Alors que le ministre de l’Éducation nationale martèle qu’il faut un « choc d’attractivité » pour pallier la pénurie de candidats aux concours du professorat, sur le terrain, les étudiants de Master MEEF dénoncent les conditions de leur formation. À l’image de ce collectif d’étudiants des INSPE de l’académie lilloise, « le sentiment de mal-être que nous exprimons ici est particulièrement lié, selon nous, à la pression évaluative systématique fondée sur des mises à l’épreuve fréquentes et massives ». Une situation loin d’être isolée. Les témoignages d’étudiants en souffrance fleurissent sur les réseaux sociaux. Plusieurs formateurs, qui ont accepté de témoigner sous couvert d’anonymat, reconnaissent les difficultés engendrées par la réforme Blanquer. Alors créer un choc d’attractivité, pourquoi pas mais autant faire en sorte que les étudiants engagés dans la voie de l’enseignement ne craquent pas en cours de route, non ?
Calvaire, cauchemar, souffrance, cri d’alarme… les qualificatifs utilisés par les étudiants qui ont acceptés de se livrer au Café pédagogique sont éloquents. Les maquettes de formation diffèrent d’une académie à l’autre. Seul point commun depuis la réforme de la formation, le passage du concours en Master 2 cumulant ainsi cours à valider, stages en responsabilité, concours… Le collectif, qui interpelle l’institution, à l’échelle des INSPE, de l’académie, mais aussi du ministre, met en garde les étudiants qui souhaitent s’engager dans le master MEEF. « Qu’ils se préparent à subir une pression évaluative destructrice mentalement, si aucune transformation importante n’est envisagée. En tant que futurs professeurs des écoles – et pour beaucoup déjà en responsabilité, nous apprenons à transmettre et évaluer positivement dès la maternelle, avec bienveillance et mesure. « Évaluer, c’est donner de la valeur », avons-nous appris. Là, nous avons le sentiment chaque jour d’en perdre. Comment engager avec des élèves demain ce que nous vivons tout autrement aujourd’hui ? »
« La deuxième année de master me consume »
« Mon rêve est de devenir enseignante depuis que j’ai 8 ans » nous confie M, étudiante. « Pourtant, aujourd’hui je suis en train de sombrer. Je suis dans l’obligation de travailler 7 jours sur 7 du fait de l’alternance, des 8 examens à préparer, du mémoire, du concours et des cours à suivre… Malgré la passion qui m’anime pour ce métier que j’ai tant rêvé d’exercer je ne sais pas si je tiendrai le coup jusqu’à la fin. Mon corps et mon esprit sont déjà saturés et nous ne sommes qu’en février, il me reste donc encore de longs mois de travail ». « Tenir ce rythme est impossible », ajoute X, étudiant. « L’année de M2 se résume à être un enfer ».
« Me retrouver avec mes élèves chaque lundi constitue à la fois un réel bonheur et également une échappatoire à la pression qu’engendre la formation » explique P. « Je me demande souvent à mon grand regret ce que je vaux, je doute sur mes choix, sur moi-même. Bien que je sache à quel point, j’ai de l’amour pour ce métier, je reste dubitatif. Réussir les nombreux examens sous toutes formes, réussir à valider le mémoire, réussir à donner le meilleur aux élèves, réussir le concours… Réussir oui, mais à quel prix ? Je pense que ce que nous vivons au sein de la formation se ressent fortement au point de vue psychologique et émotionnel »
L, étudiante en dernière année de Master MEEF à l’INSPE de Douai se sent « dépassée par le rythme de formation ». De nature très optimiste, la jeune femme en a ras le bol, « un ras de bol physique avec des phases où je ne pouvais même plus sortir du lit pour pouvoir préparer mon alternance, mes dossiers ou mes partiels car la peur d’échouer était omniprésente. Auquel s’ajoute un ras le bol mental avec des phases brutales de « down ». Pensant être la seule dans cet état, j’ai voulu en parler notamment avec mes camarades de Master et je me suis rendu compte que nous vivions tous la même chose. Et pour certains, c’était encore pire avec la prise d’anxiolytiques et d’antidépresseurs… ».
