Marc Bablet, membre du bureau et du comité scientifique de l’OZP, réagit aux annonces du Ministre pour une meilleure mixité sociale et scolaire. L’ancien chef du bureau de l’éducation prioritaire à la DGESCO déplore que ces annonces soient le « fruit d’un travail des services administratifs et du cabinet, sans association véritable de tous les acteurs concernés, au premier rang desquels les professionnels de l’éducation ». Dans cette tribune, il rappelle l’intérêt – pédagogique et social – de la mixité. Il s’interroge aussi sur « l’isolement » de Pap Ndiaye dans ce dossier, « Il est surprenant de voir le ministre chargé de l’éducation nationale partir seul au combat sur ce point, tant le sujet devrait être partagé entre différents ministères ».
La publication de l’Indice de Position Sociale (IPS) a permis à tout un chacun de voir que les élèves sont répartis très inégalement selon leur origine sociale. Aux plus favorisés (sur le plan culturel, social et économique), qui vivent dans les beaux quartiers, les établissements privés et les établissements publics qui les concentrent, dans un entre soi choisi, parfois caricatural dans le privé (IPS à plus de 110). Aux plus pauvres, qui vivent dans les quartiers populaires de banlieue, les établissements publics les plus ségrégués, où ils sont rassemblés malgré eux (IPS à moins de 90). Entre les deux, il existe heureusement des quartiers et donc des écoles et des établissements d’une mixité sociale normale pour notre pays (IPS entre 90 et 110), ce sont d’ailleurs les plus nombreux (4078 sur 6967 collèges publics et privés).
Face à cette évidence devenue criante, le pouvoir politique réagit et décide d’améliorer la mixité sociale dans les établissements scolaires. Le ministre va annoncer des mesures, qui sont le fruit d’un travail des services administratifs et du cabinet, sans association véritable de tous les acteurs concernés, au premier rang desquels les professionnels de l’éducation. En conséquence de la communication ministérielle, l’objectif fixé d’amélioration de la mixité sociale va dominer les discours à venir. Dans ce que l’on anticipe actuellement, il est surtout question du collège et du lycée.
Pour ceux qui travaillent de longue date sur les apprentissages des élèves de milieux populaires, au moins trois questions doivent être posées :
- Pourquoi doit-on développer la mixité sociale à l’école, au collège, au lycée ?
- La mixité sociale dans les écoles et établissements peut-elle s’obtenir uniquement par des mesures scolaires ?
- La mixité sociale résout-elle à elle seule les problèmes d’apprentissage des élèves des milieux populaires ?
Pourquoi doit-on développer la mixité sociale à l’école, au collège, au lycée ?
Il existe sans doute des raisons de divers niveaux : que vaut une société qui, comme les sociétés de castes, distingue les uns des autres, en enfermant chacun des groupes humains dans des destins séparés ? Peut-on encore dire que l’on fait société ? Et même si l’on veut former des élites, peut-on envisager que les élites ou prétendues telles puissent exister sans connaître l’autre partie du monde ? Et si l’on prétend rechercher l’égalité et la fraternité, pourrait-on accepter qu’elles restent à plusieurs vitesses ? On pourrait défendre à ce sujet des idées politiques ou simplement citoyennes et affirmer que les inégalités et ségrégations sociales sont insupportables et dangereuses pour la vie en société et tout simplement pour la vie des gens.
Pour nous l’école doit faire réussir tous les élèves. Rappelons l’exigence de principe, qui, au sortir de la guerre, constituait le fondement du plan Langevin Wallon en 1946 . Il faut donc développer la mixité sociale, parce qu’elle est l’une des conditions de la réussite scolaire de tous. Ceux qui sont captifs des écoles et établissements ségrégués ont moins de chances que les autres d’atteindre cette réussite. Les données de recherches suffisent à le démontrer. En développant la mixité sociale, on permet plus de diversité des niveaux scolaires dans les mêmes établissements, on crée de l’hétérogénéité scolaire favorable à la réussite de tous. Des élèves familiers de la culture scolaire qui aident leurs pairs en difficulté tirent aussi parti pour eux-mêmes de cette activité.
En revanche on peut regretter que la mixité sociale soit le plus souvent évoquée pour les lycées et collèges et non pour les écoles. L’école, c’est la proximité. Le privé y est relativement peu implanté. Par des mesures strictement scolaires, il est difficile d’y améliorer la mixité sociale, alors qu’elle serait tellement importante à l’école maternelle, notamment pour la compréhension des attentes de l’école et le développement du langage. A l’école, c’est d’abord le travail sur l’urbanisme et le logement qui peut permettre de faire varier le degré de mixité sociale car on voit, malheureusement, mal des maires, élus par les plus riches dans des communes mixtes, se lancer dans des croisades sur la sectorisation, électoralement mortifères.
