Dans ses chroniques, Maitresse C partage le quotidien de sa classe. Aujourd’hui, elle raconte aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique son projet de prêt de jeux avant les vacances d’automne.
C’est bientôt les vacances mais c’est pas encore l’hiver. Les frimas du matin sont pourtant là pour nous rappeler que ça vaut la peine de mettre l’écharpe molletonnée ou le bonnet fourré. Non, le temps s’affiche déjà hivernal, les matins gris souris et les sourires crispés.
Les vacances sont pour les enseignants ce que le chocolat est au pain : attendues avec impatience, souvent mirifiées, dégustées sans modération, dévorées avec précipitation et qui laisse un goût doucereux et inachevé dans la bouche et une étrange amertume. Alors on en est là, sur le perron de l’école dans l’attente de ce moment que l’on voudrait inoubliable et qui n’est bien souvent qu’une mise en reflet de nos instants quotidiens.
Pour ces vacances, je propose aux enfants et donc à leurs parents d’emmener un jeu de société à la maison. La question du choix se pose :
choix de l’élève ? qui veut profiter du jeu pour lui tout seul sans devoir supporter le collectif,
choix des parents ? qui veulent prendre un peu de temps et qui pour une fois se dégageront de leurs obligations sans un regard pour leur passé,
choix de la maîtresse ? qui veut faire travailler une compétence pas encore atteinte et qui se déleste des valises de culpabilité qu’elle promène au hasard de ses classes.
Quelques-uns répondent par l’affirmative, d’autres refusent, certains ont d’autres chats à fouetter, comme ces lettres qu’on a oubliées d’envoyer et qu’au soir de nos vies, on se rappelle ces moments fugaces où la vie aurait pu se conjuguer ailleurs.
La maman d’E. me répond par mail, me signalant :
Bonsoir
Tout d’abord merci pour cette belle attention oui nous sommes intéressés E. et moi .
Encore merci et bonne soirée à demain
Je m’y attendais un peu à cette réponse, de la part de cette maman. Elle est soucieuse de la réussite de son fils. Elle me demande de l’informer si j’avais quelque inquiétude. Elle s’inquiète, cette maman trop alerte. Elle pressent que l’école ne va pas garantir les mêmes trajectoires à son fils qu’aux autres enfants.
Alors oui ! Par Jules Ferry ! Prêtez-nous un jeu de société ! Que l’on apprenne un peu plus à défaut de comprendre ou de décoder les usages et habitus qui font que l’on réussit à l’école.
J’en parle avec « mon ASEM ».
Les doubles guillemets sont nécessaires : c’est Mon ASEM, celle qui fait que les journées de classe seront plus douces ou pas, celle qui fait que les enfants(petits) seront chouchoutés un peu plus, quand la maîtresse, figure tutélaire, se plie à son rôle, tance et contraint. J’ai beaucoup de chance, Mon ASEM donc, appartient à la famille fort peu nombreuse « des bonnes fées ». Je lui dis, y compris devant les élèves. Ca lui fait plaisir. Elle me le rend bien.
ASEM donc car notre pays a le goût des acronymes et je me demande toujours ce que les enfants comprennent quand dès leur plus jeune âge, on leur dit que leur école est en REP, que PISA n’a pas rendu de bons commentaires, qu’il faut remplir leur PAI pour qu’ils arrivent à un horaire décalé suite à un rendez vous médical, et qu’ils ont APC à 15h…
Mon ASEM valide le fait de prêter des jeux.
Le lendemain, les élèves emportent leurs jeux.
Je dis à la maman d’E que j’ai choisi un jeu qui aidait à compter.
« Ah me dit-elle, c’est bien !!! Oui c’est vrai qu’il n’est pas très bon pour compter. Ça va nous faire du bien ! J’suis pas bonne en maths, moi aussi ! »
Je la regarde, mon sourire gêné affiché sur mon visage. Cette femme qui s’avoue « pas bonne en maths (elle non plus) » n’hésite pas à clamer son incompétence en la matière. Je suis touchée par son honnêteté, sa franchise, son absence de pudeur même pas impudique.
Elle me sourit. Je ne saurai jamais si elle devine ou comprend ma gêne.
D’un sonore « Bonnes vacances maîtresse et merci encore ! », elle quitte la classe.
Y’a des jours, je les aime ces parents !
Maitresse C.