Un jeudi sur deux, Daniel Gostain, enseignant spécialisé, membre de la FNAREN, et Jacques Marpeau, docteur en sciences de l’éducation, nous proposent de décortiquer certaines notions pour en faire un sujet de réflexion, pour ouvrir le débat, afin de mettre en relief les enjeux qui découlent de leur utilisation.
Les effets bénéfiques de la confiance en soi
La confiance en soi réside dans un sentiment de sécurité intime et profond. Elle nait chez l’enfant de la conscience de ses capacités et de ses ressources dans un milieu sécurisant lui permettant d’expérimenter sans danger son environnement.
Elle se vérifie et se développe dans les situations nouvelles, inconnues ou à risque quand l’enfant peut s’appuyer sur des personnes fiables qui reconnaissent ses capacités, l’alertent sur ses limites et confirment ses progrès.
La confiance en soi ne peut-être inculquée. Elle ne peut-être qu’élaborée par l’enfant lui-même dans sa confrontation aux situations nouvelles et insécurisantes. Il fait alors l’expérience de ses capacités réelles à affronter son insécurité, tout en mesurant ses prises de risque. Les repères construits dans les situations, déjà vécues comme étant proches ou similaires, lui permettent d’apprivoiser l’inconnu (« J’en ai vu d’autres »).
La confiance en soi est la base de la reconnaissance et de l’énoncé des envies, des plaisirs, et des centres d’intérêts personnels. C’est parce qu’un enfant a confiance en lui, qu’il peut interagir avec les désirs d’autrui, sans imposition ni soumission. La confiance en soi est chevillée à l’estime de soi, qui repose sur l’organisation d’une image gratifiante de soi. Elle permet la « continuité de soi », c’est-à-dire la traversée, sans effondrement majeur, des situations de désarroi et de doute. L’enfant est alors en capacité de faire perdurer une image gratifiante de lui-même dans les situations d’insécurité. Il peut ainsi se vivre comme étant « en devenir » grâce à ses propres changements.
La confiance en soi s’observe dans l’aisance corporelle et relationnelle, mais aussi, de façon plus subtile, dans l’aptitude à différer, dans la capacité à assumer le manque, la perte, le renoncement et la frustration. Elle se traduit chez un élève par la conscience de ses propres limites et de sa vulnérabilité au regard d’une évaluation pertinente de ses capacités.
C’est un rapport à soi-même fondé sur la confiance en soi et l’estime de soi qui rend possible la gestion sereine des émotions, la maîtrise de soi, la distanciation des stimulations et des sollicitations externes. La capacité de réflexion, de choix et d’engagement dépendent aussi de la confiance que l’enfant s’accorde à lui-même.
Ainsi, c’est la confiance en soi qui permet à un élève de « se présenter » en assumant son et ses identités, son histoire, ses filiations et ses appartenances dans leurs aspects tant difficiles que valorisants. C’est aussi la confiance en soi qui permet à un élève d’accéder à l’humour et à la créativité, qui font appel à la « bi-association », c’est-à-dire à la capacité de faire cohabiter deux images mentales en décalage. Elle permet surtout à l’enfant de « se faire confiance », c’est-à-dire de faire confiance à l’inconnu de soi et se projeter dans un Soi en train de grandir, de se transformer et d’advenir en tant qu’Autre, et cependant toujours soi-même.
Les effets du manque de confiance en soi
Sans la confiance en soi et sans l’estime de soi, un enfant ne peut ni se projeter, ni grandir. Faute de confiance en soi, il est dans l’annulation de lui-même et dans la soumission aux attentes et aux désirs d’autrui. Ne pouvant affirmer qui il est, il se réfugie dans l’inauthenticité du paraître en se structurant dans un « faux soi ». Manquant d’estime de lui-même, il se construit dans une identité de « mauvais objet » : « Je suis nul, je n’y arriverai jamais, c’est de ma faute si tout va mal… ».