La mixité sociale dans les écoles et établissements peut-elle s’obtenir par des mesures scolaires uniquement ?
Il est surprenant de voir le ministre chargé de l’éducation nationale partir seul au combat sur ce point, tant le sujet devrait être partagé entre différents ministères, notamment ceux qui ont une responsabilité sur la politique de la ville, le logement, l’urbanisme et l’aménagement du territoire. En outre la politique économique actuelle n’est pas animée du souci de réduire les écarts socio-économiques à la source des inégalités. On voit bien que les riches s’enrichissent et que les pauvres s’appauvrissent. Seul un Etat fort, avec un impôt mieux réparti et des services publics confortés dans leur rôle, le permettrait. La recherche de la mixité sociale à l’école n’est-elle alors qu’un vain mot ? Comment croire que l’école seule peut résoudre la question ? Et qui pourra faire plier l’enseignement privé, champion de l’entre soi des plus favorisés (et qui ose aujourd’hui réclamer des moyens), là où Alain Savary n’a pas réussi en 1984 ?
Les quelques mesures scolaires dont on parle ne vont pas de soi et sont toutes à double tranchant. Que vaudra, par exemple, un renforcement des sectorisations sur des périmètres mieux conçus pour la mixité sociale, si on laisse prospérer le privé à côté et si on autorise des dérogations ? Que valent les sections d’excellence qui créent de l’apartheid social, au sein même des établissements, avec des effets de ségrégation générateurs de violence comme Debarbieux l’a bien montré dans ses travaux ? Que valent les secteurs multi collèges si on n’y inclut pas le privé ? Et comment les maires (pour les écoles) et les conseillers départementaux (pour les collèges) s’associeront-ils à cette politique, eux qui sont élus par des majorités sociologiques rarement porteuses de la volonté d’égalité ? Bon nombre préfèrent payer des pénalités que de créer des logements sociaux. Ne pourrait-on augmenter les pénalités des communes les plus riches pour favoriser la mixité sociale ou obliger les maires à préempter pour en réaliser?
Il faudra analyser toutes les mesures proposées par le ministère, en alertant sur leur caractère illusoire et en exprimant le besoin d’autres mesures, propres à éviter les déceptions. Il faudra souvent beaucoup de force aux équipes d’enseignants et d’encadrement sur le terrain pour obtenir des évolutions souhaitables et pas seulement scolaires, car la mixité sociale est de nature socio-économique avant d’être scolaire : c’est aussi une affaire de politique d’urbanisme et de logement.
La mixité sociale résout-elle, à elle seule, les problèmes d’apprentissage des élèves des milieux populaires ?
On pourrait poser la question autrement : A quelles conditions la mixité des niveaux scolaires, fruit de la mixité sociale, est-elle un facteur de réussite pour tous ? Dès 1976, une grande sociologue de l’éducation française, Viviane Isambert Jamati, interrogeait la capacité de l’école, telle qu’elle existait à son époque, à faire réussir les élèves des milieux populaires. Elle identifiait déjà diverses raisons : la qualité des bâtiments scolaires et des équipements, l’expérience de professionnels enseignants plus ou moins jeunes, plus ou moins formés, les formes du travail pédagogique. Cela reste vrai et il faut jouer sur toutes les composantes de l’action scolaire et de l’enseignement. La réussite scolaire est non-scolaire, scolaire et pédagogique. Croire que la mixité sociale (un aspect du non-scolaire) résoudrait tout à elle seule serait illusoire, mais c’est hélas souvent ainsi que l’on fait valoir une politique, sans se préoccuper de tout ce qu’elle suppose d’autre pour aboutir. On l’a déjà vu avec les CP et CE1 à 12. Il ne faudrait pas vendre de nouveau une fausse monnaie soigneusement médiatisée. Il faut rappeler inlassablement que la réussite scolaire est systémique : ce n’est qu’en travaillant en même temps et de manière coordonnée sur toutes les composantes de l’enseignement que l’on peut espérer réussir pour les plus pauvres, en éducation prioritaire comme ailleurs. . Rappelons l’importance du travail avec les parents, du travail collaboratif au sein des équipes, d’un enseignement plus explicite, de la formation initiale et continue. Si au moins on retirait des emplois pour remettre en place une formation initiale digne de ce nom ! On se contente de faire des économies. Ce n’est pas ainsi que la mixité sociale, même si elle s’améliorait, pourrait avoir des effets.
Marc Bablet
Deux références pour aller plus loin :
Un document établi par la DGESCO et sauvé de l’oubli ministériel par l’OZP « Penser l’hétérogénéité pour en tirer profit »