Michèle Artigue est professeure des universités, didacticienne des mathématiques. Pour la spécialiste, si les résultats sont en chute, elle s’attendait néanmoins à pire. Et selon elle, la raison principale du mauvais score des élèves français se trouve principalement dans le système lui-même : alternance incessantes de réformes, manque de formation des enseignantes et enseignants… Elle s’inquiète d’ores et déjà des annonces du ministre attendues cet après-midi.
Que vous inspirent les résultats en mathématiques du PISA 2022 ?
Je m’attendais à pire. On se trouve dans la moyenne des pays de l’OCDE, comme lors des précédentes éditions. Nos résultats restent comparables à l’Allemagne et d’autres pays européens. Il n’y a pas de dégringolade faramineuse. Ces résultats sont nettement moins mauvais que pour TIMSS.
Entre 2018 et 2022, dans tous les pays, le niveau baisse. La situation de la pandémie a eu des effets massifs. En Amérique latine, par exemple, les enquêtes et les données de la banque mondiale montrent une perte de niveau équivalente à un retard de 10 ans. En France, il y a certes une baisse du niveau en mathématiques, mais elle est limitée.
On note aussi que les élèves français ont toujours du mal à modéliser, ce qui ne m’étonne pas. Alors que la compétence de modélisation est au programme depuis plus de dix ans, on voit bien que les activités proposées aux élèves sont encore très artificielles et qu’elles ne permettent pas de modéliser mathématiquement une situation de vie quotidienne.
Comment l’expliquez-vous ?
Contrairement à d’autres pays, la France n’a pas pris en compte les alertes des dernières éditions du PISA. L’Allemagne, par exemple, après le choc PISA de 2 000, avait tout de suite adapté son enseignement des mathématiques à la vie quotidienne. Autre exemple, les Pays-Bas où, traditionnellement, l’enseignement des mathématiques met en avant des pratiques quotidiennes pour motiver l’introduction des concepts mathématiques. Sur les questions du raisonnement, les élèves français ne sont pas plus mauvais que les élèves des pays de l’OCDE.
En France, nous sommes plus dans un enseignement des mathématiques internes : le raisonnement, la preuve… C’est bien entendu très important, mais on met moins d’accent sur la modélisation de situations qui viennent de la vie quotidienne. Beaucoup d’initiatives existent pour essayer de développer ces capacités, mais on se heurte au fait que le système éducatif est malmené.
Qu’est-ce qui malmène le système éducatif ?
Dans notre article paru dans le dernier numéro de la Revue de Sèvres consacré aux mathématiques, on montre que les réformes incessantes ont un effet négatif sur les performances des élèves. Une réforme a besoin de dix ans pour montrer de premiers effets, il faut qu’elle soit accompagnée dans la durée et que les enseignants soient accompagnés eux-aussi.
Une réforme doit être vue comme une perturbation écologique. En France, on ne prend pas la peine d’implémenter une réforme qu’on passe à une nouvelle sans évaluer les effets de la précédente, sans analyser les raisons des échecs précédents. Une réforme a besoin de temps, un temps en dehors du temps politique. Elle a besoin d’être régulée au fur et à mesure en évaluant, en prenant des informations. Réguler, ce n’est pas faire une autre réforme.
Et puis, pour être efficace, une réforme a besoin de consensus. Il faut qu’elle soit acceptée par les enseignants, les formateurs d’enseignants, qu’elle soit le fruit d’une action collective bien pensée et négociée. Aujourd’hui, les réformes sont imposées par le ministère. Et les acteurs savent qu’à la prochaine alternance politique, le système changera encore.
Les annonces que va nous faire le ministère dans les prochaines annonces seront sans aucun doute fracassantes. La communauté mathématique et scientifique demande depuis plusieurs semaines à ce qu’il y ait concertation dans la durée, à ce que l’on ne se précipite pas, à ce que rien ne soit décidé sans consensus.
En somme, je crains personnellement que les annonces d’aujourd’hui n’apportent des perturbations à un système déjà malmené, sans l’améliorer. Le système a besoin d’être amélioré, c’est certain, mais il lui faut du temps. Le temps de la concertation, car, encore une fois, une réforme qui marche, c’est une réforme acceptée par les acteurs.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda