Christian Maroy, sociologue qui suit depuis des années l’évolution du métier enseignant, analyse l’impact du pacte. Pour le chercheur, « le pacte enseignant se présente comme une façon de répondre aux besoins – de revalorisation – de la profession enseignante, mais il est tout autant un moyen managérial de gérer les problèmes auxquels se heurtent le système et les établissements ». Il fait le lien entre la contractualisation à l’œuvre au sein des institutions et ce qu’implique la signature du pacte pour les enseignants.
Le statut enseignant est-il fragilisé par la mise en place du pacte ?
Oui de façon assez évidente dans la mesure où le gouvernement français choisit de proposer des « contrats aux volontaires » pour mener des tâches diverses et parfois nécessaires, en sus de leur service statutaire. Cette logique de contrat se surajoute et entame à la fois une logique de fonction statutaire, qui se décline différemment selon les diverses fonctions. D’où évidemment, un rejet syndical qui cherche à éviter des mesures qui tendent à différencier les salariés ou fonctionnaires au sein d’une même fonction. D’autant plus, que le côté « modulable » des diverses missions accentuera une forme d’individualisation de la relation contractuelle.
Est-ce que ce type de mesure est significatif du New Management Public ?
Oui. Partiellement et indirectement. Le New Management Public est originellement un discours normatif sur la gouvernance entre l’État et ses administrations, qui touche surtout les logiques organisationnelles. L’État fait des contrats avec les organisations locales – académies ou établissements – précisant des objectifs quantifiés à poursuivre avec une autonomie relative de moyens. Ces contrats mènent à une logique d’évaluation des performances, de valorisation de l’efficacité et de l’efficience, qui peut parfois être associée à des formes « de primes » – sous formes matérielles ou symboliques – mais aussi à des sanctions. La logique du « pacte enseignant » reprend cette logique contractuelle – du salaire contre des missions à remplir, parfois choisies, mais aussi une logique de valorisation de la « performance » sous forme de bonus salarial individuel. Mais, ici, le contrat ou le pacte se fait surtout avec l’individu enseignant et ne concerne pas d’abord l’organisation.
Cependant cela pourra, indirectement, contribuer à la logique managériale des établissements du fait que ce seront les chefs d’établissement qui pourront recourir ou bénéficier de ces « pactes » et donc de « temps enseignants » supplémentaires pour gérer les problèmes de leur école – les remplacements des enseignants, les suivis des élèves en difficulté, etc. Autrement dit, les ressources ne sont plus données de façon linéaire et générales à l’ensemble des enseignants – qui se plaignent à raison de leurs conditions salariales et de travail – mais sont conditionnées à des engagements contractuels sur des missions ou tâches jugées relativement clés par l’autorité publique.
En quoi ce mode de gouvernance est-il dangereux pour l’école et les services publics en général ?
En France, peut-être encore plus qu’ailleurs, le travail enseignant s’est alourdi et complexifié, du fait de beaucoup d’évolutions de l’école et de la société – nouvelles missions et attentes accrues de la société vis-à-vis de la réussite de tous les élèves, inégalités sociales toujours présentes, individualisation des parcours et des rapports à l’école, politique d’inclusion scolaire etc. Partout, on reconnait dès lors un « malaise enseignant » qui se traduit par des demandes de revalorisation salariale ou symbolique des enseignants, mais on cherche aussi à contrer les problèmes de pénurie de nouveaux candidats et de désaffection vis-à-vis de l’évolution du métier. C’est d’ailleurs aussi vrai pour d’autres métiers de la relation dans d’autres secteurs comme la santé ou le social.
Or dans ce « pacte enseignant« , la revalorisation salariale générale qui avait été promise aux enseignants n’est que partielle et devient pour partie « conditionnelle » à leur engagement supplémentaire… comme s’ils ne donnaient pas beaucoup déjà.
Du point de vue des enseignants, c’est évidemment une forme de déni de leur réalité : on suppose qu’ils ont du temps de travail « en réserve » et qu’ils pourraient travailler plus s’ils le voulaient. De plus, il repose sur une vision assez utilitariste des enseignants, qui s’engagerait surtout dans le travail éducatif en raison de leurs intérêts monétaires, sans parier justement sur un engagement plus « vocationnel » qui existe plus qu’on ne le pense.
En bref, le déni des difficultés assez généralisées de leur travail risque d’être vécu par les enseignants, comme une forme de non reconnaissance supplémentaire. Cela pourrait accentuer encore la perte d’attractivité du métier ou les formes de retrait ou de désenchantement des personnels.
En définitive, le pacte enseignant se présente comme une façon de rencontrer les besoins – de revalorisation – de la profession enseignante, mais il est tout autant un moyen managérial pour gérer les problèmes auxquels se heurtent le système et les établissements – difficultés d’apprentissage, inégalités de réussite, décrochages, qualité de la formation professionnelle et de l’insertion etc.
Les problèmes à résoudre sont évidemment bien réels, mais la stratégie pour les résoudre risque d’entrainer beaucoup d’effets négatifs sur le rapport des enseignants à leur métier et à l’institution éducative. Par contre, à ce stade, rien ne dit que cette politique va effectivement produire des effets positifs sur les problèmes à résoudre.
Propos recueillis par Lilia ben Hamouda