« Un nombre de projets qui reste faible », « un fonds déployé dans la confusion » : le Sénat dégonfle le grand projet éducatif d’Emmanuel Macron dans un rapport signé par des élu.es Les Républicains, centriste et socialiste. Le rapport pointe aussi le Conseil d’évaluation de l’Ecole. La politique macronienne est réduite à ses réalités : une politique brouillonne, idéologique, qui maquille ses insuffisances derrière de grands mots.
Un rapport consensuel
« Dans le cadre de cette mission, (les élu.es) ont d’un commun accord décidé de dépasser leurs divergences d’analyses concernant le bien-fondé de l’autonomie des écoles et des établissements scolaires comme outil de réforme de notre système éducatif« . Curieux rapport que celui du Sénat sur « l’autonomie des établissements scolaires », co-rédigé par le Républicain Max Brisson, la centriste Annick Billon et la socialiste Marie-Pierre Monier.
On sait que les Républicains ont fait adopter par le Sénat une proposition de loi sur l’École qui ferait des établissements et des écoles des établissements largement autonomes y compris sur le plan des programmes. Faute d’accord sur le sujet même du rapport, les trois élus « ont cherché à établir des constats communs… (sur) les moyens nécessaires à l’exercice d’une autonomie réelle des écoles et des établissements scolaires telle qu’elle est prévue par les textes et les conditions permettant de mieux accompagner les équipes pédagogiques à utiliser ces marges de manœuvre« . Avec cette ficelle, ils livrent un rapport qui dévoile la réalité du CEE et de « l’Ecole du futur » lancée par Emmanuel Macron.
La baudruche de l’Ecole du futur
Commençons par cette dernière. Les rapporteurs rappellent que « l’École du futur » a été lancée par E Macron à Marseille en septembre 2021. Le projet regroupe deux idées : le soutien à des projets pédagogiques innovants, généralisé par la suite à l’ensemble du pays, et le recrutement des enseignants par les directeurs.
Sur le recrutement des enseignants à travers des postes à profil, les rapporteurs notent que « ce volet est source de nombreuses critiques » puisqu’il s’agit de postes ordinaires qui ne nécessitent aucune compétence particulière « ce qui introduit une part non négligeable de subjectivité« , selon une élue du SNUIPP-Fsu.
Mais le rapport s’intéresse surtout aux projets « innovants » , généralisés et dotés d’un « fonds d’innovation pédagogique ». « Avant même la fin de l’expérimentation et d’analyses des résultats sur la réussite des élèves celle-ci a fait l’annonce d’une généralisation à l’ensemble du territoire, dans le cadre du CNR« , rappelle le rapport.
Ce que révèle le rapport c’est d’abord le très faible nombre de projets réels. Alors que le ministère claironne, le 7 juillet, 18 623 « intentions » et 7382 « projets déposés », le constat des sénateurs est bien différent.
Dans l’académie pilote d’Aix Marseille, « seuls 36 % des crédits prévus pour le premier degré et 61 % de ceux pour le second degré ont été alloués au 25 juin », note le rapport. Ailleurs c’est beaucoup moins. « Dans l’académie de Lille, début mars 2023, seuls 19 projets ont été jugés comme répondant aux critères – pourtant très souples – mis en place par l’académie, pour un montant total de 262 000 euros… Quant à l’académie de Nancy-Metz, si la consommation de l’enveloppe allouée de 1,6 million d’euros dans le cadre du CNR atteint 59 % en mai 2023 – avec une consommation particulièrement forte du volet réservé au second degré (84 %) –, le nombre d’écoles et d’établissements concernés est au final peu élevé : 21 projets validés dans le premier degré et 25 dans le second degré, sur – à peine – 125 projets déposés… Dans les trois académies plus particulièrement étudiées par les rapporteurs, ce sont ainsi à peine quelques dizaines de projets « innovants », émanant des écoles et établissements, qui ont émergé. À l’échelle nationale, au 13 juin 2023, 1 900 projets ont été validés sur les 5 954 projets déposés. »
Confusion
Le bilan des sénateurs est celui « d’une avancée à marche forcée dans les académies, sans réelle réflexion autour de la notion d’innovation« . Ainsi, « il n’y a pas eu de réflexion sur les modalités pratiques d’affectation des fonds aux projets lauréats du premier degré« , puisque les écoles, n’ayant pas de personnalité juridique ne peuvent pas percevoir directement les fonds.
Le rapport pointe « un fonds déployé dans la confusion« . Il s’interroge aussi sur la qualité pédagogique des projets. « Les rapporteurs ont été surpris par la nature de nombreux projets sélectionnés dont la dimension « innovante » interroge. Cette opinion semble partager par plusieurs des recteurs auditionnés… Un certain nombre de projets relève, dans les faits, plus d’une opportunité de financement« .
Il apparait aux rapporteurs que « de nombreux projets « innovants » sont dans les faits des projets préexistant au fonds d’innovation pédagogique » et qui sont recyclés pour bénéficier de financement. C’est une constatation que le Café pédagogique avait faite à Marseille et que les rapporteurs font à leur tour. « Parmi les 45 premiers projets « innovants », mis en avant par le ministère de l’éducation, plusieurs sont en fait une extension de projets déjà existants. Tels sont les cas du projet du collège Paul Ramadier de Decazeville, « Jouons avec les maths ! », dont la fiche de présentation mentionne explicitement qu’il s’appuie sur un « laboratoire de mathématiques déjà existant », du projet de l’école Suzanne Lacore de Saint-Jacques-de-la-Lande où « depuis deux ans, l’équipe enseignante (…) met en œuvre auprès des élèves un outil d’aide à la différenciation pour l’apprentissage de la lecture : le logiciel Ridisi », ou encore de celui du Lycée Pierre et Marie Curie de Châteauroux, pour lequel « le projet [Permettre aux élèves de 1ère une projection vers des études post-bac ambitieuses] s’appuie sur des actions ponctuelles autour de l’orientation entreprises depuis plusieurs années dans le lycée » ».
