La cour des comptes consacre un chapitre entier de son rapport annuel 2023 aux collèges, « La construction, la rénovation et l’entretien des collèges : mieux articuler les actions de l’Éducation nationale et des départements ». Elle relève une hétérogénéité des situations départementales et des financements et invite l’État à « rester garant, par ses pouvoirs de régulation, du déploiement homogène d’un service public national de l’éducation sur l’ensemble du territoire ».
« Depuis le 1er janvier 1986, la gestion des bâtiments des collèges, devenus établissements publics locaux d’enseignement (EPLE), relève des collectivités départementales » introduisent les sages. « Ces dernières ont notamment l’obligation d’assurer les dépenses de construction et grosses réparations ainsi que les dépenses de fonctionnement associées. Il en va de même pour les régions s’agissant de la gestion des lycées ». Pour son bilan annuel 2023, la cour des comptes a décidé de placé la focale sur les collèges, un choix qu’elle justifie par la concentration d’une génération d’élèves, dont les parcours se diversifient au lycée.
Le rapport souligne le rôle accru des départements en matière éducative. « Les nouveaux défis à relever concernent la prise en compte des problématiques environnementales et sanitaires, la sécurité et l’accessibilité, mais aussi l’adaptation des locaux des collèges aux pratiques pédagogiques, actuelles et futures, de l’École du XXIe siècle ».
Au terme de leurs investigations, les sages relèvent que « malgré une politique volontariste des départements, de fortes inégalités territoriales demeurent. Le processus de co-construction devant guider l’exercice de responsabilités partagées doit encore être consolidé, afin de permettre une adaptation du service public aux besoins de l’éducation du XXIe siècle ».
Une hétérogénéité de situations départementales
La cour des comptes rappelle les disparités fortes de population en fonction des territoires qui impactent les coûts pour les départements. « Entre 2013 et 2018, le département de la Seine-Saint-Denis a ainsi connu un taux annuel moyen d’augmentation de sa population 2,5 fois supérieur à la moyenne nationale. La tranche d’âge des 0-14 ans a crû dans ce département de 11,1 % , quand la part des moins de 15 ans diminuait de 5,6 % en Mayenne. La courbe démographique apparaît alors comme le principal facteur impactant les stratégies patrimoniales des départements ».
L’implantation de l’enseignement privé a lui aussi des conséquences sur les investissements départementaux. « Le département n’ayant l’obligation de participer qu’aux seules dépenses de fonctionnement de ces établissements, un fort taux de collèges privés, comme c’est le cas dans l’ouest de la France, allège d’autant la charge départementale en matière d’investissement ».
Les politiques éducatives impulsées par la rue de Grenelle impactent elles aussi le budget des département souligne la cour des comptes, « en diminuant les effectifs d’élèves par classe, le classement d’établissements en éducation prioritaire fait augmenter les besoins en espaces d’enseignement ».
Selon le rapport, en 1986, les budgets des départements consacrés aux collèges étaient de 1,1 Md€. « Ce montant a plus que quintuplé (x 5,6), pour atteindre 6,2 Md€ en 2020. Dans le même temps, la part des dépenses correspondantes dans l’ensemble des dépenses des départements a doublé́, passant de 3,12 % en 1986 à près de 6 % en 2021 ». Un effort essentiellement dû aux dépenses d’équipement, dont « la part dans les budgets des départements a plus que triplé entre 1987 (5,84 %) et aujourd’hui (20,7 %) ».
« Pour aider les départements à faire face à ces dépenses nouvelles, l’État a mis en place un système de compensation financière, assuré par une augmentation de la dotation générale de décentralisation (DGD) pour le fonctionnement et par l’attribution de la dotation départementale d’équipement des collèges (DDEC) pour l’investissement » rappellent les sages. « Jusqu’au 31 décembre 2007, son montant était réparti entre l’ensemble des départements en fonction de critères reflétant la capacité d’accueil des collèges et l’évolution de la population. À compter de 2008, la DDEC a été forfaitisée. En conséquence, le montant de la DDEC, fixe depuis 2009, se trouve décorrélé de l’évolution des effectifs de collégiens et de la superficie des bâtiments scolaires » déplorent-ils. « Cette forfaitisation pénalise notamment les départements en augmentation démographique et socialement les plus défavorisés. En sens inverse, elle avantage ceux qui connaissent une baisse de leurs effectifs. Cette situation crée des inégalités que le principe constitutionnel de péréquation vise pourtant à corriger ».
Ainsi, certains départements, comme la Seine-Saint-Denis voient leurs dépenses d’investissement couvertes à hauteur « de seulement 9,28 %, quand des départements en déprise, comme l’Allier ou la Mayenne, bénéficient d’une couverture proportionnellement plus importante, de respectivement 18,71 % et 17,76 % ».
Les dépenses des départements varient ainsi fortement. Si en moyenne, un collégien coût 1 720 euros au département, dans cinq départements, la note d’élève à 2 400 euros. « La Lozère et la Haute-Marne figurent en tête de classement, en raison d’un effort d’investissement soutenu cette même année. La Seine-Saint-Denis se place juste après, avec 2 460 € par collégien, dont 1 110 € pour l’investissement. À l’inverse, 15 départements ont dépensé́ moins de 1 400 € par collégien ». En matière d’équipement, là aussi de fortes disparités perdurent avec, par exemple, des dépenses moyennes annuelles de 2,15 M€ dans les Ardennes à 78,05 M€ en Seine-Saint- Denis. Ces différences seraient dû principalement à l’état du bâti scolaire et à la dynamique démographique.