Le manque de confiance en soi induit chez un élève des « mouvements » d’affects instables et incompréhensibles pour l’enseignant, parce-que se donnant à voir dans des comportements, contradictoires. Tantôt, l’élève se réfugie dans l’annulation de lui-même, tantôt il traduit son mal-être dans la survalorisation factice de la vantardise. Les alternances de doute et de toute-puissance se traduisent par une instabilité dans ses choix, avec des surinvestissements suivis de désinvestissements. Il y a sur ou sous-estimation de ses capacités. L’élève ne pouvant assumer ses fragilités et ses limites peut passer d’un sentiment d’impuissance à un sentiment d’invulnérabilité, s’exprimant dans des conduites à risque et par la tyrannie vis-à-vis d’autrui.
Chez un élève, l’absence de confiance en lui-même génère une insécurité dont il ne peut identifier ni l’origine, ni la nature. Il y a mise en péril de la continuité de lui-même avec angoisse d’effondrement et d’abandon dans les moments dépressifs, dont le symptôme est « la boule au ventre ». Cela est associé à des difficultés de maitrise de ses émotions, avec des envahissements et des inhibitions qui le désignent comme une proie facile au harcèlement. L’absence de confiance en soi, lié à un manque d’estime de soi, installe l’enfant dans un sentiment de précarité affective, émotionnelle et relationnelle. Le doute, l’incertitude et l’inconnu sont vécus comme menaçant un équilibre déjà précaire. Étant en insécurité, il ne peut ni perdre, ni attendre, ni se contenir, en vue d’une gratification, ou d’une reconnaissance ultérieure. Il peut alors réagir par des violences et des passages à l’acte qui viennent confirmer son image de mauvais objet.
L’élaboration de la confiance en soi dans le cadre scolaire
Un enseignant peut démontrer à ses élèves qu’être nul n’est pas possible et que cette affirmation cache quelque chose qui est souvent un « défaut/qualité ». Ainsi, la peur qui peut être perçue comme un défaut, parce que pouvant inhiber, est en même temps une qualité qui alerte sur un danger, donc sur un enjeu. Énoncer sa peur permet alors d’en faire une ressource.
Un enseignant peut penser des dispositifs, mais aussi susciter et profiter des moments et des occasions permettant aux élèves de :
– Dire JE et signer leurs actes et leurs propos en première personne.
– Se présenter avec ses points forts et ses points faibles, mais aussi ce que l’on a d’unique. « Je suis ! » et je suis reconnu comme étant un tel, avec mes particularités me différenciant de tout autre.
– Jouer aux présentations réciproques valorisantes : un élève se fait présenter par son binôme avec ce qu’il admire, ce qui peut être amélioré et ce qui est unique chez lui, et réciproquement.
– Se faire confiance, à s’affirmer, à s’évaluer, à juger par lui-même et avec les autres.
– Mettre des mots sur ce qui a et n’a pas de valeur à ses yeux et dire pourquoi : « Ce qui m’intéresse le plus, ce que je ne veux pas perdre en grandissant ». Puis, dans un groupe de parole régulé, d’évaluer et de s’évaluer en mettant des mots sur ses propres capacités et sur ce à quoi chacun tient, et aimerait être reconnu par autrui.
– Dans le quotidien de « ce qui se passe » il est possible de différencier une « qualité » en tant que ressource toujours à disposition, une capacité en tant que pouvoir de comprendre et d’agir en vue d’une transformation que l’on possède, toujours utilisable, et une compétence en tant qu’outil ayant un emploi particulier.
– De créer des mini groupes de « corrections positives réciproques » : « Ce que tu dis, ce que tu as écrit, me fait penser à… ». Il y a ouverture vers une plus grande richesse de contenus qui peuvent être rassemblés en une proposition collective.
– D’aborder les situations et vécu de doute comme étant des moments d’ouverture à différentes possibilités.
– De travailler l’aisance corporelle et de prise de parole, l’humour en le différenciant de la dérision et en interdisant la moquerie, les émotions dans une progression de type : ressentir puis nommer, puis transformer en perspectives d’être et d’agir.
– De travailler les situations d’erreur, d’échec et de frustration comme étant temporaires et nécessaire à l’accès à un autre mode de compréhension et de là, aborder la vulnérabilité en tant que base de l’humain, dans des dispositifs de solidarité.
– De créer des « moments heureux » et souligner leur existence « au-delà des difficultés », tant au plan individuel que collectif.
L’élaboration de la confiance en soi nécessite la confiance en l’Autre.
Un propos de Jacques Marpeau recueilli par Daniel Gostain