« Tant qu’il n’y a pas un « choc des moyens » parallèlement au « choc des savoirs », je ne suis pas sûre que les bonnes options ont été choisies ». Nouveaux programmes d’EMC, réforme du brevet, examen d’entrée en lycée : Joëlle Alazard, la dynamique présidente de l’APHG (l’association des professeurs d’histoire-géographie) fait un tour d’horizon des annonces de G. Attal, telles qu’elles sont perçues sur le terrain par les professeurs d’histoire-géographie.
En réponse aux résultats de Pisa, Gabriel Attal a fait une série d’annonces qui concernent tous les niveaux de l’enseignement scolaire. Au primaire le ministre veut refondre les programmes et labelliser les manuels. Qu’en pense l’APHG ?
La labellisation des manuels scolaires ne nous convient pas : nous avons toujours eu la liberté de choisir nos outils pédagogiques, Jules Ferry avait même mis en place le conseil des maîtres pour cela…. Le ministre avait déjà affirmé, en novembre, que les professeurs ne choisissaient que rarement les meilleurs manuels, ce qui a été très mal reçu par les enseignants qui se sont jugés remis en cause dans leurs compétences, méprisés. Nous souhaitons donc conserver la possibilité de choisir nos manuels scolaires, pour œuvrer avec des outils qui nous ressemblent et avec lesquels nous travaillerons bien.
Au collège, le ministre annonce le renforcement des maths et du français aux dépens des autres disciplines avec la mise en place de groupes de niveaux. Avez vous des craintes pour l’enseignement de l’histoire-géo ? Les groupes de niveau sont-ils une bonne réponse à l’hétérogénéité des classes ?
Nous constatons tous que les élèves rencontrent de plus en plus de difficultés avec l’écrit mais nous espérons que l’histoire-géographie ne sera pas menacée : nous contribuons également à la maîtrise de la langue, nos programmes sont ambitieux et les professeurs d’histoire-géographie sont très sollicités pour expliciter l’actualité et répondre aux difficultés de certaines classes. En revanche, prélever des élèves pour une remédiation en maths ou en français va forcément obliger les enseignants à des ajustements parfois contraignants, notamment pour les évaluations.
Les groupes de niveau nous inquiètent. Bien sûr il faut agir pour les élèves en difficulté. Mais assigner des élèves de 6ème dans un groupe de niveau va t-il les aider à progresser ? C’est une mesure qui peut être vécue de manière très violente par des enfants. On peut craindre qu’elle augmente les inégalités car cela va concerner au premier chef des enfants des classes populaires qui ont besoin de plus de temps pour construire solidement leurs connaissances. Nous espérons que les élèves affectés dans le groupe des plus fragiles seront accompagnés par des professeurs particulièrement bienveillants qui leur donneront les moyens de prendre confiance en eux : on sait que celle-ci est un élément essentiel pour se projeter dans sa scolarité et réussir à progresser.
Vous n’avez pas peur que ces groupes de niveau deviennent des classes de niveau ?
Nous craignons une accentuation des inégalités, que les meilleurs ensemble deviennent encore meilleurs alors que les plus fragiles le demeurent. Les collègues les plus chevronnés redoutent même une remise en cause du collège unique. Quand on regarde l’histoire de notre système éducatif, la résurgence des critiques contre la réforme Haby, la montée en puissance des idées conservatrices (la sacralisation de « l’autorité » sans qu’on définisse ce qu’est l’autorité de l’enseignant, le fantasme de l’uniforme scolaire…), on peut le craindre et nous ne souhaitons pas la fin du collège unique.
Gabriel Attal recycle l’idée de culture générale en éducation. Qu’est ce que cela implique pour l’histoire-géo ?
L’histoire-géographie est fondamentale pour l’acquisition d’une culture générale. Nous souhaitons que les horaires restent inchangés et que nos disciplines restent en tant que telles avec leurs repères, leurs notions pour participer à la culture générale des élèves : nous fournissons des clefs de compréhension du monde, des repères culturels sans lesquels il est difficile de s’en sortir en lettres, en langues vivantes mais aussi dans l’acquisition d’une culture scientifique.
G. Attal annonce aussi une énième refonte du diplôme national du brevet. Cette fois ci un équilibre est il trouvé ?
Nous ne sommes pas satisfaits du brevet actuel qui n’est pas assez exigeant intellectuellement, dans ses exercices, dans ses contenus. Les réponses des élèves sont souvent mal rédigées ou indigentes car ils ne se sentent pas tenus de donner le meilleur d’eux-mêmes, ne se préparent pas assez au lycée. Mais la réforme annoncée par G. Attal ne sera probablement pas la dernière, ne serait ce qu’en raison de la réforme de l’enseignement de l’EMC. Nous sommes d’accord pour redonner plus de poids à l’examen final et la modification annoncée, qui porte sur 10% des points, n’est pas énorme. Des collègues sont en revanche ennuyés par la remise en cause des compétences car ils ont repensé leur enseignement en se basant sur leur acquisition. D’autres voient favorablement le retour à avant la réforme de 2016. En réalité il faut à la fois des notes et une évaluation des compétences. Les deux modèles ne doivent pas s’opposer.
