Alors que les syndicats avaient dès l’automne dernier signifié leur désaccord sur la réforme du lycée annoncée par le Président, le gouvernement a décidé de faire fi d’une grande partie de leurs objections. Le SNUEP-FSU, la CFDT, SUD éducation, la CGT, le SNALC et le SE-UNSA réagissent. (Article mis à jour)
Pour le SNUEP-FSU, rien ne va dans ces annonces
Au SNUEP-FSU, les annonces passent mal. Même si Sigrid Gerardin du SNUEP-FSU reconnait « qu’aider financièrement les élèves des lycées pros est une bonne chose ». Pour autant, la secrétaire générale du syndicat voit dans le conditionnement de cette aide à l’effectivité des stages un mauvais signal de plus à l’endroit des professeurs des lycées professionnels (PLP). « C’est jeter le discrédit sur le travail global effectué dans les lycées professionnels par les professeurs. La voie professionnelle scolaire présente des spécificités : les cours en atelier, les cours en classe et les stages. Décider de ne valoriser que les stages révèle la vision étriquée et réactionnaire du gouvernement. C’est penser la formation professionnelle initiale des jeunes au seul prisme du travail, celui de la simple reproduction des gestes techniques et non de la formation globale et équilibrée entre savoirs généraux, savoirs professionnels en établissement et la mise en application des connaissances acquises au lycée durant les stages ».
« Si ce sont uniquement les stages qui sont valorisés alors pourquoi n’avoir pas exiger des entreprises une contribution financière ? » interroge-t-elle. « Pour rappel, les entreprises ne sont pas formatrices pour nos élèves, en stage nos élèves travaillent. Il sont souvent mis sur des tâches subalternes et répétitives et, très souvent , ils et elles sont affectés sur des postes de salariés absents ou en congés ou encore sur des activités liées à un accroissement temporaire d’activité de l’entreprise. Sans ce vivier très important de stagiaires, les entreprises seraient obligées de recruter. Il serait donc logique qu’elles contribuent à la rémunération de nos élèves. En finançant les stages avec de l’argent public le gouvernement, avec la complicité du ministre de l’Éducation Nationale, dévoile sa vision et son objectif pour nos élèves de lycée professionnel : offrir aux entreprises de la main d’œuvre gratuite. Exit le projet ambitieux de les former globalement et solidement. On est ici sur la même logique que beaucoup d’autres mesures qui prétendent lutter contre le chômage des jeunes : distribuer de l’argent public sans condition aux entreprises ». Sigrid Gerardin rappelle que le SNUEP-FSU « porte depuis toujours l’exigence d’une allocation d’études conditionnée à l’entrée dans la voie professionnelle scolaire pour remédier aux problèmes spécifiques rencontrés par les élèves ». Des élèves qui sont majoritairement issus de classes populaires et donc « souvent obligés de chercher des jobs pour subsister. Ils cumulent de la fatigue qui de fait est défavorable à leur réussite scolaire ».
Sur le volet revalorisation des enseignants et d’un pacte spécifique au lycée professionnel, là aussi, le SNUEP-FSU fait part de son mécontentement. « Comme pour tous les autres enseignants, nous dénonçons ce pacte qui revient à travailler plus pour gagner plus, pour augmenter du pouvoir d’achat alors qu’au regard de l’inflation, même avec des missions supplémentaires, les enseignants en perdent ». Et sur le fait qu’il s’agisse d’un pacte spécifique aux professeurs de lycées professionnels, Sigrid Gerardin y voit aussi un mauvais signal. « Il n’y a eu aucune concertation. On voit que c’est une réforme autoritaire, où les décisions sont prises en haut. Il y aurait quatre missions. Deux quantifiables qui seront liées à la réforme qu’ils ont décidés de nous imposer alors même qu’elle est fortement contestée. Deux autres aux contours encore assez flous. On attend donc les textes officiels pour une analyse plus précise en attendant l’intersyndicale doit se réunir ».
Quant aux formations en fonction du territoire, du bassin d’emploi, Le SNUEP-FSU dénonce un « adéquationnisme forcené » des cartes de formation qui seraient dépendantes des besoins économiques locaux, des intérêts particuliers des entreprises locales. « C’est une rupture d’égalité entre les jeunes puisqu’en fonction de leur lieu géographique de scolarisation et de vie, ils ne pourront pas accéder aux formations de leur choix. C’est une instrumentalisation du parcours scolaire des jeunes pour répondre aux besoins des entreprises ». Et s’il y a un problème de conjoncture économique et que des entreprises délocalisent ou ferment, qu’en sera-t-il de ces jeunes formés spécifiquement aux besoins de celles-ci ? interroge la responsable syndicale. « On aura formé des jeunes uniquement sur un métier spécifique lié à une entreprise – et pas à un métier plus global. C’est prendre un gros risque pour l’avenir professionnel de ces derniers ».