Une gouvernance du service public d’éducation à renforcer
Concernant la co-construction du service public d’éducation par le département et le ministère de l’Éducation nationale, là aussi, la cour des comptes relève de fortes disparités. « La qualité et la fréquence de tels échanges relèvent davantage de pratiques individuelles que de circuits administratifs formalisés, ce qui laisse place à des modalités de gouvernance très variables d’un territoire à l’autre, révélatrices d’une structuration insuffisante du pilotage local ».
Les sages invitent donc à « formaliser davantage les modalités de cette articulation et à faire en sorte que l’État, désormais stratège en tant que garant ultime de l’intérêt général, garantisse, par son intervention, le déploiement homogène du service public national de l’éducation ».
Concernant les modalités de pilotage des EPLE (Établissement Public Local d’Enseignement), la cour des compte recommande de les refonder. « Afin d’introduire un véritable processus de complémentarité entre les différents acteurs, les modalités de gestion, de dialogue et de pilotage doivent évoluer, pour assurer davantage de proximité́ et de souplesse avec les départements. Cela passe notamment par leur intégration plus forte au dialogue de gestion mené par les services académiques, mais aussi par la conclusion de pactes territoriaux pour le second degré entre l’éducation nationale, les collèges et les départements ».
La carte scolaire est pointée comme source de tension entre l’éducation nationale et les élus des départements selon le rapport. « Les départements déterminent la localisation des établissements et leur secteur de recrutement, tandis que les informations sur les caractéristiques socio-économiques et le pouvoir d’affectation des élèves sont détenus par les inspecteurs d’académie. L’efficacité d’un tel partage des compétences repose dès lors sur un « pari hasardeux », à savoir la capacité des deux institutions à partager des informations et, plus globalement, à travailler ensemble ». Les sages déplorent par ailleurs que « près d’une dizaine d’années plus tard (en référence à son rapport de 2013 sur la carte scolaire), le constat demeure. Malgré son inscription dans le code de l’éducation, l’objectif de mixité sociale demande toujours à être rendu opérationnel ».
La cour des comptes souligne aussi le rôle central du bâti scolaire dans la lutte contre les violences en milieu scolaire, dans le bien-être des usagers et la nécessité d’intégrer progressivement les normes environnementales et de lutte contre les épisodes caniculaires.
Des pratiques pédagogiques qui impactent les dépenses
La cour des comptes souligne les mutations des pratiques pédagogiques qui influent sur le bâti scolaire. « Les établissements orientent donc leurs exigences vers davantage de modularité dans les espaces afin de répondre au mieux aux besoins spécifiques de chaque élève ».
« Par destination, les locaux scolaires sont utilisés pour les activités d’enseignement 35 semaines par an, soit 67 % du temps » rapportent les sages. « De plus, la baisse des effectifs dans certaines zones conduit à un surdimensionnement de certains locaux. Cette situation est coûteuse pour les départements, qui financent un patrimoine en partie inoccupé. Elle prive également la population d’un accès à des équipements publics ». Ils enjoignent, par conséquence, à une mutualisation des locaux, voire comme dans certaines expérimentations, à un rapprochement avec le premier degré. « Une conception différente des établissements émerge peu à peu, facilitant le travail des enseignants et les apprentissages des élèves, grâce à une organisation spatiale repensée, facilitée lorsque les équipements numériques sont de bon niveau » .
Un État garant du déploiement homogène d’un service public national de l’éducation sur l’ensemble du territoire
Dans sa conclusion, la cour rappelle que « depuis la décentralisation, les départements ont réalisé d’importants efforts financiers pour rénover et améliorer les bâtiments dévolus aux collèges et construire de nouveaux établissements. Les investissements ainsi consentis, mais également l’efficacité d’une gestion plus proche et mieux informée des besoins locaux, ont permis d’améliorer sensiblement la qualité de leur installation immobilière par rapport à la situation prévalant avant 1982. Cependant, les modalités d’articulation entre l’action du ministère de l’éducation nationale et celle des départements révèlent toujours une certaine complexité et montrent des limites. Les conditions de la gestion actuelle devraient être améliorées dans le sens notamment d’une plus grande prise en compte des différences de situation entre collectivités. Tout en acceptant une certaine diversité des interventions des départements, propre à la décentralisation, l’État doit rester garant, par ses pouvoirs de régulation, du déploiement homogène d’un service public national de l’éducation sur l’ensemble du territoire ».
A cette fin, les sages produisent un certain nombre de recommandations. « Assurer une concertation interministérielle réelle entre le secrétariat général du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse et le ministère de l’intérieur et des outre-mer relative à l’attribution des concours financiers en faveur du bâti scolaire. Conditionner le soutien financier de l’État aux projets d’investissement en faveur des collèges permettant d’accroitre l’efficacité énergétique et le respect des normes environnementales. Renforcer la péréquation dans le calcul de la DDEC en faveur des départements où les besoins sont les plus importants ».
Lilia Ben Hamouda