» Il a autorité sur l’ensemble des personnes présentes dans l’école pendant le temps scolaire ». Vous entendez le soupir de contentement à droite ? « Autorité », sans adjectif. Après un très long parcours, dont les dernières étapes ont été la loi Blanquer puis la loi Rilhac, il y a une autorité dans chaque école. Concrètement cela ne va rien changer au pouvoir réel du directeur qui reste toujours totalement démuni. Mais idéologiquement, la droite a enfin abattu, grâce à E. Macron, la petite république des professeurs voulue par Jules Ferry.
« On a une institution emprise encore et encore de Jules Ferry et ses préceptes… J’ai l’impression que l’Education nationale est restée dans cette philosophie. Et tant qu’ils y resteront, on n’y arrivera pas ». Les propos du sénateur Les Républicains J Grosperrin, le 4 juillet 2023, résonnent alors que parait, au J.O. du 15 août, le décret relatif aux directeurs d’école.
Le nouveau décret ressemble surtout à l’ancien…
A vrai dire, ce nouveau texte modifie de façon marginale le décret précédent de 1989. Le directeur d’école appartient toujours « au corps des instituteurs ou au corps des professeurs des écoles ». Il est nommé moment par le Dasen. Il peut être révoqué de sa fonction à tout moment. C’est une différence fondamentale avec un vrai personnel de direction.
Il « veille à la bonne marche de l’école maternelle, élémentaire ou primaire dont il a la charge et au respect de la réglementation qui lui est applicable. Il prend toute disposition utile concernant l’organisation et le bon fonctionnement de l’école pour que celle-ci assure sa fonction de service public ». », c’est mot pour mot ce que disait déjà le texte de 1989.
Le directeur admet les élèves. Il organise l’accueil et la surveillance. Il arrête, après avis du conseil des maîtres, le service des enseignants. Il organise le travail des agents communaux, toutes tâches déjà prévues par le décret précédent. » Il anime et coordonne l’équipe pédagogique. Il assure l’intégration des membres nouvellement nommés dans l’équipe pédagogique. Il organise la coopération entre l’ensemble des professeurs, les autres personnels éducatifs de l’école et les intervenants extérieurs au sein de l’école. Il veille à la diffusion des instructions et programmes officiels ainsi qu’au bon déroulement des enseignements ». Rien de neuf.
En théorie, le directeur d’école doit avoir trois ans d’ancienneté comme instituteur ou professeur des écoles pour être inscrit sur la liste d’aptitude. Mais le décret prévoit les nominations « en cas de vacance d’emplois » d’instituteurs et professeurs des écoles non inscrits sur la liste. Preuve que la fonction est très attirante…
Car, en ce qui concerne la carrière, le décret ne reconnait aux directeurs d’école qu’une bonification d’ancienneté de trois mois chaque année. Là s’arrête le soutien accordé à des personnels qui sont responsables de la bonne marche de leur école. Le régime des décharges n’a été revu que de façon marginale en 2022. Et le décret ne prévoit aucune aide pour des personnels qui croulent sous les tâches administratives.
Le grand changement c’est l’autorité…
Le grand changement apporté par le nouveau décret, c’est l’autorité. « Il a autorité sur l’ensemble des personnes présentes dans l’école pendant le temps scolaire » pour la « bonne marche » de son école.
Il a fallu des années pour que le mot apparaisse dans le décret relatif aux directeurs d’école. Les pères fondateurs de l’école publique avaient jugé que l’école où doivent aller tous les jeunes français doit donner une éducation démocratique. Et que celle-ci passe par un fonctionnement démocratique dans l’école elle-même. C’était vu par Jules Ferry comme la garantie d’une école vraiment républicaine. C’est cette tradition qui a été brisée par la loi Blanquer puis, après son échec, par la loi Rilhac.
Dans la loi Blanquer, un amendement Rilhac prévoit des « écoles publiques des savoirs fondamentaux » dirigées par le principal du collège de rattachement, c’est à dire un vrai personnel de direction, appartenant à un corps spécifique. La résistance des enseignants et des maires fait échouer ce projet. Cela signe l’échec de la transformation des écoles en établissement public, une vieille demande de la droite (F Fillon) et de l’OCDE.
