Éloise Cambuse* est enseignante. Une enseignante très attachée à l’enseignement du français dont elle a fait sa spécialité. Son expertise, elle l’a même dispensée au sein de la centrale, la DGESCO, et ce dans plusieurs bureaux. Elle réagit aux diverses tribunes sur la place de l’écrit à l’école. Et selon elle, ces échanges manquent leur cible.
Le 5 septembre paraissait dans le Monde une tribune signée par « un vaste collectifs d’écrivains, intellectuels, artistes, éditeurs » pour alerter le nouveau ministre de l’éducation nationale sur les difficultés d’ « une grande partie » des élèves à lire, écrire, et articuler leur pensée.
Les enquêtes Pisa n’évaluent pas la place de l’écrit en tant que telle mais les performances, notamment en compréhension de l’écrit. Elles montrent que le niveau global de compréhension de l’écrit reste stable et au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, bien qu’il cache des disparités de plus en plus grandes, avec un impact important de l’origine sociale. Les élèves les plus performants obtiennent en effet des scores comparables à ceux des pays les mieux classés, quand les élèves les moins performants obtiennent des scores comparables à ceux des pays les moins bien classés. En outre, les élèves les plus faibles sont plus souvent regroupés dans les mêmes établissements. Ces résultats invitent donc à se poser la question de la pertinence d’alerter sur les enjeux de l’école sous l’angle de la place de l’écrit.
A l’école, la place de l’écrit est considérable : des exercices aux traces écrites, des documents distribués au tableau noir, du manuel au cahier… dans une journée d’école, la part de la manipulation d’une grande diversité de supports écrits est variable, mais indéniablement importante. La posture attendue de l’élève, la position de son corps assis sur une chaise à sa table est celle de l’écrit. Le cartable est trop lourd de ces supports écrits transportés inlassablement entre la maison et l’école. Est-ce à dire qu’il est toujours bien utilisé ? Les résultats des enquêtes PISA tendraient à nous faire penser que, finalement, oui, pas trop mal, même s’il y a des efforts à faire à propos de ces fichues inégalités qui n’ont de cesse de se creuser.
Déficit d’attention de l’élève, un trouble de l’école ?
La tribune fustige la difficulté pour les élèves d’aujourd’hui d’articuler une pensée. Mais combien de sous-compétences requièrent celle d’articuler une pensée, et leur processus d’acquisition passe-t-il exclusivement par l’écrit ?
La difficulté des élèves à tenir leur attention et l’inflation des diagnostics de troubles de l’attention sont entièrement associées, pour les auteurs de la tribune, à la place que prennent aujourd’hui les écrans dans notre quotidien. S’il est indéniable que les enfants doivent pouvoir être accompagnés dans leur usage – accompagnement par ailleurs très dépendant du niveau social des familles – il faut également prendre en compte le phénomène de médicalisation de l’échec scolaire. La situation d’apprentissage classique, très liée justement à la place accordée à l’écrit, ne permet pas à tous les élèves de maintenir leur attention, sans pour autant que ce manque d’attention s’exprime nécessairement en dehors du contexte scolaire. S’agit-il toujours d’un trouble de l’enfant ou souvent d’un trouble de l’école qui, démunie, préfère faire appel au corps médical plutôt que de se remettre en question dans un contexte qui ne permet pas de le faire ? Les trop bas salaires, le manque de confiance et de considération, les injonctions multipliées, tout autant de facteurs parmi d’autres qui ne permettent pas toujours aux professeurs de se saisir de cet outil d’émancipation formidable qu’est l’école. Par ailleurs, on pourrait aussi nuancer le rôle des outils numériques en soulignant leur part dans la réintroduction en masse de l’écrit sous des formes inédites aujourd’hui.
