Maria a 4 ans et demi et vit en hôtel social avec ses parents. Lorsque sa mère s’est présentée à la mairie de Noisy-Le-Grand pour l’inscrire à l’école, la mairie a refusé. Malgré plusieurs nouvelles tentatives avec l’association Askola, dont l’objectif est d’accompagner des familles dans la même situation, la municipalité s’est entêtée. Un recours auprès du recteur de l’académie de Créteil a même été tenté, sans succès comme très souvent lorsqu’il s’agit de ce recteur selon Anina Ciuciu, avocate de la maman, qui a porté l’affaire auprès des tribunaux. Mardi 28 mars, le Conseil d’État lui a donné raison. Maria pourra enfin jouir de l’un de ses droits fondamental : aller à l’école.
Qu’est-ce que le « collectif des mamans – l’école pour nos enfants » que vous représentez ?
Le collectif des mamans, ce sont des mamans qui ont rencontré des refus d’inscription scolaire en Seine-Saint-Denis. Toutes vivent dans des situations d’extrême précarité – bidonville, squat, hôtels sociaux parfois même dans la rue. En mai 2021, elles ont décidé de s’organiser en collectif afin de faire entendre leurs voix et défendre le droit d’aller à l’école pour leurs enfants et pour ceux qui sont confrontés aux mêmes discriminations en Seine-Saint-Denis.
Toutes ces mamans ont été accompagnées par les médiatrices de l’association Askola dans les démarches d’inscription à l’école. Quand les familles rencontrent des difficultés administratives, et qu’elles ont la chance de connaître cette association, elles font appel à elles. Les médiatrices effectuent un travail remarquable, non seulement au niveau administratif mais elles aident aussi à protéger du mépris qui est souvent réservé à ces familles lorsqu’elles se présentent au guichet pour inscrire leur enfant. Et si, malgré cet accompagnement, les municipalités continuent de refuser d’appliquer le droit à la scolarisation de leur enfant, j’interviens en tant qu’avocate pour faire respecter ce droit. Je les accompagne dans la procédure judiciaire.
En France, des enfants se voient refuser le droit d’aller à l’école ?
Malheureusement, aujourd’hui, pour les enfants vivant dans des situations d’extrême précarité, les refus d’inscription scolaire sont systématiques en Seine-Saint-Denis. Ce sont des refus illégaux que leur opposent les maires du département. Cela existe partout en France, mais comme en Seine-Saint-Denis, il y a énormément de précarité, il y a beaucoup plus de cas. On parle tout de même d’une très grande majorité des communes du 93.
Quel que soit la couleur politique de la mairie ?
Tout à fait. C’est d’ailleurs plutôt exceptionnel que les maires respectent le droit d’aller à l’école de ces enfants. Depuis l’entrée en vigueur en septembre 2020 du décret d’application de l’article L131-6 du code de l’éducation qui précise les pièces exigibles lors de l’inscription scolaire, l’association a décompté 64 refus. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Ce sont seulement les refus dont a été saisie l’association. En réalité, il y en a beaucoup plus.
Vous avez participé à la rédaction de ce texte de loi. Pourquoi ce texte ?
Il est surement difficile d’imaginer qu’aujourd’hui en France, on refuse l’inscription scolaire à des enfants parce qu’ils sont pauvres. C’est pourtant une réalité. On ne veut pas que ces enfants s’asseyent sur les mêmes bancs de l’école que les autres. Ce sont des enfants invisibles dont tout le monde se fout, des enfants qui ne comptent pour personne. C’est pour cela que ces mamans – les seules pour qui ces enfants comptent, des mamans qui déplaceraient des montagnes pour eux, qui veulent leur donner la possibilité de rêver à un avenir décent – ont décidé de se prendre en main et de s’organiser en collectif. Les refus d’inscription scolaire perpétuent la grande précarité, qui viendrait comme un héritage.
