Alors que Blanquer annonçait la reconquête du mois de juin avec la réforme du bac, ce sont finalement, avril, mai et juin qu’ont perdu les élèves de terminale. Après avoir subi une « pression monstre » jusqu’en mars, ils décrochent. Comme dans une course débutée sur les chapeaux de roues où le coureur s’essouffle dans les derniers mètres. Pap Ndiaye y a même consacré sa minute de vendredi dernier, c’est dire. Une minute lors de laquelle, il a tenté de mobiliser les quelques 530 000 terminales en leur rappelant l’importance de l’« assiduité » et de la« régularité » dans leur travail pour leur réussite au baccalauréat et la poursuite de leurs études supérieurs. Au SNES-FSU, SNPDEN et à la FCPE, on fulmine. « Ce n’est pas faute de les avoir prévenus » rappelle Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat des professeurs du second degré.
Gwenn Thomas-Alves, de la FIDL et par ailleurs élève de terminale, confirme. « Il n’y a plus aucun enjeu. Les notes ne comptent plus pour ParcourSup, les absences non plus, et certains savent qu’ils ont déjà leur bac. Dans mon cas, même si j’ai 0 au Grand Oral et en philosophie, j’ai mon bac avec une moyenne de 10,92. Et certains sont à l’opposé, ils savent déjà qu’ils ne l’auront pas… » raconte le délégué national de la FIDL. Un quart des élèves de terminale seraient absents selon l’estimation du syndicat de lycéen. « Les lycéens travaillent seulement pour ParcourSup et on le voit avec le nombre d’absences record des élèves depuis les épreuves de spécialité ». À la FIDL, même si on est pour un contrôle continu, on estime que 40% de la note finale, c’est beaucoup trop. Et concernant les épreuves de spécialité, « cela n’a aucun sens de les faire aussi tôt » confie Le lycéen.
Du côté parents, la colère est grande. « Cette réforme, c’est n’importe quoi » s’emporte Sylvaine Baehrel présidente de la FCPE Paris qui a alerté le rectorat des risques d’absences et de démotivation des élèves. « On nous a répondu qu’il y avait encore le Grand Oral et la philo et qu’on envisageait de donner des cours de méthodologie pour le post baccalauréat. Mais comment faire venir les élèves ? » interroge-t-elle. « Depuis le début la FCPE dénonce ces épreuves anticipées qui n’ont aucun sens, on a demandé au Ministre de les reporter. Les élèves sont sous pression depuis la première, voire la seconde car on leur demande déjà d’anticiper leurs options On est tous perdants. On finit par ne plus voir quel était le but de cette réforme ». « Nous savions et nous n’avons pas été entendus. A croire que les experts, c’est nous et pas le ministère » note la parent d’élève.
Une course au détriment des plus fragiles
« On a stressé toute l’année pour arriver à clore les sept chapitres du programmes et les cours de méthodologie autour de la dissertation » nous raconte Marie qui enseigne les sciences économiques et sociales dans un lycée des Yvelines. « Je n’ai pas vu mon groupe classe entier depuis des semaines. Ils ont beaucoup de mal à se mobiliser ». Et ce ne sont pas forcément les élèves qui ont déjà le bac en poche. « Ce sont les élèves les plus en difficulté qui décrochent. Ils sont découragés, démotivés et ne voient tout simplement plus l’intérêt de venir en cours ». Malgré toute l’argumentation déployée par les enseignants autour de l’importance de terminer le programme complet pour le post bac, une partie des élèves ne se sent plus concernée. « J’ai du mal à comprendre cette organisation » confie Marie. « Cette réforme réussit aux élèves dont les parents ont les codes scolaires, ceux qui sont de milieux plutôt favorisés. Les perdants sont les autres. On a moins le temps de les accompagner. On travaille dans l’urgence, c’est moins qualitatif, et cela à leur détriment ». « On pourrait faire mieux, et nos élèves méritent mieux » conclut l’enseignante.
Des épreuves qui chamboulent toute l’organisation des lycées
Les épreuves de spécialité impactent aussi les enseignements de tronc commun. « Depuis les dernières vacances, on a pas eu cours pour cause de révisions, pour les épreuves écrites, les épreuves orales… Les emplois du temps ont été morcelés puisque que les collègues ont dû corriger les copies » explique Geneviève Royer, professeure d’histoire géographie au lycée Richelieu de Rueil Malmaison dans les Hauts de Seine. Les textes et concours liés à l’admission dans le supérieur chamboulent aussi le cours de ces enseignements. « Depuis la fin des épreuves, je n’ai pas ma classe complète » remarque l’enseignante. « Les élève sont démotivés et les résultats aux épreuves renforcent cela pour certains ». Autre motif d’insatisfaction, la « destruction de la relation pédagogique aux élèves » selon Geneviève Royer, qui estime être dans du « Teach to test ». « Tout est conditionné à la note. Les élèves ne révisent que pour le devoir. Ils sont pris dans une obsession de la note. Beaucoup ne vont pas bien. Des élèves fragiles mais sérieux ont des notes basses ou très basses alors que si ces épreuves avaient lieu en juin, ils s’en seraient sortis. Et ceux sont toujours les mêmes, ce sont les élèves de milieux défavorisés ». « C’est une réforme idéologique, libérale et élitiste qui porte l’idée que l’élève est responsable de son échec » termine-t-elle.
« On avait prévenu » s’agacent les syndicats
« Les classes de terminale se vident » remarque Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU. « On l’avait dit. On avait dit que ce calendrier était intenable. Intenable avant les épreuves, car il met sous pressions élèves et professeurs pour arriver au bout du programme. Intenable après les épreuves, car il sabote le dernier trimestre ». « Quelle que soit la situation de l’élève, on est dans une configuration perdant-perdant Ceux qui savent qu’ils ont eu leur bac et ceux qui ont eu de mauvais résultats » ajoute la responsable syndicale.
Du côté des chefs d’établissements aussi on est insatisfait du passage des épreuves de spécialité en mars. « Sans surprise, le fait qu’un lycéen dispose à ce stade de 80% des notes du bac peut laisser présager une faible implication pour la suite. Cela impacte les présences mais aussi le niveau d’attention en cours » déclare Bruno Bobkiewicz, du SNPDEN qui rappelle que les syndicats avaient alerté de ce risque dès septembre. « Le jeu n’en vaut pas la chandelle, ParcourSup a toujours fonctionné avec les notes de juin » argue le secrétaire générale du syndicat qui a « toujours défendu l’idée de simplification du bac » et pour qui l’idée d’une visibilité des notes de spécialité dans ParcourSup ne posait pas de souci « d’un point de vue idéologique » mais à condition de ne pas « bousiller » l’année de terminale. « C’est la conférence des présidents des universités qui a beaucoup poussé pour influencer cette décision, selon moi. Et le ministère ne veut pas revenir en arrière. Il faudra être capable de faire une analyse de ce qui s’est passé et de reculer si nécessaire. Je ne suis pas certain que l’on en soit capable. Quand on prend une mauvaise décision, il faut être capable d’en prendre une nouvelle » assène-t-il.
Lilia Ben Hamouda