Pierre Ouzoulias, sénateur qui a avait déposé une proposition de loi demandant la variation des dotations des établissements privés sous contrat à la composition sociale des établissements, analyse la signature du protocole signé par le ministre de l’Éducation nationale et le secrétaire général de l’enseignement catholique. Malgré un protocole réduit à une liste de « vœux pieux », le sénateur communiste salue Pap Ndiaye « d’avoir porté sur la place publique un débat que son prédécesseur avait soigneusement évité ». « Défendre l’école républicaine c’est d’abord dénoncer la ségrégation scolaire qui ruine son projet » explique-t-il.
Le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse et le secrétaire général de l’Enseignement catholique ont signé, le 17 mai, un « un protocole d’accord décrivant une trajectoire et un plan d’action partagés, en vue de renforcer la mixité sociale et scolaire des établissements d’enseignement privés associés à l’État par contrat, relevant de l’Enseignement catholique ».
Depuis plusieurs semaines, les propos du ministre sur la nécessité démocratique et pédagogique de la mixité scolaire et l’utilité d’y associer l’enseignement privé suscitent une levée de boucliers à droite et une troublante apathie à gauche. La droite ressort l’oriflamme de l’école dite « libre » pour expliquer, contre toutes les évidences, qu’il n’y a pas de relations entre la réussite des élèves et la mixité sociale, qu’elle n’est pas efficace et qu’il ne faudrait pas « relancer la guerre scolaire » en conditionnant l’octroi de la manne publique au privé, qui représente 73 % de son budget, au respect de contreparties sociales. En bref, l’école « libre » doit rester libre de choisir ses élèves, ses méthodes pédagogiques et la façon dont elle dépense l’argent des contribuables.
L’enseignement catholique a compris, bien plus que ceux qui pensent le défendre, qu’il était vain de nier l’ampleur d’une ségrégation scolaire révélée publiquement par la publication des indices de position sociale (IPS) des établissements scolaires. Par ce protocole l’enseignement catholique reconnaît donc, contre ses thuriféraires, que l’absence de mixité sociale « met à mal l’un des principes majeurs du service public d’enseignement dans un État démocratique » et que la « diversité d’origine et de niveaux est un facteur de réussite individuelle et collective ».
Premier signataire d’une proposition de loi déposée au Sénat qui rend possible la modulation des subsides publics versés au privé en fonction de critères sociaux, je me réjouis que ce protocole reconnaisse la nécessité « de moduler les dotations horaires globales (DGH) des établissements [privés] pour améliorer la mixité sociale et scolaire ». Néanmoins, je déplore amèrement que l’État renonce à imposer aux établissements privés des objectifs contractuels en échange de son financement. Ils pourront, selon la formule de Rémy-Charles Sirvent, secrétaire général du CNAL, continuer à « jouir sans entraves de la possibilité […] de sélectionner leurs élèves ».
Il faut cependant savoir gré au ministre Pap Ndiaye d’avoir porté sur la place publique un débat que son prédécesseur avait soigneusement évité. Défendre l’école républicaine c’est d’abord dénoncer la ségrégation scolaire qui ruine son projet.
Malgré l’ambition première du ministre, il faut bien reconnaître que sa négociation avec l’enseignement privé se clôt par un protocole réduit à une liste de « vœux pieux », bien loin du contrat synallagmatique que l’on pouvait espérer. Pouvait-il en être autrement ? Certainement pas, car l’enseignement catholique n’est pas un service public. Les établissements qu’il représente sont totalement indépendants et l’organisation qui les réunit n’a pas vocation à porter une politique nationale qu’ils mettraient en œuvre. Ils auront donc toute latitude d’appliquer ou non ce protocole.
À plusieurs reprises, le secrétaire général de l’Enseignement catholique a déclaré que l’IPS élevé de certains établissements s’expliquait par leur installation dans des centres-villes où les classes favorisées sont majoritaires. Ce n’est pas totalement faux, mais cela n’explique pas, par exemple, la très faible scolarisation des élèves en situation de handicap dans ces établissements. Certains établissements ont fait le choix assumé de ne scolariser que les enfants dont la réussite scolaire est assurée. Le refus de la mixité est pour eux un « argument de vente » ! L’application de ce protocole serait donc incompatible avec leur modèle économique.
Ce protocole ne va pas transformer l’enseignement privé en un réseau capable de porter une politique publique en faveur de la mixité scolaire et sociale. L’accord le reconnaît explicitement en rappelant que les établissements jouissent de la liberté d’inscription. Certains d’entre eux l’utilisent, au mépris de la loi, en organisant un recrutement confessionnel par l’exigence de certificats de baptême, de mariage religieux ou d’appartenance à une paroisse.
Pour redonner de l’attractivité à l’école publique et ramener vers elle des parents qui s’en sont éloignés, il convient de la conforter dans ses missions de service public pour qu’elle puisse accomplir pleinement son œuvre laïque d’émancipation au profit de tous les élèves. Ce projet est celui que lui assigne le préambule de la constitution de 1946 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». Il doit redevenir le nouvel horizon d’attente de l’utopie républicaine de l’égalité des droits. Pour réenchanter la République, il faut réenchanter l’école républicaine et combattre le séparatisme scolaire qui ne cesse de progresser.
Pierre Ouzoulias
Sur la proposition de Loi déposée par Pierre Ouzoulias