Mardi 6 juin, pour la quatorzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, les professeurs étaient moins nombreux dans le cortège parisien. Ceux qui n’étaient pas en grève avancent deux raisons: la perte de salaire qui « fait trop mal » et le contexte de la fin d’année scolaire avec un programme a boucler. Mylène, quant à elle, était de la manifestation parisienne, « un baroud d’honneur » explique-t-elle au Café pédagogique.
Une fois n’est pas coutume, l’école Taos Amrouche de Saint-Denis (93) était ouverte en ce jour de grève. Seulement quatre enseignants sur les douze que compte l’école manquaient à l’appel mardi 6 juin. « Pour les parents, c’était déstabilisant » explique Catherine Da Silva, directrice. « Ils étaient plutôt habitués à trouver porte close les jours de grandes mobilisations ». Selon la directrice, en grève pour sa part, « les collègues n’ont pas acté la loi. On ne se dit pas : bon ben c’est bon, on travaillera jusqu’à 64 ans ». Ce qui a fini de convaincre les plus mobilisés pour elle, c’est le contexte de la fin d’année scolaire. « Cette grève tombe au plus mauvais moment. On a les livrets à rendre dans deux semaines, il faut finir le programme et faire aboutir les derniers projets– notamment un tournoi de rugby ».
Des semaines de cours perdus
Autre raison avancée, le nombre de jours de classe perdus pour les élèves. Elle évoque la situation de l’une des enseignantes de son école. « Elle a subi une intervention et a été absente pendant trois semaines. Il n’y a eu aucune journée de remplacement. C’est ce qui a fini de la convaincre de ne pas faire grève ». Les absences non-remplacées, c’est une réalité aussi dans le premier degré. Répartir les élèves dans les classes des enseignants absents, ce n’est pas remplacer l’enseignant, n’en déplaise au Ministre qui minimise la situation des écoles primaires. « Et ce n’est pas seulement son remplacement qui n’a pas été assuré. Tous les autres non plus, à quelques rares exceptions. Les élèves ont perdu des journées, pour certains des semaines. Ca a aussi pesé dans la balance » explique la directrice, évoquant une forme de responsabilité vis-à-vis des élèves. « On a perdu quatre jours sur la paie du mois de mai, mais ce n’est pas ce qui a décidé les non-grévistes. Vraiment ».
Un baroud d’honneur
Mylène était du cortège parisien. Cette grève et cette manifestation, c’est « un baroud d’honneur » explique la professeure documentaliste qui exerce dans le Val-de-Marne. « On sait que c’est plié, qu’on a perdu. Les syndicats et les partis politiques ont beau minimiser notre échec, c’est plié ». Pour Mylène, cette grève, c’est par solidarité. Née en 1960, elle n’est pas concernée. « Mais je sais ce que c’est. Quand j’ai signé, j’ai signé pour 37 ans et demi, voire moins puisque finalement j’ai quatre enfants – dont des jumeaux ! » raconte-t-elle. « Je les ai vu passer toutes ces réformes qui nous ont grapillé les années, les unes après les autres. Je sais ce que c’est de se dire, c’est bientôt la fin et se rendre compte que finalement non, pas encore parce qu’il faut en faire encore un peu… ».
Dans le collège de Mylène, ils ne sont pas nombreux à être grévistes. « On en a discuté en salle des profs mais le sujet principal, c’était le pacte ». Selon la professeure, le pacte est une « vraie bombe » dans les équipes. « Ca crée des tensions terribles. Entre ceux qui militent pour refuser collectivement cette énième carotte – dont j’avoue faire partie, ceux qui ne disent rien et ceux qui arguent leurs difficultés financières pour accepter de signer. Je vais être cynique mais de la part du gouvernement, c’est tout de même une sacrée stratégie que ce pacte. Diviser pour mieux régner… ».
Alors que le ministère communiquait un taux de gréviste de 5,39%, le gouvernement ne devrait pas crier victoire trop vite. La réforme des retraites a catalysé une colère sourde et a démontré la capacité pour les syndicats de mobiliser. Comme le prédisent plusieurs d’entre eux, la rentrée risque d’être sous le sceau de la mobilisation.
Lilia Ben Hamouda