« Dans son idée le SNU est-il franco-français ou européen ? Quels sont ses objectifs ? » Le SNU est-ce le retour de la tradition ou un objet inédit dans l’histoire de l’Ecole ? Historien de l’éducation, Claude Lelièvre revient sur les rapports entre l’Education nationale et la défense pour arriver aux déclarations d’Emmanuel Macron. Qu’est devenu le projet d’éducation européenne qu’il portait en 2017 ?
La question du SNU revient dans l’actualité avec l’idée d’un « séjour de cohésion » de deux semaines obligatoire pour les lycéens de seconde. Si Emmanuel Macron valide ce projet, les associations d’éducation populaire seraient mises à contribution pour encadrer ces stages avec des personnels Education nationale et des militaires. A-t-on des précédents dans l’histoire de l’Ecole de séjours « de cohésion nationale » obligatoires ?
Je n’ai pas souvenir de quoi que ce soit de cet ordre. Le SNU est un dispositif singulier, sans précédent. Cependant on a un exemple qu’il faut rappeler. Celui de la gymnastique avec ambition de formation militaire qui a eu lieu à l’école primaire sous Jules Ferry. Le décret sur les bataillons scolaires les organisait sous la double tutelle des ministères de la Guerre et de l’Instruction publique. Mais cela n’a pas duré longtemps. Assez vite, dès l’affaire Boulanger et celle des congrégations, les républicains se sont aperçus que cette éducation de type militaire risquait de favoriser les coups d’Etat militaires. Ils ont abandonné ces bataillons car le nationalisme exacerbé conduit au bonapartisme. Le patriotisme a continué à être prôné mais sous des formes plus pacifiques que militaires.
On a récemment vu se multiplier des lois et des propositions de loi pour enseigner les valeurs de la République. Je pense par exemple à la loi Blanquer. Quel regard jetez-vous sur cette succession de textes ?
Quand il y a succession c’est souvent que la loi n’est pas applicable ou appliquée, ou encore qu’elle n’a pas été faite pour être vraiment appliquée. Souvent il s’agit simplement de manifestation destinée à une opinion publique. On l’a vu par exemple avec l’histoire de la Marseillaise à l’école. Contrairement à ce que l’on pense la connaissance par coeur de la Marseillaise n’est pas liée au régime républicain. Il faut attendre 1911 pour qu’une simple circulaire dise qu’il faut l’apprendre dans les écoles. Circulaire réitérée à la Libération. En 1985, Chevènement l’a rendu obligatoire mais seulement au CP. On peut se demander si on visait vraiment une éducation avec ces textes. Récemment les amendements à la loi Blanquer sur l’affichage de la Marseillaise et des drapeaux dans les salles de classe étaient une inflation voulue par E Ciotti. JM Blanquer s’y est plié. Mais j’ai des doutes que ce soit appliqué dans toutes les classes. C’est surtout de l’affichage pour les parents ou l’opinion. On ne se préoccupe pas vraiment de ce qu’en pensent les élèves et des effets sur eux.
Vous avez été associé aux réflexions qui ont suivi les attentats de 2015. Un équivalent du SNU a t-il été envisagé à ce moment ?
Pas du tout. J’ai participé à la réunion initiée par N Vallaud Belkacem où s’étaient retrouvés de nombreux anciens ministres de l’éducation nationale. Des diagnostics ont été évoqués mais pas du tout quelque chose de l’ordre du SNU par qui que ce soit. Dans les semaines qui ont suivi il y a eu des demandes de débat en classe mais rien qui relève d’un dispositif de mise au pas comme le SNU.
Ce souci d’unifier la jeunesse dans une sorte de mouvement de jeunesse unique et obligatoire est nouveau ?
Indirectement sous Pétain des mouvements de jeunesse ont été branchés sur l’Etat. Mais ce qui me frappe dans cette affaire c’est qu’on oublie la dimension lancée par E Macron et JM Blanquer. Le 26 septembre 2017, E Macron disait : « l’Europe doit être cet espace où tout étudiant devrait parler deux langues européennes ». Le 22 mai 2018, à l’Assemblée nationale, JM Blanquer disait qu’il a élaboré une stratégie avec E Macron dont l’axe central est qu’à l’horizon 2024 chaque étudiant parle deux langues européennes autres que la sienne et que « la moitié d’une classe d’âge devra avoir passé au moins 6 mois dans un autre pays européen ». Qu’est devenue cette politique d’E Macron ? Dans son idée le SNU est-il franco-français ou européen ? Quels sont ses objectifs ? E Macron et le ministère ont-ils abandonné la dimension européenne ambitieuse qu’ils avaient ?
Au regard des valeurs de la République, quelle différence voyez-vous entre ce projet de SNU et l’EMC ?
Elle est gigantesque ! Dans le contexte de la Libération, le plan Langevin Wallon ne prévoyait rien de comparable au SNU. Bien qu’issu de la Résistance, il n’avait aucune vue nationaliste ou militaire. Au contraire il insistait sur le fait que l’éducation civique doit faire que les activités scolaires « s’organisent de telle sorte que tous les élèves aient alternativement des responsabilités de direction et d’exécution ». L’EMC ne se fait pas par des discours mais des pratiques qui ne sont pas de subordination. Pourtant le pays en 1945 sortait d’une grande épreuve sur le plan du nationalisme. Ce qui a été envisagé ensuite sous Peillon pour l’EMC allait dans cette direction et pas du tout vers une forme militaire c’est à dire de subordination. Cela devrait nous faire réfléchir.
Propos recueillis par François Jarraud