Si « le bien dire est un bien faire », Amélie Oudéa-Castéra a démontré de façon éclatante le 12 janvier sa difficulté à administrer l’Education nationale. De son coté, Gabriel Attal semble avoir beaucoup de mal à distinguer le dire et le faire. Dans sa course politique, il laisse à sa ministre la mission d’appliquer ses péroraisons politiciennes. Mais en est-elle capable ? Où va l’Education nationale ?
Une ministre fidèle à G. Attal
Peu de ministres ont su aussi rapidement montrer leurs limites. La journée du 12 janvier avait commencé pour Amélie Oudéa-Castéra par la traditionnelle passation de pouvoir avec Gabriel Attal. Pour A Oudéa-Castéra c’est l’occasion de faire preuve de fidélité. « C’est empreinte de beaucoup d’humilité que je vous succède, cher Gabriel« , dit la ministre en ouverture d’un texte où le ministère des sports prend beaucoup plus de place que l’Education nationale. » Je sais que vous aurez à cœur de m’accompagner, et, même, de me « coacher »« , dit-elle cramponnée à son pupitre. Et elle promet : « je poursuivrai vos chantiers, Monsieur le Premier ministre« . On chercherait en vain dans ce discours une pensée ou un élan personnel.
L’apologie du séparatisme social et de l’école privée
Tout le monde connait la séquence de l’après-midi. En visite dans un collège d’Andrésy (78), A. Oudéa-Castéra est interrogée sur la scolarisation de ses trois enfants à l’école privée Stanislas. Cette école catholique est connue comme très sélective socialement (IPS de 146.5) et très conservatrice. Se plaignant d’une « attaque personnelle« , la nouvelle ministre explique ce choix par sa frustration devant « le paquet d’heures pas sérieusement remplacées« . « Alors on en a marre comme des centaines de milliers de familles« , dit-elle. Depuis, « nous nous assurons que nos enfants soient bien formés avec des exigences dans la maitrise des savoirs fondamentaux et qu’ils sont heureux« . Selon elle, cela n’était pas le cas quand ils étaient scolarisés à l’école publique de ce quartier très favorisé de la capitale.
Sa réaction à une question pourtant prévisible fait vite le tour des salles des professeurs. La formulation est étonnante. Pas seulement par ce qu’elle dit de l’école après 6 ans de macronisme. Voilà la nouvelle ministre qui, le jour de sa prise de fonction, explique que l’École publique rend les enfants malheureux, que les professeurs y sont absents et que les fondamentaux n’y sont pas bien enseignés. Le tout avec un message aux privilégiés qui devraient bien faire comme elle : « On habitait rue Stanislas« … Comme entrée en fonction à l’Education nationale, on peut mieux faire que proclamer l’apologie du séparatisme social et de l’école privée.
Ou un acte politique délibéré ?
Un article de Libération met en doute les propos de la ministre en se basant sur les déclarations de l’ancienne institutrice du fils d’Amélie Oudéa-Castéra. Celui-ci n’aurait été scolarisé que 6 mois en petite section et l’inscription à Stanislas ne serait pas due à des heures non remplacées. L’argument de la maitrise des fondamentaux s’effondre également. La ministre aurait a-t-elle voulu envoyer un message à l’électorat des classes moyennes et lui signifier son soutien ? Dans tous les cas, ces propos sont d’une incroyable maladresse. Quelle que soit l’hypothèse, ils sont provocants pour les personnels qu’elle est amenée à diriger.
Administratrice de sociétés, énarque, ancienne magistrate à la Cour des Comptes, on attendait de la ministre Amélie Oudéa-Castéra une autre maitrise du « bien dire ». Son incapacité à répondre à une question prévisible laisse mal augurer de sa capacité de gestion. Car, on le verra plus loin, il ne suffit pas d’être ministre pour que son administration suive…
Attal incapable de distinguer le dire du faire
Gabriel Attal a lui aussi du mal avec le « bien dire ». Pour le premier ministre, dire et faire sont synonymes. « J’ai appelé à un électrochoc sur la question du harcèlement… Nous l’avons fait« , assure-t-il dans son discours du 12 janvier. Comme c’est simple ! « J’ai décidé de mettre en place des groupes de niveau en français et en maths. Je l’ai fait« . Ah bon ? Idem pour la hausse de niveau. Le ministre parle et , hop !, c’est fait.
