La vie scolaire est un des piliers du fonctionnement des établissements du second degré. Le Café pédagogique vous propose de partager quelques instants du quotidien d’un CPE – Conseiller Principal d’Éducation – dans cette nouvelle rubrique. Nicolas Grannec, CPE qui écrit sous pseudonyme, a choisi aujourd’hui de vous parler des ALSES, alliés incontournables des CPE en éducation prioritaire, à travers le témoignage de Carole.
Dans les établissements scolaires, les conseillers principaux d’éducations sont amenés à travailler avec une multitude d’acteurs socio-éducatifs. Parmi ceux-ci se trouvent les ALSES, c’est-à-dire les Acteurs de Liaison Sociale en Environnement Scolaire qui interviennent à la fois dans les collèges (REP et REP+) et dans les quartiers afin de permettre une continuité de l’accompagnement du jeune en prenant en compte son environnement scolaire, familial, social. Avec un pied dans le collège et un pied dans le quartier, les ALSES apportent une réelle expertise sur les difficultés rencontrées par certains jeunes. Ils interviennent dans plusieurs champs d’action qui vont du décrochage scolaire à l’isolement vécu par certains jeunes.
Les ALSES, un allié incontournable des CPE
La complémentarité entre les ALSES et les CPE me semble être intéressante, car elle permet d’avoir une vision globale du jeune, à la fois dans sa posture d’élève et dans celle de jeune du quartier. En outre, les ALSES peuvent être de véritables relais pour atteindre certains jeunes qui ne parviennent pas ou qui refusent d’être assignés à une place d’élève. Des jeunes qui sont restés en chemin et qui n’arrivent pas à s’accrocher à l’école. Comme le précisait très justement Michael Pouteyo, dans sa thèse, « le chemin est le lieu de tout un chacun, on ne s’arrête pas sur un chemin, lieu de passage et non d’accroche, c’est un lieu de transition entre un endroit et un autre, peut-être entre la maison et l’école ». Comment « accrocher » ces jeunes en errance ? Cette question taraude Carole, ALSES depuis plusieurs années dans un collège de l’agglomération lilloise et avec qui j’ai eu l’occasion de travailler. Éducatrice expérimentée, elle a d’abord exercé auprès d’adolescents en souffrance dans différentes structures. Elle s’est ensuite orientée vers la prévention spécialisée, une approche éducative née au tournant de la Seconde Guerre mondiale. Elle apprend alors les rudiments du métier auprès de collègues militants : « Ils m’ont permis d’avoir un autre regard sur le rôle d’un éducateur hors les murs et d’intervenir différemment avec d’autres outils. La prévention spécialisée est une action éducative centrée sur les jeunes en difficulté. La démarche consiste à : aller vers, faire avec, agir pour ». La spécificité du travail de prévention est de prendre le jeune dans son milieu de vie et de tisser des liens de confiance avec les habitants des quartiers dans lesquels les éducateurs interviennent.
Dans ses missions d’ALSES, Carole garde une approche basée sur la prévention spécialisée. Elle continue à aller au contact des jeunes qu’elle rencontre sur la cour de récréation ou au détour d’un couloir. Elle apparaît souvent comme un point de fixation pour le jeune en difficulté qui n’hésite pas à se confier à elle. Un travail d’amorçage est alors possible avant un possible raccrochage scolaire. Ce travail auprès des jeunes apparaît complémentaire à celui du CPE, comme le souligne Carole : « Avec les CPE nous échangeons beaucoup tant sur les situations complexes que sur le climat scolaire et sur les projets qui peuvent être mis en place au sein du collège afin de permettre aux jeunes en difficulté d’avoir une bulle d’oxygène pour se recentrer et avancer plus sereinement. Nos missions respectives sont complémentaires et dans le respect de nos axes professionnels ».
