La majorité de droite du Sénat a adopté le 11 avril la proposition de loi Brisson « pour l’école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité ». Elle durcit tous les marqueurs idéologiques du texte par exemple pour tout ce qui concerne la conception droitière de la laïcité. Seul le port obligatoire de l’uniforme par les élèves a été retiré du texte. Le texte doit maintenant passer à l’Assemblée. Son adoption mettrait en concurrence les établissements publics, mettrait à mal l’éducation prioritaire et ramènerait la formation des professeurs des écoles 30 ans en arrière. L’Ecole se retrouve au cœur du combat politique de la droite et de la reconstruction politique de la majorité présidentielle.
« Le Gouvernement étant bloqué, incapable de proposer des textes structurants, la droite passe l’offensive. Avec ce texte, elle entreprend méthodiquement de déstructurer l’école républicaine et de faire prospérer ses lubies réactionnaires. Nous sommes inquiets lorsque le Gouvernement explique qu’il ne faut pas aller si vite : c’est ce qu’il disait ces dernières années à propos de l’amendement sur les retraites… Ce texte fera-t-il partie d’un futur deal avec la droite ? Nous sommes soucieux pour l’avenir de l’école« . Ces propos du sénateur écologiste Thomas Dossus résument la situation qui résulte de l’adoption par le Sénat de la proposition de loi du sénateur Les Républicains Max Brisson. L’inquiétude concerne le financement de l’Ecole, son unité, le statut des enseignants et la discrimination des élèves et des parents dans l’Ecole publique.
Enjeu financier
L’enjeu financier est sous jacent à la démarche des sénateurs de droite. C’est par ces propos que Max Brisson commence la présentation du texte : « La France consacre à l’éducation de sa jeunesse 5,2 % de son PIB, contre 4,9 % en moyenne dans l’OCDE. L’éducation nationale est, à 60 milliards d’euros, le premier poste de dépenses de l’État. Et pourtant… La performance de notre système éducatif ne cesse de se dégrader« . Le sénateur oublie que le pays compte un pourcentage de jeunes plus élevé que la moyenne européenne et que le coût salarial de l’éducation par élève, selon l’OCDE, y est inférieur à la moyenne OCDE. Le souci de baisser le coût de l’éducation est bien présent dans le débat sénatorial. Aussi, quand un article, adopté, de la proposition de loi prévoit des moyens spécifiques pour les zones rurales, les assimilant à l’éducation prioritaire, il y a lieu de s’inquiéter sur le financement de l’éducation prioritaire.
Enjeu de l’unité de l’éducation nationale
Mais l’enjeu principal du texte est l’organisation même de l’Education nationale. La nouvelle loi crée des établissements publics autonomes d’éducation (EPAE) sous contrat avec l’Etat. Il peut s’agir d’écoles primaires comme d’établissements secondaires. Les chefs de ces EPAE auraient encore plus de liberté que les chefs d’établissement du privé puisqu’ils gèreraient librement les moyens mis à leur disposition, par exemple les enseignants, et décideraient de l’organisation pédagogique de leur établissement. Cette loi va mettre les établissements publics en concurrence. Elle va beaucoup plus loin que ce que prévoit déjà le CNR Éducation d’E Macron.
