Ils étaient nombreux et nombreuses Place de la République, lundi 16 octobre à 18 heures. Enseignants, enseignantes, responsables politiques, parents, mais aussi élèves. Le message ? Dire non au barbarisme. Dire leur soutien à la famille, les proches, les amis de Dominique Bernard. Dire leur soutien à l’équipe éducative de la cité scolaire Gambetta d’Arras et à l’ensemble des enseignants et enseignantes. Ils étaient là aussi pour alerter. « Quand les terroristes s’attaquent à l’école, ils s’attaquent à nous tous », nous confie Farida, professeure en classe préparatoire littéraire.
« Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, il est insupportable d’avoir à revivre le même effroi. Quand l’école devient une cible et que les professeurs sont attaqués pour avoir fait leur métier, l’État doit prendre toutes mesures pour assurer la sécurité des personnels et des élèves » a déclaré la porte-parole de l’intersyndicale éducation Île-de-France à l’origine du rassemblement. « L’école doit continuer à œuvrer pour que les jeunes puissent devenir des citoyens conscients et émancipés. Elle doit être dotée de tous les moyens nécessaires pour lutter contre toutes les formes de fanatisme. Toute la société doit accompagner l’école et la soutenir dans cet objectif ». « Nous appelons chacune et chacun à s’abstenir de toute instrumentalisation. Nous vous demandons de respecter le deuil de notre profession » a-t-elle prévenu avant que ne débute la minute de silence.
Émotion et colère
« Notre école tiendra, nous tiendrons », nous confie Arnaud, l’un des enseignants présents. Professeur de mathématiques dans le 77, il a juste eu le dire d’attraper un RER après ses cours au collège. « Je suis là pour dire ma solidarité, je suis là pour dire touché, mais pas coulé ». « Mais je suis là aussi pour dire ma colère. Pour dire ma colère contre les gouvernements qui se succèdent depuis vingt ans, pour leur dire que si on en est là, c’est de leur faute » gronde l’enseignant, la voix vibrante d’émotion. « Depuis vingt ans, on exclut de plus en plus, depuis vingt ans, on stigmatise de plus en plus, depuis vingt ans, on nous divise. Si on attaque l’école aujourd’hui, c’est parce qu’on ne l’a pas laissé faire son boulot : émanciper les jeunes, les préparer à vivre ensemble, les préparer à faire société ».
Farida est accompagnée de son fils de 16 ans et de son conjoint. Elle enseigne en classe préparatoire littéraire. « On a poignardé un enseignant, on a attaqué les membres d’un établissement, car ils représentent le Savoir. Ce n’est pas l’École qu’on attaque, c’est notre société », explique-t-elle. « Il était donc normal que nous venions en famille ». « Réduire cette attaque à une attaque contre l’École, c’est minimiser la responsabilité collective que nous portons tous. On espérait que l’assassinat de Samuel Paty réveillerait les consciences, qu’on se rendrait compte que notre pays, notre société va mal, très mal. L’attaque terroriste de vendredi montre bien ce que nous, enseignants, nous savions. Notre société est fracturée. D’un côté le fondamentalisme gagne du terrain, de l’autre le racisme et la haine en gagnent. Et nous, profs, humanistes, on est au milieu de tout ça. Comme nos élèves » souffle-t-elle, émue.
Eléonore est assistante d’éducation. Elle est du rassemblement parisien avec deux collègues, Julien et Aurélien. « J’arrête pas de jouer la scène dans ma tête. Je sais que c’est bête, mais si c’était arrivé dans mon collège d’Anthony, ben y aurait eu de grandes chances que je sois morte, moi ou un collègue… » raconte-t-elle. Tous les matins, Eléonore, ou un de ses collègues surveillants est à la porte de l’établissement. « C’est nous qui vérifions les carnets de correspondance. Quand y a des soucis, c’est nous qui sommes en première ligne ». « On aurait fait quoi si un type s’était présenté à la porte avec un couteau ? » interroge la jeune femme émue. « Je suis mal payée, je suis déconsidérée et maintenant j’apprends qu’en plus je peux mourir en exerçant mon travail ».
Lilia Ben Hamouda