« La politique publique d’orientation des élèves doit être un chantier prioritaire de notre pays… Or aujourd’hui cette politique est caractérisée par un manque d’objectifs précis et un éclatement des acteurs… qui se traduit par des inégalités fortes entre les élèves ». Le rapport « sur la mise en oeuvre des conclusions du rapport d’information du 22 juillet 2020 sur l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur » des députés Thomas Cazenave (Renaissance) et Hendrik Davi (LFI) dresse un constat sévère de la réforme de l’orientation scolaire. Faute de moyens, l’orientation scolaire ne contribue pas à lutter contre les inégalités sociales dans le système éducatif. Il demande son retour dans les mains de l’Etat. Cela suffira t-il ?
Un gâchis collectif
« Le constat partagé du gâchis collectif en matière d’orientation et d’accès à l’enseignement supérieur justifie une affirmation de cette politique publique prioritaire au service de la réussite de tous les élèves« . On ne saurait être davantage sévère dans ce rapport qui fait suite à ceux de P Charvet et aux travaux de R Juanico et N Sarles pour l’Assemblée nationale.
Les élèves sont « insuffisamment accompagnés pour être pleinement acteurs de leur orientation », estime le rapport. Il reprend l’analyse d’Agnès Van Zanten qui a montré que l’orientation est largement anticipée dans les lycées favorisés avec du personnel disponible. « En revanche, dans les lycées défavorisés, l’orientation prend place beaucoup plus tard, souvent au moment de l’ouverture de Parcoursup, est organisée en séances souvent collectives et avant tout procédurales, sur le calendrier de Parcoursup par exemple« . Et c’est encore pire dans les filières professionnelles. Résultat : les enfants des familles défavorisées se tournent vers les salons quand ils sont au pied du mur. « Cette absence d’anticipation, qui se double d’une absence d’exploitation ultérieure de la visite du salon, traduit à la fois la peur qu’ont ces adultes et ces jeunes de s’engager dans l’univers des études supérieures et leur difficulté à faire un usage stratégique des informations et des conseils. Ces dispositions sont étroitement liées à leur position sociale, mais également aux établissements fréquentés par les lycéens des classes populaires, parmi lesquels on observe aussi bien une faible anticipation de l’orientation vers le supérieur qu’un traitement générique des voeux des jeunes. »
Résultat : « les réformes successives n’ont pas amélioré significativement la réussite en licence. Parmi les bacheliers 2014, 63 % ont obtenu un bac+3 six ans après leur baccalauréat, mais 28 % des étudiants sont sortis sans diplôme. Au début des années 2000, ce taux d’échec était inférieur de huit points« , affirme le rapport.
Les régions » ne se sont pas saisies de leurs nouvelles compétences »
Ces inégalités résultent de la faiblesse des moyens attribués à l’orientation scolaire, alors même que le gouvernement l’a profondément remaniée sous le 1er quinquennat d’E Macron.
La loi de 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a confié aux régions l’organisation d’actions d’information sur les métiers et les formations, l’Etat conservant une compétence dans la mise en oeuvre de la politique d’orientation.
Le résultat, selon le rapport, c’est la multiplication des acteurs. « Toutes les régions ne se sont pas saisies de leurs nouvelles compétences de la même manière ni avec la même rapidité », dit le rapport. « Les régions considèrent que le manque de réel transfert de moyens pose la question de la capacité à organiser la massification de ces services essentiels ». « Chacun comprend qu’il est effectivement impossible à une région d’exercer elle-même les missions d’information sur les formations et les métiers », ajoute encore le rapport.