… pour dénouer des situations parfois bien compliquées
Cette complémentarité se retrouve aussi dans la continuité du travail éducatif auprès des jeunes. En effet, bien souvent, les CPE, pris dans la gestion des multiples incidents à gérer, n’ont pas toujours le temps de travailler en profondeur avec les jeunes. Avoir la possibilité de passer le relais à l’ALSES apparaît comme une vraie richesse. Le CPE peut alors mener des entretiens en profondeur permettant de comprendre les situations de blocage et de situer les besoins du jeune. Ce dialogue constant qui s’opère entre l’ALSES et le CPE permet une réelle prise en charge des problématiques du jeune. D’autant plus que ce travail peut se poursuive dans le quartier en lien avec des familles les plus éloignées du monde éducatif. Cette présence au-dedans et en dehors apparaît être un avantage pour pouvoir observer le jeune dans son milieu de vie. Le contact se fait sur la libre adhésion car comme le fait remarquer Carole : « Ne disposant pas de mandat, c’est la construction d’une relation de confiance avec les publics qui sert de fondement. Celle-ci oblige à respecter la confidentialité et la discrétion sur les éléments confiés par les publics dans le cadre de cette relation librement établie ». L’idée n’est pas de mettre en place des actions pérennes mais de se situer dans une perspective de relais avec acteurs du monde éducatif ou les autres institutions présentes sur le territoire. Le travail que mène Carole permet de tisser une toile qui va du collège aux différents quartiers. Ce maillage a un réel impact dans la lutte contre le décrochage scolaire car il permet de rétablir le contact avec certains jeunes sortis des radars de l’institution. Un jeune élève de quatrième, en grand mal être et au parcours chaotique avec qui Carole avait réussi à entrer en contact, a pu ainsi revenir au collège. Il cumule toujours de nombreuses absences, mais le fait qu’il se décide à reprendre le chemin du collège était déjà une petite victoire pour l’établissement.
Quel regard porte Carole sur la jeunesse d’aujourd’hui, cette jeunesse marquée par le COVID et les réseaux sociaux ? « La réalité des jeunes accompagnés actuellement au sein du collège est complètement différentes de ce que j’ai pu connaître dans mes missions de prévention spécialisée. Nous sommes en présence de la génération post-covid, ultra connecté aux réseaux sociaux. Ils ont énormément de difficultés à verbaliser, à se projeter, ils sortent peu en extérieur et passent énormément de temps sur leur téléphone. Les relations aux autres sont virtuelles et ambiguës. Ils ne savent pas se positionner dans la relation aux autres et le face-à-face devient complexe ». Carole évoque également la difficulté à respecter un cadre, que ce soit au sein de la famille ou au collège. Ce sont souvent des jeunes qui se sentent rejetés par l’institution scolaire. Harmut Rosa, dans son livre d’entretiens Pédagogie de la Résonance, illustre parfaitement le ressenti de ces élèves : « Les enfants pour qui le monde se referme à l’école voient partout des signaux d’alerte qui les renvoient à la répulsion. Ils voient l’enseignant comme un repoussoir, qui les rejette et qu’ils veulent éviter. Les enfants et les jeunes qui ont ce type de problèmes vont immédiatement adopter la modalité de la répulsion. Ils réagissent de manière agressive, se sentent défiés au moindre de regard (…). La rencontre avec le monde est alors répulsive ; le monde est ce qui veut me faire mal ». Travailler avec ces jeunes demande de la patience, du tact et un sens de l’écoute dont continue à faire preuve Carole au quotidien, avec l’objectif de les aider à s’approprier des « fragments du monde », pour voir l’école non pas comme un espace de répulsion mais de résonance : « L’école devient un espace de résonance lorsque l’axe de résonance entre les élèves et les enseignants parvient à s’ouvrir. Cela passe par des relations sociales. A commencer par un enseignant que je laisse volontiers me prendre par la main en tant qu’élève, un enseignant qui m’ouvre les yeux sur un fragment du monde qui jusqu’ici ne me parlait pas ».
Nicolas Grannec