L’égal accès à l’instruction est garanti par la Constitution, par la Convention internationale des droits de l’enfant et c’est la première priorité nationale selon le Code de l’Éducation. L’article L131-6 du code de l’éducation vient ancrer plus fortement ce droit. Modifié dans le cadre de la loi pour une école de la confiance, il dit que le maire a l’obligation d’établir la liste des enfants inscrits sur sa commune. Il dit aussi que les pièces exigibles pour l’inscription sont listées dans un décret, qui est sorti le 29 juin 202O, et est entré en vigueur en septembre de la même année. Ce décret précise que les seules pièces exigibles sont un justificatif de l’identité de l’enfant, du responsable légal et un document justifiant de leur domicile. Ce texte insiste sur le fait qu’une attestation sur l’honneur des parents comme justificatif de domicile suffit. Le maire peut faire procéder à des vérifications mais que cela ne doit pas poser obstacle à l’inscription scolaire. Le texte est très clair. Quand une mairie refuse l’inscription, c’est délibéré.
Et le rectorat, qui représente le ministère de l’éducation nationale et qui est donc garant du respect du code de l’éducation, que fait-il ?
Le recteur a en effet le devoir et le pouvoir de palier à la défaillance du maire. C’est à dire que quand le refus est illégitime, il a le pouvoir – à travers le Dasen – d’inscrire l’enfant. Nous les avons solliciter dans le cas de Maria, en leur adressant un courrier en recommandé et en leur demandant de l’inscrire sous une semaine. Nous avions prévenu que sinon nous saisirons le tribunal administratif. Honnêtement, on leur a laissé plus de temps, car nous espérions qu’ils allaient inscrire l’enfant. Le Recteur n’a pas répondu à cette mise en demeure. Pour autant, il est bien intervenu dans la procédure auprès du tribunal administratif de Montreuil, mais pour défendre le refus d’inscription sous prétexte que le justificatif de domicile n’était pas suffisant. Jusque-là, le tribunal administratif nous a toujours donné raison, mais comme Daniel Auverlot, le recteur d’académie est intervenu, il nous a débouté. C’est un véritable scandale, c’est l’intervention de ce haut fonctionnaire censé garantir le respect du code de l’éducation qui a empêché le respect du droit à aller à l’école de Maria.
Que des maires cèdent à des pressions racistes des administrés, ce n’est déjà pas normal. Mais quand un recteur dont la mission est d’assurer l’effectivité du droit à l’éducation sur son académie vient défendre les refus illégaux, c’est scandaleux. Mais ce n’est pas la première fois, ce recteur s’est illustré par sa promptitude à faire en sorte quel le droit à la scolarité ne soit pas respecté pour les enfants vivant dans la grande précarité. Nous sommes donc aller au Conseil d’État, et lors de l’audience qui s’est tenu jeudi 23 mars dernier, le représentant du ministère de l’Éducation nationale a regretté – à l’oral – la position tenue par le recteur dans ce dossier.
Vous êtes personnellement très investie. Pourquoi ?
J’ai été l’une de ces enfants. Je suis une enfant rom de Roumanie et lorsque je suis arrivée en France, à huit ans, j’ai vécu en bidonville, en squat, en hôtel social – pas par choix, par précarité. Quand mes parents ont demandé notre inscription scolaire, nous venions d’être expulsés d’un foyer social, nous vivions dans un camion aménagé par mon père. Le maire de la ville de Bourg en Bresse nous a refusé notre droit fondamental à aller à l’école. C’était d’une extrême violence pour mes parents, pour nous. Et terriblement humiliant. Si j’ai pu aller à l’école, c’est grâce à une enseignante qui nous a fait un certificat d’hébergement et aux sacrifices énormes de mes parents.
Et puis, pour aller plus loin, on se bat pour aller à l’école mais une fois qu’on y est, ce n’est pas simple non plus. Il faut être capable d’affronter le racisme au quotidien des élèves et des adultes, malheureusement.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda