Le Cafe pédagogique vous propose de redécouvrir les pépites des précédents Forum des enseignantes et enseignants Innovants. Et si c’était vous pour le FEI12?
Peut-on pratiquer un sport de haute intensité tout en permettant à tous de réussir ? Bruno Méar, enseignant au Lycée Professionnel Roger Deschaux de Sassenage (38), a présenté au Forum des enseignants innovants une démarche d’enseignement de la course de vitesse-relais. Des choix ciblés le conduisent à privilégier dans son cycle le « courir vite », en prenant appui sur l’utilisation de tablettes, qui grâce à la vidéo peuvent aider tous les élèves à franchir des obstacles…
Pourquoi avoir choisi l’activité vitesse-relais pour vos élèves ?
Les adolescents ont rarement l’occasion, y compris en EPS, de s’engager dans des actions physiques de très haute intensité, à vitesse maximale. De plus, quand on propose un cycle de course de vitesse, on constate que les meilleurs viennent pour se confronter, se défier. Et que les autres viennent… en trainant des pieds, certains d’obtenir de mauvais résultats, se sentant dévalorisés. Bref, soit ils se défient, soit ils se défilent ! Faire réussir chacun, et engager chacun dans un processus d’apprentissage nécessite de définir des objets d’enseignement signifiants, accessibles, révélateurs de la compétence à acquérir. Mais alors, dans des actions réalisées à grande vitesse, les mesures objectives permettant de révéler les compétences sont délicates à mettre en œuvre. Les tablettes, et l’usage facile de la vidéo sont une réponse pertinente à ces obstacles.
Pourquoi avoir choisi le courir vite dans vos priorités ?
Je me suis rendu compte qu’en un seul cycle les élèves sont capables d’acquérir la notion de transmission du témoin. Je me suis donc dit qu’il fallait leur apprendre à courir vite. Bien transmettre à vitesse lente n’a pas d’intérêt véritable. J’ai donc décidé de faire un cycle en classe de première axé autour de la course de vitesse. En reprenant les propositions de Régis Dupré et Daniel Janin (enseigner la vitesse, 2002), j’ai souhaité centrer un cycle sur le départ et la mise en action. Cela signifie donc d’être capable pour les élèves de se connaître et de savoir « à quelle distance je pose mon 10ème appui et quel temps je fais au 10ème appui. »
Pourquoi au 10ème appui ?
Cela ne sert à rien d’augmenter l’amplitude, par exemple en faisant des foulées bondissantes et en diminuant la vitesse. Je définis l’athlétisme comme construire SON propre temps et SON espace, donc son rapport espace-temps, c’est-à-dire en course son rapport fréquence-amplitude. Donc il faut mettre en lien constamment la distance et le chronomètre. Le 10ème appui (ou 5ème coup de pied avant) est un repère signifiant de la mise en action, pour le niveau de nos élèves.
Quels sont les enjeux d’apprentissage sur le courir à intensité maximale ?
Je ne vais pas vraiment miser sur le développement des ressources bioénergétiques, neuromusculaires, parce qu’on a assez peu d’impact avec le temps imparti des cycles. En revanche, les dimensions techniques sont prioritaires. Je les développe beaucoup pendant l’échauffement des élèves : toute la partie mise en route cardio-vasculaire, musculaire est associée à un travail de placement, à des préoccupations techniques. L’observation -fine- , avec l’utilisation de tablettes, opérationnalisent aussi les enjeux de solidarité, de co-construction de ses savoirs, de responsabilité.
Quelles sont ces techniques à apprendre selon vous ?
Trois phases sont importantes. Tout d’abord le placement : c’est une pose d’appui qui est à la verticale du centre de gravité et sur l’avant-pied propulseur, en diminuant au maximum les phases d’amortissement talon-plante. Ensuite c’est le travail du bassin, en essayant de sentir un bassin qui est fixé haut avec des impulsions complètes. Troisièmement, des segments libres qui sont dans l’axe de déplacement : toutes les forces de poussée doivent être dans l’axe de déplacement, à savoir vers l’avant.
Quelles stratégies d’étayage utilisez-vous pour ce travail technique ?
Je travaille sur du ressenti, en leur donnant des repères. On travaille à l’échauffement sur des exercices différents comme des foulées bondissantes, des décompositions de foulées, de la course en jambe tendue pour qu’ils ressentent ce qu’est la course en griffé, qu’ils placent leur bras correctement. L’utilisation de plots (18 à 21 cm) favorise également le cycle de jambes antérieur, que beaucoup de nos élèves ne maitrisent pas encore. Il faut le faire à l’échauffement parce qu’à vitesse maximale, c’est beaucoup plus difficile. Eventuellement, j’ai toujours la possibilité de les filmer. Parfois en se voyant, ils prennent davantage compte de leur placement.
Revenons à votre proposition de cycle. Pouvez-vous nous détailler votre démarche ?