La réforme est un art d’application
Intéressons nous au « faire ». Car il ne suffit pas que le ministre dise pour que la réforme soit faite. On peut même inverser la priorité. Il faut rappeler la formule de Claude Thélot, lui qui a échoué à porter une réforme. « La réforme est un art d’application« . Continuons avec les bons auteurs, ceux qui ont vraiment travaillé sur le fonctionnement de l’Education nationale et ses réformes. En 2013, Antoine Prost nous confiait : « Le changement c’est tout le monde ensemble. Mais ça suppose qu’il y ait un consensus sur l’école. Or l’alternance politique est en train de désarticuler l’école… Il faut trois ans pour s’approprier un programme. On ne peut pas refaire tous ses cours chaque année. L’école ne peut pas être ballottée par les campagnes électorales« . Quant à l’administration de l’Education nationale, » elle peut soutenir une réforme dont elle est convaincue. Par contre elle est incapable de gérer un changement pédagogique car elle ne sait pas discuter avec le terrain« . Plus difficile que la réforme il y a son application.
Or, dans son aveuglement du faire par le dire, Gabriel Attal laisse un sérieux passif à Amélie Oudéa-Castéra. Il a multiplié les annonces se soucier de la stabilité financière de leur application. Ainsi les groupes de niveau, la mesure phare du gouvernement car elle doit lui ramener les classes moyennes, nécessitent 7750 postes. Les prépa lycées au moins 3000. Le rétablissement du redoublement coutera au moins 20 000 postes. Comme nous l’avons montré, G Attal utilise des artifices pour assurer la rentrée 2024. Mais pour asseoir sa politique il faudra bien qu’Amélie Oudéa Castéra trouve plus de 10 000 postes d’enseignants dès janvier 2025. Alors que le ministère n’arrive même pas à recruter en période de suppressions de postes…
La ministre est-elle capable de porter politiquement ces réformes ?
Mais il y a plus important. Pour que des réformes s’appliquent il faut qu’elles soient portées par une demande sociale. Tout le monde a pu constater quelle est la demande d’A Oudéa-Castéra. Elle balance à la tête de tous les français le séparatisme social des plus favorisés. Les réformes décidées par Gabriel Attal vont dans ce sens. Le redoublement, les groupes de niveau ne vont pas remonter le niveau général. Ces mesures sont là pour décourager les moins favorisés de poursuivre des études et les orienter vers des filières de relégation et le décrochage précoce. Dans un pays où l’Ecole est déjà très injuste socialement, le dernier Pisa a repéré une montée du désintérêt des familles envers l’Ecole.
Attal veut généraliser le tri et l’éjection. Mais, comme nous le disions en décembre, est ce vraiment ce que veut la société française ? Est-elle prête à payer le prix inévitable de cette régression sociale et des plafonds qu’elle met en place face aux espoirs des familles ? Et les enseignants ? La plupart sont entrés dans ce métier pour voir des enfants s’épanouir. Leur vraie gratification c’est la réussite et surtout celle des plus démunis. Les enseignants sont-ils prêts eux aussi à se faire voler leurs espoirs ?
Revenons à la ministre. Ministre des sports elle a déjà les jeux olympiques sur les bras au point qu’elle n’a pas été capable d’écrire un discours de ministre de l’Education nationale. Sur le temps qui lui reste, est-elle capable de porter ces réformes ? Après sa prestation du 12 janvier, est-elle capable de convaincre sa propre administration ? De se faire obéir des recteurs ? Peut-elle mobiliser le public et même les seules classes moyennes sur le projet phare du gouvernement Attal ?
François Jarraud