Pour la CFDT, des avancées qui sont loin d’être suffisantes
Pour la CFDT et ses deux fédérations Éducation, Fep et Sgen, « les mesures contre le décrochage et pour l’insertion professionnelle vont dans le bon sens ». Même si « la gratification des stages reconnait l’investissement des élèves, elle ne résout pas l’ensemble des difficultés » déplorent les syndicats. « Il faut aussi améliorer la dimension formative des stages et combattre leurs biais discriminants – genre, origine sociale, territoires. Autant de points qui nécessiteront l’engagement des structures accueillantes ».
Pour la CFDT, la revalorisation des professeurs est un « super pacte Lycée Professionnel », elle y voit un « nouveau signe du mépris et de la méconnaissance de la réalité de leur investissement au service des élèves. La CFDT refuse l’idée d’ajouter du travail à des personnels déjà épuisés. Elle revendique que l’ensemble des taches déjà effectuées soient rémunérées à leur juste valeur ».
Une mise à sac du lycée professionnel pour SUD éducation
Pour SUD éducation aussi rien ne va. « Sous couvert de promouvoir “l’excellence”, Macron procède à la mise à sac de l’enseignement professionnel » déclare le syndicat dans un communiqué. « L’adaptation des filières aux réalités économiques locales scelle la soumission de l’enseignement professionnel aux besoins des entreprises et non aux besoins de notre société à travers la reconversion écologique de notre économie par exemple. Cette territorialisation de l’enseignement va contraindre les élèves à s’orienter vers une filière qu’elles et ils n’auront pas choisie mais qui leur sera imposée par l’offre de formation locale décidée par le patronat local ». Quant à l’indemnisation avec « des fonds publics », le syndicat y voit un choix de « sous-payer les élèves en stage avec des indemnités allant de 1,4 € de l’heure pour les élèves de seconde professionnelle à 2,8 € de l’heure en terminale ». Et l’allongement des périodes de stages sont autant de « perte de centaines d’heures d’enseignement pour les élèves et des suppressions de postes sans précédent dans les lycées professionnels » déclare-t-il. Quant à la revalorisation, il la juge inacceptable. « Ces annonces montrent à quel point la volonté d’augmenter le temps de travail des personnels va de pair avec celle de mettre l’école au service de l’entreprise en développant la découverte des métiers dès la classe de cinquième » conclut le syndicat.
Une réforme basée sur une posture idéologique pour la CGT Éduc’Action
Cette réforme est basée sur une posture « idéologique » pour CGT Éduc’Action. « L’entreprise forme et insère mieux ». « Au final, il s’agit surtout de mettre le lycée professionnel au service du patronat » indique le syndicat dans un communiqué. « La gratification des PFMP, dont les montants modiques varieront, entre 1,4 euro et 2,8 euros de l’heure, ne sera pas financée par les entreprises mais par de l’argent public. Dès 2024, l’année de terminale sera réorganisée : examen en mars et allongement de 50% des PFMP pour les élèves qui suivront le module «insertion professionnelle». Pour améliorer l’orientation, pas de moyens pour un service public de l’orientation, mais une demi-journée «découverte des métiers » de la 5ème à la 3ème dans laquelle les entreprises auront une large place ». Pour ce qui est du pacte proposé aux professeurs, l’organisation y voit une façon d’attaquer le statut, qui « est dans le viseur ».
Un diagnostic juste du lycée professionnel mais dont la responsabilité incombe au Président pour le SE-UNSA
Si « le président dresse un diagnostic assez juste des défis posés à la voie professionnelle« , « il omet de reconnaître que c’est en partie le résultat des précédentes réformes, en particulier celle conduite sous son premier quinquennat » indique le SE-UNSA. Pour le syndicat, « les nouvelles réponses qu’il énonce tous azimuts sont encore à construire ou à corriger avec des moyens garantis et non des rémunérations supplémentaires pour des missions supplémentaires. Le SE-Unsa dénonce l’entêtement idéologique sur le Pacte. Le président met la pression sur les personnels et prend le risque d’essorer et d’exploser les équipes, et ce faisant de ne pas répondre partout aux besoins de tous les élèves« . Le syndicat regrette par ailleurs que toutes ses propositions « aient été trop peu et mal reprises « .
Il faut plus de temps d’enseignement et pas plus de stage pour le SNALC
Le SNALC accueille avec « de fortes craintes » ces annonces. Deux annonces sont particulièrement inacceptables pour le syndicat. « L’instrumentalisation des lycées professionnels au service des branches professionnelles, dans un « adéquationnisme » qui fait passer l’École de la République au second plan, loin derrière les intérêts économiques à court terme ». L’allongement de 50% des périodes de formation en classe de terminale est aussi dans le viseur du syndicat. « Nos élèves n’ont pas besoin de 50% de PFMP en plus pour s’insérer – qui sont autant de semaines de cours en moins – mais au contraire de retrouver les heures d’enseignement perdues lors de la réforme du précédent quinquennat ».
Ainsi, pour la très grande majorité des syndicats, les annonces présidentielles du jour n’annoncent rien de bon pour le lycée professionnel, déclaré grande cause nationale par le Président.
Lilia Ben Hamouda