Enjeu pour le statut des enseignants
La nouvelle loi s’attaque aussi au statut des enseignants. Pour tous, elle prévoit aussi de mettre sous contrat les professeurs du public quant à leur affectation. C’est évidemment le début de la mise à mal de leur statut. Pour les enseignants du premier degré, le texte crée une formation spécifique dans des « écoles supérieures du professorat des écoles » administrées par les recteurs. Elle retire donc la formation aux universités pour les confier à l’administration. C’est le retour aux écoles normales, fermées il y a 30 ans, même si un amendement pour leur donner ce nom n’a pas été accepté. Ce qui est en jeu c’est le master et donc l’égalité avec les enseignants du second degré. On retrouve, toujours sous jacent, le souci d’économie qui motive ce texte. Pour les enseignants du second degré, le texte recrée des enseignants bivalents. C’est le retour des PEGC, mis en extinction il y a 20 ans et auxquels de Robien tenait tant…
Enjeu pour les élèves et leurs parents
Enfin il y a le risque de discrimination entre les élèves et leurs parents. L’article sur le port obligatoire de l’uniforme a été supprimé, la majorité sénatoriale étant divisée sur la question. Mais le Sénat a aggravé les articles concernant la laïcité. La nouvelle loi interdit les signes religieux aux accompagnateurs des sorties scolaires. Elle va encore plus loin en imposant un contrôle de conformité aux projets éducatifs territoriaux. Pour les élèves, elle impose un contrôle des certificats médicaux d’inaptitude par les médecins scolaires. On est dans la caricature : comment 800 médecins scolaires pourraient vérifier les certificats d’une population de 12 millions d’élèves ? Le sénateur P Ouzoulias a fait remarquer que la nouvelle loi interdit de fait les aumôniers scolaires. Il a demandé la suppression de l’enseignement religieux obligatoire en Alsace Moselle… sans être suivi par cette majorité « laïque »…
La proposition de loi a été adoptée par 220 voix (Républicains, Centristes, indépendants et la majorité des RDSE) contre 118 (PS, PC, écologistes et aussi macronistes du RDPI). L’avenir du texte est entre les mains du gouvernement.
Pap fait de la résistance
« Nous partageons de nombreux constats, mais nos solutions diffèrent« , a dit Pap Ndiaye. « L’autonomie des établissements que vous proposez existe déjà très largement pour les collèges et les lycées, établissements publics autonomes disposant de la personnalité juridique. Ce n’est pas le cas des écoles, mais je ne suis pas certain que nos maires soient prêts à renoncer à cette compétence qui date de la loi Guizot du 28 juin 1833. Il ne me semble pas opportun d’aligner le fonctionnement de nos écoles sur les établissements du second degré. N’écartons pas les élus« . Le gouvernement avait déposé des amendements d’annulation des principaux articles de la proposition de loi. Ils ont tous été rejetés sauf celui sur l’uniforme. Sur les accompagnateurs, Pap Ndiaye a estimé « qu’il n’est pas souhaitable d’éloigner les parents de l’école« . Mais pour les autres articles, l’opposition gouvernementale est réelle mais pas frontale. Un bel exemple est dans le débat sur l’autorité « fonctionnelle » ou « hiérarchique » des directeurs d’école. Max Brisson a beau jeu d’ironiser sur la différence après l’adoption de la loi Rilhac.
« Lorsqu’on dépose une proposition de loi au Sénat, on a deux choix : celui du consensus, par exemple avec une proposition de loi sur les écoles rurales ou la formation des enseignants, ou celui d’une proposition vaste, qui retranscrit un programme politique. C’est noble, mais sans succès futur. Cette proposition de loi se veut clivante… C’est dommage car cela nous empêche d’avancer sur des sujets précis » a déclaré Julien Bargeton, au nom des sénateurs macronistes (RDPI). Sa formule montre que des accommodements restent possibles avec la droite.
On comparera avec les propos de Céline Brulin (PC) : « La blouse devient uniforme et l’autorité devient hiérarchique, le recentrage sur le lire-écrire-compter frappant jusqu’à la formation des enseignants. La main invisible du marché, la concurrence et l’idée selon laquelle seul le privé serait efficace prédominent. Chers collègues, vous n’êtes pas à une contradiction près : vous créez du séparatisme au lieu de renforcer l’école de la République… Votre contractualisation aboutirait à une école à la carte et à une myriade d’établissements sur le modèle privé, soumis à des objectifs particuliers en termes de programmes, de moyens, d’horaires. Vous mettrez en concurrence les établissements. La France ne veut pas d’école à la carte, ni de République à la carte ! Vous pointez du doigt l’éducation prioritaire tout en la revendiquant dans la ruralité… Vos prétendus remèdes sont pires que le mal« .
L’avenir du texte va se décider à l’Assemblée dans les prochains mois dans le cadre du nouveau contrat de gouvernement que doit trouver E Borne. Le gouvernement doit chercher une majorité à droite. La droite a choisi l’Ecole pour marquer ce nouvel équilibre politique. Il y a tout lieu qu’elle fasse les frais de l’impasse présidentielle.
François Jarraud