Dépolarisation du débat, et si le Ministre montrait l’exemple
Le ministre de l’Education nationale répond à cette tribune 10 jours plus tard par un texte qui affiche autant sa volonté de lucidité qu’un bilan positif des évolutions de l’école sous la présidence d’E. Macron. Il appelle également à une dépolarisation du débat. C’est très juste : ce qui est dit de l’école se cristallise bien souvent autour de débats qui n’en sont pas, comme, pour ne citer que ce marronnier, celui autour des méthodes dites syllabiques et globales.
Ces échanges échappent-ils pour autant à une polarisation inutile ? Monsieur Attal répond tout d’abord par une réhabilitation de la dictée. On pourrait interroger ce qui est subsumé aujourd’hui sous le terme « dictée » : l’exercice d’évaluation normé à la Pivot qui correspond à la dictée de l’imaginaire collectif, celui qui est repris quand il s’agit de jouer au maître ou à la maîtresse ? ou les formes infinies qu’ont pu prendre cet exercice, depuis la dictée préparée à la dictée distanciée ?
La seconde proposition du ministre, qu’il dit tirer de « beaucoup de professeurs », repose sur un exercice fait « après l’école ». Faut-il rappeler l’interdiction des devoirs écrits depuis 1956 ? ou encore et encore, l’alerte quant à l’accroissement inéluctable des inégalités et le fait que les devoirs à la maison constituent une rupture d’équité ?
Troisième proposition clé en main : l’abolition des textes à trou. Le coupable est désigné. Encore une fois, interrogeons cet exercice : à quoi pense-t-on lorsque l’on parle de texte à trou ? Comme tout exercice, il peut être totalement dénué de sens, constituer un exercice d’évaluation de la capacité à répondre à une consigne bien plus que de l’acquisition d’une compétence, avec un peu de chance permettre un entraînement, et sûrement pas constituer un support d’apprentissage. Mais imaginons un document à remplir en temps limité au début d’une leçon pour rappeler la précédente : en 5 minutes les absents comme les distraits se raccrochent au temps didactique. Imaginons également une adaptation pour un élève dont la praxie freine son temps de réponse. S’il s’agit de simplement de compenser ce défaut de praxie pour accéder directement à la compétence que l’on souhaite évaluer dans le même temps imparti que pour ses camarades, alors le texte à trou permet de remettre de l’équité là où il n’y en aurait pas eu autrement. Que les exercices scolaires se perdent parfois dans la tâche ne fait pas de doute. Replacer la définition de l’objectif d’apprentissage au cœur du métier est un leitmotiv du maître formateur. Et l’exercice du texte à trou est en effet susceptible de tomber dans cet écueil. Mais tâche et objectif d’apprentissage doivent être distingués. La tâche n’a de valeur que si elle est pensée pour être au service de l’objectif d’apprentissage. Fustiger une tâche pour elle-même c’est continuer de confondre celle-ci avec l’objectif qu’elle sert, c’est méconnaître le métier d’enseignant.
Dernière proposition, un concours d’écriture. Là encore, il faudra espérer que la tâche ne masque pas l’objectif… d’ailleurs quel objectif poursuit monsieur Attal ? Résoudre les problèmes de l’école à partir d’une analyse fine de ses enjeux ou répondre à une tribune de gens lettrés qui n’ont, par la force des choses, pas cette analyse ? Faut-il renforcer la place de l’écrit dans une école qui lui voue déjà un culte au détriment d’autres modalités d’apprentissages ? La forme du concours est-elle susceptible de répondre aux creusements des inégalités identifié depuis bien longtemps comme le véritable talon d’Achille de notre système scolaire ? Ou privilégie-t-il la forme au fond au risque de mettre au jour des angles morts comme l’a montré le récent échec autour du concours Martin Luther King – Stand up for your dreams ?
L’école n’est pas qu’une affaire de spécialistes, mais c’est un endroit qui, comme l’a rappelé monsieur Attal, réclame de l’exigence. Pas dans le sens d’une exigence despotique, mais bien dans le sens de « réclamer beaucoup », et notamment de prise en compte de la complexité dans l’examen des enjeux qui l’animent.
Éloise Cambuse*
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