Favoritisme
L’information sur le dispositif est jugée insuffisante par les rapporteurs ce qui crée des inégalités entre les écoles et les établissements. L’intérêt des enseignants est d’ailleurs faible, même au cœur du dispositif, comme le mentionne cette anecdote. « Dans l’académie d’Aix-Marseille, le rectorat a proposé aux enseignants intéressés par la démarche « l’école du futur » à Marseille et « notre école faisons-là ensemble », pour le reste de l’académie, de visiter pendant deux jours des écoles innovantes et rencontrer les équipes pédagogiques adhérant au programme « l’école du futur ». Le remplacement de leur absence doit être assuré. Plus de 500 enseignants sur l’ensemble de l’académie ont répondu favorablement à cette proposition. Néanmoins, selon les informations transmises par Virginie Akliouat un nombre significatif d’enseignants ont annulé leur participation, leur remplacement ne pouvant au final pas avoir lieu, ou bien ont été prévenus au dernier moment de leurs deux jours de décharge, ne leur permettant pas d’organiser leur remplacement dans de bonnes conditions« .
Une évaluation rejetée par les enseignants
Une seconde partie du rapport s’intéresse au Conseil de l’évaluation de l’école (dorénavant CEE), mis en place par JM Blanquer notamment pour supprimer un Cnesco jugé trop indépendant. Le dispositif est lui aussi lancé à toute vitesse. En juin 2023 la moitié des établissements ont été évalués et près d’un cinquième des écoles.
Pour les rapporteurs, cette évaluation est plus « une contrainte supplémentaire » qu’un outil au service des établissements. Le rapport souligne « une défiance de la part de la communauté enseignante« . « Dans certains établissements connaissant des problèmes, le lancement de l’évaluation peut être perçu comme une sanction, surtout lorsque les enseignants n’en sont pas informés à l’avance« .
Le rapport souligne que l’évaluation est sans lien avec la rédaction du projet d’établissement, ce qui ne lui donne pas grand sens. Il demande que des heures soient données pour que l’évaluation puisse être vécue comme une opportunité par les équipes éducatives.
L’autonomie défiée par les injonctions
Une dernière partie du rapport revient sur la longue histoire de l’autonomie des établissements, une politique « restée constante au cours des décennies, au-delà des alternances gouvernementales ». Longue puisqu’elle remonte à la circulaire Fontanet de 1973 mais renforcée sans cesse, notamment avec la loi de 1985 créant les EPLE, puis le projet d’établissement (1989), la création du conseil pédagogique (2005) et enfin la loi Blanquer (2019).
Si l’autonomie est sans cesse, et de façon constante quelque soit la majorité au pouvoir, rappelée, dans la réalité les marges d’autonomie sont « rabougries par la pratique« , jugent les sénateurs. Ils ont beau jeu de montrer, à la suite du rapport de l’Inspection de 2019, que les injonctions pleuvent sur les établissements au même rythme que leur marge d’action financière est grignotée. Comme le montrait déjà l’Inspection générale, les petits établissements n’ont aucune marge de manœuvre puisque le financement des réformes se fait à ses dépens.
Et ça continue. « La mise en place du PACTE sur le plan de l’autonomie des établissements scolaires… bien que présenté comme un nouveau levier de pilotage à disposition des chefs d’établissement, encadre fortement leur marge d’action : d’une part, il impose comme mission prioritaire le remplacement de courte durée. D’autre part, dans le cadre de réunions académiques et départementales des DASEN, des recteurs ont demandé que certaines périodes de l’emploi du temps soient sanctuarisées« , notent les rapporteurs. D’autres exemples récents sont cités : les 54 heures d’orientation, imposées mais non financées, les annonces sur l’éducation sexuelle par exemple.
Des recommandations peu prudentes
Le rapport de l’Inspection générale de 2019 s’était montré finalement d’une grande prudence sur l’autonomie des établissements. Il ne demandait aucune nouvelle réglementation. Surtout il montrait que l’efficacité de l’autonomie des établissements n’est absolument pas démontrée. « C’est un facteur parmi une constellation de facteurs« , estimait l’Inspection qui rappelait aussi l’exemple contraire de la Suède.
Les rapporteurs du Sénat ne sont probablement pas d’accord entre eux sur cette efficacité. Ils sont pourtant moins prudents que l’Inspection.
Si on peut les suivre sur la 2de recommandation demandant de « ne plus financer les réformes éducatives, à l’exemple de la réforme du lycée, en puisant sur les marges d’autonomie des établissements » ou sur la 8ème « réaliser une évaluation nationale de l’ensemble de la démarche du fonds d’innovation pédagogique et des projets mis en place depuis sa mise en œuvre« , d’autres recommandations pourraient réserver d’amères conséquences.
Notamment quand le rapport recommande de « tirer les conséquences de l’évaluation de l’école ou de l’établissement en termes de moyens et de formations« , ce qui amène au pilotage par les résultats, une formule initiée aux Etats-Unis par la loi No Child Left Behind. Ceux-ci en sont revenus.
Mêmes illusions sur l’innovation. « Faire du fonds d’innovation pédagogique un outil permettant de répondre aux besoins particuliers des écoles et des établissements par des initiatives pédagogiques innovantes adaptées aux spécificités des élèves qui fréquentent l’établissement » : Emmanuel Macron n’aurait pas dit mieux !
François Jarraud