De fait, les régions consacrent des sommes très variables à l’orientation. Ainsi la petite région Centre Val de Loire dépense 4 fois plus que la région Ile de France. Les régions financent des salons dont on vient de voir qu’ils sont un cache misère et éditent des guides. Elles font appel à des structures privées pour intervenir dans les établissements. « Certaines régions, telle l’Île-de-France, délèguent à des entreprises privées les présentations relatives à l’orientation, notamment dans les lycées professionnels. »
Une privatisation de l’éducation à l’orientation
En fait en donnant cette compétence aux régions, alors qu’elles n’ont pas les moyens de l’exercer, on a largement privatisé l’éducation à orientation. Elle se fait via des salons dédiés et par des officines privées qui , selon le rapport, se multiplient et ne sont pas labellisées. Ce faisant on a une approche de plus en plus individualisée de cette éducation. Et cela renforce les inégalités sociales. « Le service public régional d’orientation devrait ainsi être en mesure de fournir aux élèves et aux étudiants tous les éléments nécessaires à leur choix. Pour l’heure, les difficultés d’accès à l’information sur l’insertion professionnelle laissent le champ libre à certains acteurs privés, dont le rôle croissant tend à creuser les inégalités sociales en matière d’accès et de traitement de l’information, et donc d’orientation », relève un rapport de l’Inspection générale de 2020.
Le rapport pointe aussi le soutien du ministère aux Cordées de la réussite. « Le dispositif des cordées de la réussite n’a cessé de monter en puissance depuis sa création il y a une quinzaine d’années au point d’intéresser aujourd’hui quelque 185 000 élèves par an, près de 800 établissements du second degré étant concernés… Mais « selon les études sociologiques de terrain, cette politique d’individualisation massive de l’accompagnement, qui repose sur l’idée d’un effet d’entraînement sur les autres élèves, ne bénéficie pas à la population qu’elle vise mais surtout aux élèves des classes moyennes scolarisés dans les établissements populaires, voire boursiers, d’un bon niveau scolaire. Ainsi, une étude auprès de jeunes inscrits dans des cordées dans l’académie de Strasbourg relève que ces élèves « ont déjà une volonté de poursuivre des études supérieures et qu’ils voient le dispositif comme un levier pour atteindre cet objectif. Ils sont 74 % à déclarer savoir ce qu’ils veulent faire plus tard et 77 % ont confiance en leur avenir. De façon très affirmative, 97 % déclarent être ambitieux et le même pourcentage affiche une forte motivation pour leur scolarité ». À l’évidence, il ne s’agit pas là du coeur de cible des cordées de la réussite, supposées s’adresser aux élèves qui s’autocensurent et ne se projettent pas dans leur orientation ou la subissent ». L’appel aux Cordées de la réussite ne fait que creuser davantage les inégalités sociales devant l’orientation.
Le rapport évoque aussi les projets financés par les programmes d’investissement d’avenir (PIA) sur les problématiques d’orientation. Attention c’est du lourd : 250 millions, soit trois fois l’argent mis par les régions dans l’orientation scolaires. Mais le rapport estime qu’il « trop tôt pour tirer le bilan de ces projets » lancés depuis 3 ans. « Il paraît opportun que les résultats bénéficient d’une large communication pour que les réussites puissent être répliquées sur les autres territoires ». Cet hommage aux « bonnes pratiques » laissera dubitatifs nombre d’enseignants…
La majorité des lycées n’applique pas les 54 heures
La situation n’est pas meilleure du coté de l’Education nationale. Moins d’un tiers des établissements scolaires disposent d’un professeur référent pour l’orientation. Certes, l’Education nationale dispose de Psychologues de l’éducation. Mais il n’y en a qu’un pour 1500 élèves.
Certes, la réforme du lycée a institué 54 heures consacrées à l’orientation. Mais, selon les rapporteurs « nul ne conteste que l’utilisation du quota de 54 heures d’orientation est très inégale selon les établissements. Plusieurs raisons l’expliquent. En premier lieu, se pose la question des moyens, à plusieurs niveaux. C’est tout d’abord le fait que ces heures ne sont pas financées dans les dotations horaires globales des lycées et sont laissées à l’initiative des établissements« . Les heures dédiées à l’orientation doivent être prises sur des heures d’enseignement, ce qui conduit à des refus. Pour les rapporteurs « l’architecture du dispositif a donc mené à une impasse et relève plus de l’incantation qu’autre chose, dès lors qu’aucun moyen n’a été fourni ». Selon les rapporteurs, les 54 heures « ne sont pas effectives dans la majorité des établissements ».
