Dans la circonscription de Tourcoing/Roncq, depuis une douzaine d’années, la conseillère pédagogique Martine Drodzinski intervient dans le champ de la lutte contre le harcèlement en invitant à rencontrer l’autre dans le cadre de relations harmonieuses. Elle dresse un catalogue, non exhaustif, des différentes actions mises en place dans les écoles de Roncq, Halluin, Bousbecque et Neuville en Ferrain.
L’importance de libérer la parole est fondamentale, avec A. Giordan que j’ai pu rencontrer lors de mes nombreuses formations et à qui je rends hommage, il nous a quittés en mai dernier, nous conversions souvent autour de toutes ces moqueries, incivilités, disputes qui entravent la belle harmonie de certaines classes.
Il me disait souvent, « il faut travailler Martine autour des émotions, autour de l’estime de soi ».
Aussi depuis une dizaine d’années, tous les cycles 1 de ma circonscription ont été formés autour de l’estime de soi. Ils ont pu rencontrer également en formation le professeur Delion, pédopsychiatre reconnu de la région du Nord, qui leur a expliqué les pulsions de violence qui nous animent toutes et tous. Avec toutes ces rencontres et discussions j’ai pu concevoir un défi autour des émotions.
Il faut être à l’écoute, ne jamais minimiser quand un élève vient nous dire, je me sens mal, ils sont méchants, il frappe….
Mais aussi observer. Un élève assis dans un coin, tout seul à la récréation, ça dit quoi ?
Et c’est ainsi que des bancs de la fraternité ont vu le jour.
Quand les enfants harcelés n’osent pas parler, il faut pouvoir repérer le mal-être. Donner aux parents les « signaux » qui doivent les alerter : le refus de l’école par exemple. Aussi à partir de la semaine prochaine tous les professeurs des écoles de la circonscription participeront à une formation autour de la phobie scolaire menée par la psychologue scolaire de la circonscription en lien également avec la présentation au printemps dernier par l’équipe de prévention pHARe des marqueurs forts énoncés par le médecin scolaire, partenaire du dispositif pHARe.
Il est primordial de créer un climat scolaire où adultes et élèves se sentent respectés et soutenus. C’est également, une de mes missions, « aller dans les écoles et accompagner les enseignants dans leurs questionnements afin d’éviter les actes de violence ».
Je tente de sensibiliser les enseignants à l’écoute, mais aussi afin qu’ils puissent accompagner les élèves à développer l’estime de soi et la confiance en soi. Et pourquoi pas, inscrire des “moments d’estime de soi” en classe, par le biais du théâtre interactif, des jeux de rôles… S’il est différent, physiquement ou psychologiquement – petit, maigre, roux, de couleur ou précoce, l’élève peut être pris pour cible. En travaillant sur l’estime de soi, l’enfant va apprendre. S’il comprend le mécanisme, il peut réagir. Il saura résister aux harceleurs.
Déclencher les débats et les analyses
Par exemple le théâtre a permis à tous les élèves de cycle 3 de Roncq et grâce à la municipalité, de travailler autour d’une pièce « Simon la Gadouille » avec des comédiens autour de cette question sensible. Ce spectacle interroge entre indifférence et curiosité le rejet et l’intégration, les moquerie et l’admiration. « C’est l’histoire d’une réparation et d’une réconciliation. Tous les thèmes y sont abordés, la peur de l’autre, la compétition, les modèles archétypaux, la maîtresse, le professeur, la mère, le destin, et puis surtout le monde de l’enfance comme étant le socle de la construction d’un être avec ses désirs profonds et ses rêves ». Le sens de l’amitié est analysé : « c’est quoi être ami ? C’est quoi être ennemi ? Mon meilleur ami : c’est qui, pourquoi ? ». S’ensuit un débat : « comment un effet d’exclusion peut arriver? Et comment peut-il se traduire ? Surnoms / sobriquets / insultes ». Cette invitation à jouer avec le sens des textes invite les élèves à découvrir le texte de Simon la Gadouille et permet de mettre des mots sur l’expérience de lecture et surtout sur sa compréhension. La question d’amitié et de trahison entre deux écoliers, cette façon dont chacun est accepté ou rejeté par le groupe selon ses aptitudes avec ce sobriquet « Simon la Gadouille » n’est pas sans évoquer une forme de harcèlement.
Plusieurs autres œuvres littéraires ont permis et permettent aux élèves de travailler sur les différentes formes de harcèlement : le livre « moqueuse » de Somers Nathalie, ou la nouvelle de Guy De Maupassant « le papa de Simon » (qui permet de décoder une situation de harcèlement au XIXème siècle avec des échos bien contemporains).
La lutte contre la discrimination passe par l’acceptation de la différence et l’éducation au « vivre ensemble ». En mettant l’accent sur ce qui va favoriser les apprentissages, en responsabilisant les élèves, en leur donnant la parole, en allant puiser dans les textes, pour qu’ils prennent conscience des injustices et puissent développer leur empathie. Chaque élève pourra alors « se sentir à sa place ».
Des actions aussi permettent de sensibiliser les élèves. Celle des « petits journalistes en herbe » en lien avec la Voix Du Nord qui a permis cette année à une classe de réaliser un article autour du cyber harcèlement en lien avec une policière invitée dans la classe pour débattre. Au sein de la circonscription, tout un travail est mené avec la police sur le cyberharcèlement. Une police qui préconise de « réguler » plutôt que d’interdire.
J’interviens aussi dans les classes de Cycle 3 à partir de vidéos et affiches réalisées dans la classe de Me Grouwet, enseignante à l’école Macé d’Halluin, dans le cadre du concours de lutte contre le harcèlement à l’école.
C’est donc un travail d’équipe, psychologues, médecins scolaires, CPC, parents associations qui permettra de poursuivre l’action de lutte contre le harcèlement. L’Unesco rappelle que « les écoles sont supposées offrir un cadre sécurisé et favorable au développement». La violence à l’école, la discrimination et le harcèlement ont un impact conséquent sur la santé, le bien-être et l’éducation des enfants et adolescents qui en sont victimes. Apprentissage et devenir en sont impactés. Pour sortir de l’ombre, il faut que le harcèlement soit identifié comme tel, mais aussi, plus en amont, il faut qu’il soit énoncé .Textes, vidéos, affiches nous aident à identifier les conflits entre pairs.
Pour que la lutte contre le harcèlement soit efficace, elle doit s’inscrire dans un temps long, celui de la prévention, celui aussi de la vigilance au quotidien.
Martine Drodzinski