Où en est la réforme de l’EMC annoncée par G Attal ?
L’APHG a été reçue par la commission mise en place par le ministère mais tant que celle-ci n’a pas rendu publiques ses conclusions, nous n’avons pas toutes les réponses aux questions que nous nous posons ! Nous savons juste que la place de la laïcité ou celle de l’EDD vont sans doute être renforcées. Quels que soient les programmes qui seront annoncés, nous voudrions que les particularités pédagogiques de l’EMC soient sauvegardées, que les enseignants puissent continuer à organiser des séances de recherche documentaire, des débats argumentés et solidement préparés, des rencontres avec des professionnels, des témoins. Nombre de collègues emploient aussi de ces heures d’EMC pour participer à des concours qui, quand ils exigent des productions collectives, renforcer la cohésion des classes (Prix Samuel Paty, concours de la Flamme de l’Egalité…). Même si les connaissances doivent augmenter, il faudra trouver le moyen de ne pas être dans un simple cours descendant sans quoi certains thèmes peuvent être assommants pour des élèves de collège (sur le fonctionnement des institutions par exemple : mieux vaut comprendre le sens et la raison d’être des organigrammes institutionnels, rencontrer des acteurs de ces institutions…. Plutôt que de les avaler par cœur sans les comprendre !)
On sait qu’il va y avoir un doublement des horaires de la 5ème à la 3ème et cela nous satisfait. Aujourd’hui l’horaire d’EMC est souvent une variable d’ajustement des emplois du temps et est parfois utilisé par des collègues de toutes disciplines pour enseigner autre chose. Nous demandons que la part de l’EMC dans le brevet soit renforcée et que les questions soient fondées sur des connaissances plus solides. L’APHG veut des programmes qui permettent d’avoir plus d’ambitions sur les contenus en préservant la particularité didactique de l’EMC. Cela suppose que les programmes nous laissent de l’espace et de la liberté pédagogique.
Le ministre veut faciliter les redoublements et transformer le brevet en examen d’entrée au lycée. Est ce la bonne réponse aux difficultés des élèves ?
Le ministre s’adresse très habilement aux enseignants. On peut être tentés de penser que la perspective du redoublement poussera certains élèves à travailler davantage… Mais toutes les études vont dans le même sens, le redoublement n’est que rarement bénéfique aux élèves. Nous sommes donc très circonspects sur cette question. On sait que le redoublement est souvent inefficace et que, pour être efficace, il faut qu’il soit accompagné de mesures qui nécessiteraient des moyens.
Sur l’accès au lycée conditionné par la réussite au brevet, on souligne d’abord la nouveauté. Cela n’a jamais été le cas. Certes, il faut des acquis solides pour que le lycée s’engage bien. Mais on peut s’interroger sur l’opportunité de ces classes « prépa lycées ». Que va t-on en faire ? Quels seront les contenus enseignés aux 10% d’élèves qui ne l’ont pas ? On ne voudrait pas qu’elles soient un couperet. On souhaite qu’elles soient une chance pour les enfants des classes populaires pour leurs poursuites d’études.
Gabriel Attal annonce aussi le renforcement de l’histoire-géo en lycée professionnel. C’est une bonne mesure ?
Vu où en était arrivé l’horaire d’histoire-géographie c’est heureux ! 30% des élèves étaient traités comme des citoyens de seconde zone, qui n’avaient plus besoin ou presque d’enseignements généraux ; nous avons eu plusieurs rencontres sous les ministères précédents sans avoir eu l’impression d’être jamais entendus sur le lycée pro, alors que les collègues se sentaient délégitimés et ne cessaient d’alerter sur les besoins de leurs classes. Mais l’inquiétude demeure chez nos collègues PLP, inquiets de la forte promotion de l’apprentissage et de la réforme de la carte des formations : celles-ci seront-elles uniquement pensées selon les bassins d’emploi, et donc selon les besoins des entreprises ?
Toutes ces mesures sont-elles une bonne réponse à la chute de niveau révélée par Pisa ?
On verra ; on ne peut limiter nos ambitions à ce qui est évalué dans Pisa. Des réponses évidentes ne sont pas mises en œuvre comme diminuer les effectifs des classes. Le ministère met davantage de postes d’histoire-géographie aux concours 2024 et c’est une bonne chose, nous avons encore de bons viviers de candidats dans nos disciplines. Mais l’école doit donner des possibilités de s’en sortir aux enfants des classes populaires. Et sur ce point, tant qu’il n’y a pas un « choc des moyens » parallèlement au « choc des savoirs », je ne suis pas sûre que les bonnes options ont été choisies.
Propos recueillis par François Jarraud