G. Attal (déjà !), C Rilhac et JM Blanquer repartent à l’assaut avec la loi Rilhac. Après plusieurs coups de théâtre, dont un déshabillage complet du projet de loi à l’Assemblée nationale, en mars 2021 le projet de loi, revu par un Sénat majoritairement à droite, prévoit une « autorité fonctionnelle » pour le directeur d’école. Arrive le moment où E Macron promet à Marseille un fonctionnement managérial des écoles, avec un directeur d’école qui nomme les enseignants. Dans la foulée, en octobre 2021, la loi Rilhac est adoptée avec les modifications apportées par le Sénat. Cette loi préfigure la majorité qui se dessine actuellement : un projet voulu par JM Blanquer à travers C. Rilhac, soutenu par la droite et validé par E Macron. La gauche (LFI, PS, PC, écologistes) a voté contre le texte.
Fruit de la division syndicale
Du coté des syndicats enseignants, la mesure divise. En mars 2023, au moment de la consultation sur le projet de décret, les syndicats étaient divisés. » Ces projets évitent des glissements managériaux qui méconnaîtraient la culture professionnelle de l’école et comportent des avancées en particulier en matière de carrière » estimait Stéphane Crochet, secrétaire général du Se-Unsa. » Ces projets de décrets reconnaissent la fonction et les missions du directeur, enfin « , se réjouissait Jean-Marc Marx secrétaire fédéral du Sgen Cfdt. » Cela permet d’introduire la fonction de directeur dans le code de l’éducation alors qu’auparavant elle était implicite « . Mais « pour nous cela ne va pas assez loin, il n’y a pas la liste de délégations de compétences ». « Dans les discussions que nous avons eu avec le Ministère, on voit bien qu’il n’y a pas de garde-fou sur la question de l’autorité hiérarchique », disait Guislaine David, co-secrétaire générale du Snuipp Fsu. « Ils ne veulent pas décliner l’autorité fonctionnelle dans le décret, malgré nos sollicitations. Le manque de clarté sur ce que signifie cette autorité engendrera des interprétations différentes d’un territoire à l’autre, d’un IEN à l’autre. Et lorsque nous demandons que soit clairement inscrit dans le texte que le directeur n’est pas supérieur hiérarchique, le ministère refuse. Quand on lie ce projet de décret au Pacte, on voit bien que tout concourt à donner une autorité ». Pour elle, même si « il y a un risque de transformation de l’organisation de l’école. Cette autorité isolera le directeur du reste de l’équipe ».
C’est que cette évolution ne correspond en rien à une demande des professeurs des écoles (PE). Un sondage organisé par le Snuipp Fsu en mars 2020 montre que seulement 13% des enseignants du premier degré sont favorables à l’autorité du directeur d’école. 85% sont contre. En 2019, une consultation organisée par le ministère de l’Education nationale établit que seulement 11% des professeurs des écoles sont pour un statut de directeur d’école. 25% sont pour que le directeur évalue les enseignants. L’idée d’un directeur manager n’est soutenue que par 2% des PE.
Ce que montrent ces enquêtes c’est que les directeurs d’école demandent une aide matérielle et pas une autorité. Or , sous le premier quinquennat Macron, les aides administratives ont été supprimées. Il ne reste au directeur d’école que « l’autorité » sans les moyens concrets de l’exercer. Le Pacte leur donne un nouvel outil : l’attribution des missions. Encore celle-ci doit-elle se faire après avis du conseil des maitres.
La revanche sur Jules Ferry
Dans un remarquable travail sur la direction d’école (La direction d’école à l’heure du management, PUF), Cécile Roaux estime que « si la loi Rilhac a le mérite de remettre sur le devant de la scène la question du pilotage de l’école primaire, il est à craindre qu’elle ne modifie pas réellement le quotidien des directions d’école et leur pouvoir d’action… Même avec une autorité fonctionnelle, le directeur devra se débrouiller avec ce dont il dispose, c’est-à-dire pas grand-chose ». Et il serait bien téméraire, sans statut, sans garantie d’emploi, d’entrer en conflit avec son équipe enseignante.
Dans la vie concrète des écoles, le décret n’aura qu’un effet insignifiant. Quatre années après le suicide de Christine Renon, « directrice épuisée« , le décret n’apporte aucune aide significative à la mission de direction. Rien n’est prévu non plus pour améliorer le pilotage des écoles.
Aboutissement d’années de tentatives constantes pour faire avancer les idées du management dans l’éducation, il ne reste à la droite et au gouvernement que cette satisfaction. Ce que Fillon, de Robien et Chatel ont échoué à faire, Emmanuel Macron vient de le réussir. L’exception française d’une école primaire gérée par une petite république des professeurs disparait. C’est la revanche sur Jules Ferry.
François Jarraud
Les syndicats divisés sur le décret
C Roaux : Le directeur à l’heure du management
Les textes de 2022 sur les décharges
Loi Rilhac : le Sénat donne de l’autorité