A cela s’ajoute le manque de formation des enseignants, sur qui, finalement, l’éducation à l’orientation retombe. « Les enseignants ne se sentent souvent pas formés pour assumer cette mission et, de ce fait, ne se considèrent pas légitimes. Une certaine réticence à assumer les fonctions relatives à l’orientation est nettement perceptible, alimentée par la question de l’insuffisance des moyens ».
Insuffisances de Parcoursup
Le rapport critique aussi Parcoursup. « 18% des bacheliers n’acceptent aucune proposition et n’ont donc pas trouvé de formation qui leur convenaient », notent les rapporteurs. Surtout, si 88% des bacheliers généraux acceptent une proposition , ce n’est le cas que pour 65% des bacheliers professionnels. Les quotas de boursiers ne convainquent pas les rapporteurs. « Ce dispositif, pour positif qu’il soit, a surtout le mérite de concrétiser l’objectif d’équité sociale dans l’accès à l’enseignement supérieur, mais les taux de boursiers restent trop modestes pour avoir des effets significatifs ». Dans les filières sélectives (CPGE, ingénieurs..) la part des boursiers ne cesse de diminuer. Le rapport souligne aussi le stress généré par Parcoursup et son absence de transparence.
Redonner l’orientation à l’Etat
On pourrait donc s’attendre à ce que le rapport fasse des recommandations pour inscrire des obligations de moyens pour l’éducation à l’orientation. Curieusement il le fait peu.
Si le rapport estime que « la refondation de la politique nationale de l’orientation doit évidemment prendre à bras-le-corps les problématiques d’inégalités sociales et territoriales auxquelles elle se heurte depuis des décennies », sa mesure phare c’est de basculer l’orientation scolaire au profit de l’Etat.
La principale recommandation est la création d’un délégué interministériel à l’orientation. « La création d’un délégué interministériel à l’orientation chargé de la mise en oeuvre de la politique publique en lien avec les régions. Il pilotera l’ONISEP, ainsi que les différentes initiatives de l’État pour l’orientation telles que le programme Avenir ou les PIA, et assurera le suivi de la mise en oeuvre par les universités des « oui si » afin de les renforcer et les pérenniser ».
Visiblement le rapport veut renvoyer le balancier des régions vers l’Etat. Il critique directement les prétentions des régions. « Il existe un risque d’« adéquationnisme » de l’orientation aux besoins du marché du travail régional, accentué par le tropisme des régions pour l’orientation professionnelle. Les régions ont une connaissance du tissu économique local mais l’orientation ne peut être conditionnée par ce seul facteur, et le tropisme aux enjeux locaux peut être contreproductif pour l’enseignement supérieur, où précisément la mobilité territoriale est de plus en plus forte ».
Rendre les 54 heures effectives
Le rapport préconise de rendre les 54 heures d’éducation à l’orientation effectives. « Garantir l’effectivité des 54 heures auxquelles tous les élèves ont droit dans tous les établissements, par l’inscription dans les emplois du temps des lycées et la prise en compte dans la Dotation Horaire Globale des établissements ».
Mais il y a une contradiction. Pour les rapporteurs ces 54 heures doivent permettre d’ouvrir largement les établissements à des intervenants extérieurs « afin de renforcer la découverte des métiers, de l’entreprise et de l’enseignement supérieur ». Pour cela il demande aussi la labellisation de ces intervenants, ce qui renforce le poids de l’Etat. Et le rapport souhaite mettre en concurrence les formations en publiant les statistiques d’insertion professionnelles
D’autres mesures concernent Parcoursup. Il s’agit d’abord de labelliser aussi les formations présentes dans Parcoursup, une manière d’exclure certaines formations privées. Le rapport met aussi en question les lettres de motivation et la mention du lycée d’origine. Or si les premières sont rarement utilisées, les seconds entrent dans les algorithmes secrets de nombreuses formations et creusent les inégalités.
Ce rapport très informé accouche finalement de recommandations assez timides dont le point commun est le renforcement de l’Etat. Au regard de ce que d’autres états font, par exemple pour inciter les établissements du supérieur à démarcher les publics défavorisés, il reste encore de la route pour lutter contre les inégalités.
François Jarraud