Tel David contre Goliath, le lycée Théodore Monod de Noisy-le-Sec a décidé de partir seul dans une mobilisation contre la réforme du lycée professionnel. Alors que l’intersyndicale appelle à la grève le 6 juin – dans le cadre de l’intersyndicale plus large de lutte contre la réforme des retraites – et pas franchement à la grève initiée par la CGT Éduc’Action le 31 mai prochain, les enseignants de ce lycée professionnel de la Seine-Saint-Denis sont mobilisés depuis le 11 mai dernier.
« Au retour des vacances de printemps et à moins de deux mois de la fin des cours, les annonces présidentielles sur le lycée professionnel ont fait l’effet d’une bombe au sein de notre établissement, entre incompréhension, inquiétude, angoisse et sentiment de mépris » expliquent les enseignantes et enseignants. C’est lors d’une assemblée générale qu’ils ont décidé qu’ils « ne pouvaient pas continuer comme si de rien n’était ». « Nous avons été incapables de faire cours mardi et mercredi désarçonnés par ses annonces » expliquent-ils.
Un bond de 100 ans en arrière
Pour l’équipe pédagogique, cette réforme est « précipitée » et « mal préparée ». Elle n’a pour but que de « transformer les élèves, le plus souvent issus de classes défavorisées, en main d’œuvre bon marché et peu qualifiée ».
L., prof de Lettres-Histoire, est « écœurée » par cette réforme. « Dès le mardi de la rentrée, je n’avais aucune envie de faire cours. Cette réforme c’est renvoyer nos élèves issus des milieux populaires à l’usine. C’est un bon de cent ans en arrière, déjà que je m’interrogeais sur mon avenir dans l’éducation nationale… Je vais préparer ma reconversion, et ce ne sera pas pour faire professeur des écoles. J’ai passé ce concours par choix pour enseigner CES Disciplines pour CE public » s’emporte-t-elle. Même ressenti pour T., professeur de vente. « Je suis dans un état de sidération, dans un état de choc, les annonces ont été si subites. C’est une violence institutionnelle de plus. C’est le début de la fin pour le lycée pro dans son ensemble. On transforme des lycéens en salariés dès l’âge de 15 ans. On ne préparera plus de futurs citoyens mais la classe ouvrière à la manière du XIXème siècle ».
Pour le collectif enseignant, cette réforme vise à « transformer les élèves en main d’œuvre ». Elle crée « un enfermement géographique et social, sans considération pour les choix des élèves, du fait de l’indexation de nouvelles filières sur les besoins d’emploi au niveau local, débouchant sur des emplois parmi les plus précaires et les moins qualifiés ». Elle s’accompagne d’une « baisse du temps de formation à l’école due à l’augmentation de la durée des périodes de stage » qui est un « cadeau supplémentaire aux entreprises, l’État prenant en charge la rémunération des stagiaires ».
Des enseignants méprisés
Du côté enseignant, cette réforme – « précipitée, mal préparée, laissant dans l’incertitude de nombreux collègues – et élèves quant à leur avenir – se caractérise par le « mépris du gouvernement à l’égard des personnels » commentent les enseignants. Elle offre des « perspectives absurdes de reconversion des personnels concernés, ignorant les compétences particulières de chaque corps de métier de l’Éducation Nationale ». Et quant au pacte, il est considéré comme une rémunération « au chantage », « toujours inférieure à l’inflation ».
Ces annonces autour de leur métier suscitent donc la colère des enseignants. Derrière les fermetures de filières, ce sont des centaines de postes qui sont voués à disparaître. Une « forme de mépris » qui ne passe pas. M. est professeure d’économie-gestion, elle avoue ne plus dormir depuis les annonces d’Emmanuel Macron. « En tant que prof de tertiaire dont la discipline est vouée à disparaitre, je ne trouve plus le sommeil je commence à angoisser. D’autant plus que je suis contractuelle, je ne sais absolument pas de quoi mon avenir sera fait d’ici deux mois ». Pour X, professeur d’anglais, « ces annonces sont méprisantes. Le manque de considération est si criant aujourd’hui, le métier de professeur ne fait plus rêver et tout ce qui nous est proposé c’est la vieille rengaine « travailler plus pour gagner plus » comme si nous avions du temps libre en trop ». « Moi aussi je compte quitter le navire d’ici peu » déclare-t-il. Une « réforme injuste à niveau ! Tant pour les élèves que pour les professeurs. Elle implique une augmentation de la durée des stages en terminal donc moins d’heures d’enseignement » résume N., professeure de mathématiques.
Pour toutes ces raisons, les enseignants et enseignantes du lycée Théodore Monod de Noisy-le-Sec ont décidé de « monter au créneau ». « Nous refusons de nous résigner face à cette réforme inique qui vient assombrir l’avenir de nos élèves, empêchant toute ascension sociale, les enfermant ainsi dans une logique de « prêt à l’emploi » » expliquent-ils. « Conscients du peu d’intérêt médiatique du lycée professionnel, parent pauvre de l’éducation nationale, il s’agit de faire entendre notre voix et d’inciter le plus grand nombre à rejoindre la contestation de cette réforme ».
Et lorsqu’on leur fait remarquer que le combat qu’il mène semble isolé, ils répondent qu’ils espèrent que « cette initiative fera boule de neige et incitera d’autres établissements à rejoindre le mouvement et à l’amplifier jusqu’à l’abandon de la réforme ».
Lilia Ben Hamouda