Je travaille plusieurs thèmes d’étude au cours de ce cycle. Le premier thème d’étude est la distance au 10ème appui et le chronomètre au 10ème appui, c’est-à-dire travailler la mise en action et le départ. Le deuxième thème d’étude consiste à connaître sa longueur de foulée de sprint. Pour cela, il faut prendre des repères au 20ème appui (faire la soustraction entre le 20ème et le 10ème appui, puis diviser par 10). En terme d’évaluation, ils seront uniquement notés sur l’écart entre ce que l’élève annonce et ce qu’il réalise. Tous les élèves sont donc en capacité de réussir et d’avoir une bonne note, quelque soit leur vitesse de course.
Les élèves sont regroupés de la façon suivante dans la leçon : un trio va courir et va répéter 3 fois 30 mètres. Dans la séance, les élèves doivent faire 2 séries de 3×30 mètres. Dans le trio d’observateur, j’ai 1 observateur et 1 secrétaire qui a la fiche de suivi.
Pourquoi cette évaluation ?
Dans une activité saturée en qualité physique, noter la performance, c’est noter les parents, leur patrimoine génétique. Dès lors que tous les élèves s’engagent au maximum de leurs capacités, le chrono n’a que peu d’intérêt. Il me sert juste à valider la régularité des réponses, donc des acquis. Une partie de la note est donc dédiée à l’écart entre le 30m le plus rapide et le plus lent. L’essentiel de la note est basé sur l’écart entre ce qui est annoncé et ce qui est réalisé, pour la distance au 10ème appui et la longueur moyenne de foulée. Avec un barème exigeant, qui impose un travail et des répétitions : 20cm d’écart au 10ème appui, 10cm sur la longueur de foulée, pour avoir le maximum de points. Au-delà de 80cm au 10ème appui, et de 30cm en longueur de foulée, il n’ y a pas de points !
Quels repères donnez-vous aux élèves pour observer ces deux thèmes d’étude ?
Effectivement cibler des contenus précis à enseigner est un préalable, encore faut-il être capable de donner aux élèves des critères précis à observer, ce qui est d’autant plus difficile lors d’actions réalisées à grande vitesse. Plusieurs étapes m’ont été nécessaires pour y arriver. En premier lieu, la mise en œuvre se faisait avec un décamètre déplié le long de la piste, et un chronométrage manuel des élèves. Cela nécessitait un temps d’apprentissage (brevet de chronométreur validé par les élèves en 2 séances environ) et beaucoup de concentration et d’attention, mais des erreurs persistaient. Puis grâce au soutien de Canopé qui m’a prêté 4 tablettes, j’ai opté pour une mise en œuvre différente en utilisant l’application « Hudl technique ». Cette application gratuite permet des ralentis avec des chronomètres indexés. Malgré tout, les prises de vue permettent difficilement les mesures de distance. C’est pourquoi, dans un deuxième temps, j’ai fait construire par les élèves de l’atelier « bois » et « peinture » du lycée, des planches de bois graduées. Ces planches sont posées le long de la piste. Avec cette forme de travail, je trouve que la mise en œuvre est satisfaisante, en lien avec la construction de fiches d’observation. Les élèves adhèrent plutôt bien, les comportements déviants sont rares.
Combien de temps ça prend à l’observateur pour faire ce retour en direct ?
C’est très rapide, moins de 2 minutes. C’est aussi très précis. L’application permet de compter les appuis, de lancer un chronomètre pour des résultats justes, au centième de seconde, ce que je ne pouvais pas obtenir sans.
Diriez-vous que l’utilisation des tablettes est un plus en EPS ?
Jusqu’à présent j’observe que l’utilisation du numérique en EPS est souvent quelque chose de joli, qui est motivant. En même temps ça remplace juste artificiellement ce qu’on est capable de faire avec un papier et un crayon. D’un autre côté, on peut aussi utiliser certaines applications qui vont transformer nos pratiques, comme par exemple l’utilisation de « PhotoFinish » pour l’apprentissage du cassé en vitesse ou l’utilisation de « Hudl technique » que j’utilise. L’idée est donc de cerner des objets d’apprentissage qui donnent du sens. L’usage de la tablette me permet également de proposer des situations nouvelles, qui n’auraient pas pu être envisagée sans. Cela a facilité l’apprentissage, bien que la tablette ne soit pas suffisante en soi. En effet, il faut aussi réfléchir sur le recueil de données, sur l’apprentissage des prises de vues (savoir filmer et interpréter ensuite).
Il ne faut pas oublier non plus mon public scolaire plutôt difficile (élèves de LP Bâtiment). Je considère que l’école se doit de donner une éducation au numérique pour mes élèves. C’était pourtant difficile de faire accepter dans mon établissement l’utilisation des tablettes par peur de la casse, du vol. Mais cette expérience (avec notamment un prêt de tablettes de Canopé) me montre qu’il n’y a rien eu de cela. Ces élèves se sentent peut être davantage considérés, respectés, et ont le sentiment que, pour une fois, l’institution leur fait confiance.
Propos recueillis par Antoine Maurice et Benoît Montégut