe de l’effet tuteur, il nous faut nous assurer que tous les élèves partagent quelque chose. Il faudrait donc trouver un moyen de faire des marchés de connaissances sans mettre les élèves dans une position désagréable. Nous pourrions, par exemple, leur demander de partager avec les autres une expérience à la fois singulière et commune à toutes et tous. C’est ici que le stage de 3ème fait son retour.
En pratique
Les élèves de seconde entrent en heure de vie de classe ce mardi matin de janvier. “Vous avez toutes et tous fait un stage de 3ème l’année dernière. Vous avez 15 minutes pour préparer ce que vous voulez en dire à vos camarades et faire une petite affiche pour illustrer votre propos. Ensuite, vous présenterez à des camarades votre stage et ce que vous en avez pensé. Nous avons tous le même temps alors nous faisons quelque chose de simple. C’est parti.” C’est avec cette consigne que nous lançons la séance avec ma collègue Fanny, professeure principale. Si la plupart des élèves se mettent au travail, d’autres hésitent : “mais monsieur moi je me suis ennuyé”, “j’ai pas aimé mon stage”,… Nous les encourageons en leur signifiant bien que c’est justement cela qui est intéressant : de partager leurs avis argumentés.
Au bout du temps imparti, les rotations commencent. Trois fois 10 minutes avec 8 élèves qui exposent et 12 qui circulent de stand en stand. Assia* présente son stage en compagnie de la vendeuse à la boulangerie, elle a bien aimé car c’est de la vente et du relationnel avec certaines personnes qui viennent tous les jours et qui parlent beaucoup. Yanis* explique ne pas avoir aimé son stage dans un centre de formation d’agents de sécurité car selon lui ce n’était pas comme au collège “ils te disent ce qu’il faut faire et te laissent faire tout seul”. Imane* montre qu’il y a plusieurs métiers dans le cabinet dentaire comme le chirurgien-dentiste, l’assistant dentaire ou la secrétaire médicale et que les études sont très différentes. Lara* fait le même constat avec son stage en maternelle.
Les élèves ont soupiré au lancement de l’heure : “mais j’ai rien à dire”. Ils ont aussi soupiré à chaque rotation: “déjà! Mais on a pas eu le temps de tout voir.”
Retour du marché
Nous terminons la séance avec le même procédé par lequel nous concluons à chaque fois que nous expérimentons une nouvelle pratique. Les élèves écrivent sur un bout de papier ce qu’ils ont retenu, comment il se le sont approprié (cf. chapitre 7 Faire collectif pour apprendre) et ce qu’ils ont pensé de cette manière de faire.
À la dernière question, nous repérons au milieu de l’avalanche des “c’était bien” quelques retours qui questionnent et qui rassurent : “on aurait eu encore plus de temps, on aurait pu tout voir”, “j’ai découvert des métiers que je connaissais pas”, “je savais même pas qu’on pouvait travailler dans un cabinet dentaire sans avoir fait médecine”. Clara* a eu du mal à se mettre au travail en prétextant que son stage aux “machines de Nantes” ne lui avait vraiment pas plu. Son retour montre l’incidence de la confrontation aux autres : “…je me suis rendu compte que j’étais la seule à faire mon stage loin d’ici et c’était un truc original, même si je sais que je veux pas faire ça.” À ces remarques d’élèves se greffent une réflexion entre collègues : pourquoi conserver le mot “marché » pour qualifier cette pratique alors que précisément il n’y a rien à vendre ? Si une autre appellation de ce dispositif reste à inventer, cela n’empêche pas de le tester plus largement pour en partager les retours.
Une semaine plus tard, avec la même classe de seconde, un élève intervient au début du cours : “Monsieur, ça s’organise comment le stage en juin ? On aura un truc à rendre ?”
Mis à part les dates, je ne sais pas vraiment quoi lui répondre. J’aimerais lui dire que cela sera utile, à lui et aux autres.
Reynaud Laurent
*Les prénoms ont été modifiés