Dans ses chroniques, Maitresse C partage le quotidien de sa classe. Aujourd’hui, le ton de maitresse C n’est pas léger. Aujourd’hui, maitresse C parle de la difficulté du signalement. Elle évoque des quelques petits signes qui alertent, du doute, de la procédure… Et du doute encore qui ne quitte plus malgré tout…
C’est la mamie qui parle.
Elle n’est pas une de mes élèves.
Je ne voulais pas l’écrire ce texte, je n’aurai pas du devoir l’écrire.
Dans une société où on porte un véritable intérêt pour l’école, on ne devrait pas avoir à écrire cela. Véritable intérêt ? Je veux dire par là qu’il ne s’agit pas uniquement de pédagogie ou de didactique, je veux parler de l’éducation, au sens général, pas seulement nationale.
On devrait éduquer la communauté des adultes qui ont à voir avec les enfants, les parents, les grands parents, les oncles, les cousins… Quand des pulsions inadaptées cognent au cœur et au corps, où va -t-on les déposer, les sceller sous sceau de cire, à jamais et pour toujours ?
Elle, je l’appellerai ainsi, en pensée pour toutes les filles à qui c’est arrivé, à qui ça arrive, à qui ça…,
Elle est un peu agitée, un peu « toujours à traîner dans les mauvais coups ». Je le constate un jour, où ma collègue est absente.
Toujours à traîner dans les mauvais coups » c’est ce qu’on dit d’elle, alors qu’elle n’a que 4 printemps. Comme si son regard un peu trop fixe et son visage en amande justifiaient des jeux d’un autre âge.
On se plaint de son agitation comme on dit d’un chien qu’il a des vers.
Elle se bagarre, joue uniquement avec les garçons, n’a pas de copines.
Elle se prend des coups, en donne autant.
L’histoire aurait pu en rester là si quelques remarques n’avaient alerté ma collègue, qui, un soir d’inquiétude m’en parle sous couvert du secret.
« Elle m’inquiète. Elle pleure, elle est triste. Elle a fait une crise parce que sa mère partait en déplacement pour quelques jours. Elle fait des dessins étranges. Elle parle de bisous, de pas parler, de prison, qu’il faut être sage. Elle a mal à l’entrecuisse. »
Un signalement sera fait, une enquête menée. Des proches en alerte, inquiets, troublés, sur la défensive.
La grand-mère avouera un soir de fatigue qu’« elle a tout noté »(les dires de sa petite fille).
Rien ne sortira de l’enquête. Des parents, inquiets, forcément, comment ne pas l’être ?
Et puis, l’ère du soupçon, du doute s’immisce dans les recoins des cerveaux et que, telle la gangrène, avance à pas feutrés, aujourd’hui et demain, tissant sa toile.
J’observe, à regard dérobé le père le matin. Je le trouve singulier, avec sa bouche lippue et son bisou de bonne journée.
« Elle va mieux, en ce moment, vous ne trouvez pas ? » interpelle-t-il ma collègue.
Que répondre à l’injonction ?
Ne saurons-nous jamais le fin mot de l’histoire ? Pourrons-nous un jour tutoyer la vérité et la regarder sans ciller ?
A quels jeux a-t-elle joué du haut de ses 4 étés ? Quels films a-t-elle vus du haut de ses 4 automnes ? Quelle pratique lui a-t-on intimée de pratiquer du haut de ses 4 hivers ?
Maitresse C.