« L’envie de partager et permettre à d’autres d’acquérir le goût de découvrir et de comprendre le monde sont des dispositions merveilleuses, c’est ce qui m’anime » ajoute X. « Est-ce présomptueux de parler de vocation ? Pourtant la deuxième année de master me consume. Je n’ai pas encore débuté ma carrière et me voilà déjà à bout de souffle. Les élèves face auxquels je suis une journée par semaine ne sont pas responsables, bien au contraire. Le bonheur que je ressens en classe est l’une des rares raisons qui me poussent à m’accrocher. Le problème est ailleurs, c’est la résultante d’une accumulation. Avec l’épée de Damoclès que représente le concours, il me faut affronter la pression et la masse de travail d’un mémoire de recherche, tout en étudiant pour des évaluations semestrielles sommatives accablantes car sans compensation et en assurant simultanément devant les élèves durant les stages massés. Cette surcharge a d’ores et déjà des conséquences : il faut faire des choix. Mais choisir, c’est renoncer. Alors, que délaisser ? Le précieux CRPE, l’indispensable diplôme universitaire ou l’enseignement essentiel pour les générations futures ? » « Nous luttons pour réussir, mais avant tout, nous luttons pour nous en sortir » conclut l’une des étudiantes.
Un système qui ne prend pas en considération ses étudiants
Ce que dénoncent ces étudiants, ce ne sont pas les formateurs, comme l’exprime L. « Je ne pointe pas du doigt nos formateurs de l’INSPE de Douai qui sont très compréhensifs et à l’écoute de nos difficultés ». C’est le système qui « ne prend pas en considération ses étudiants qui souffrent en proposant une maquette de formation extrêmement chargée et infaisable ».
Selon les étudiants, des solutions existent. Il suffirait, comme l’explique L, « de mieux organiser le calendrier – surtout vis-à-vis des stages massés, d’un retour du concours en fin de première année de master ou encore des évaluations plus formatives et/ou avec compensation (entre les disciplines)».
Du côté des formateurs, là aussi, le mal-être est grandissant. « Le Master INSPE, tel qu’il a été décliné dans notre académie – la première vague de la réforme, dans la ligne de la récente réforme Blanquer, produit des effets que nous pouvons maintenant mesurer avec une certaine robustesse au cours de cette quatrième année de mise en œuvre à Lille. L’épuisement des acteurs, personnels et étudiants, est régulièrement acté dans des documents officiels – service de santé au travail local, rapport de la cour des comptes » explique B, formateur depuis de nombreuses années dans l’un des INSPE de l’académie. « Cela commence à se savoir du côté des étudiants, qui peuvent opter pour un autre Master moins énergivore. Si certains peuvent se permettre de passer par d’autres voies, d’autres ne peuvent se priver d’une alternance qui leur assure avant tout, nous disent-ils, une rentrée d’argent ».
Le formateur confirme qu’ils sont bien dans une « situation de travail empêché ». Il ajoute que « nul d’entre nous ne pourrait tenir sur tous ces fronts. Ils se saisissent de la complexité du métier, à la fois en l’exerçant pour la première fois, et en prenant le recul sur les attentes institutionnelles et les éclairages théoriques. Ils se sentent souvent démunis entre une réalité qui leur parait toute singulière – leurs élèves, leur école, leur niveau de classe, …- et en même temps une mise à distance universitaire nécessaire mais à mille lieux de leurs préoccupations très ciblées ».
« La mise en œuvre de la réforme chez nous est loin de tenir ses promesses »
B n’est pas le seul formateur à faire constat. « Le sentiment d’impuissance est frappant. Par ailleurs, les formateurs subissent des décisions relatives à leurs volumes d’enseignement peu compatibles avec ce qu’ils estiment nécessaire pour s’engager dans le métier d’enseignant et expriment souvent l’idée d’apports superficiels, empêchés par des volumes de formation médiocres dans une maquette très – trop ! – fragmentée. Accompagner, former, cela demande du temps significatif avec les étudiants. Cet éclatement des contenus d’enseignement, entre disciplines scolaires et universitaires, se cumule avec des missions d’enseignement assez souvent dispensés dans des champs d’expertise qu’ils ne maitrisent que très peu. Ce qui s’exprimait en termes d’impuissance il y a encore quelques temps se transforme progressivement en résignation assumée chez beaucoup de mes collègues. Nos étudiants ont besoin d’autre chose, d’une véritable dynamique qui donne de l’élan à leur engagement professionnel. La mise en œuvre de la réforme chez nous est loin de tenir ses promesses ! » conclut le formateur.
Une problématique loin d’être propre à l’académie de Lille
Sollicité par le Café pédagogique, la direction de l’INSPE de Lille rappelle que la situation n’est pas propre à l’académie lilloise. « Les revendications que portent les étudiants s’inscrivent dans une réflexion d’ores et déjà engagée autour du continuum de formation des enseignants… Le rapport de la cour des comptes questionne la formation des enseignants au sens large du terme, en particulier celle des enseignants du premier degré, et invite à une réflexion sur un continuum de formation mieux structuré pour pallier les difficultés rencontrées autour de l’attractivité du métier ».
Et en effet. C. est formatrice à l’INSPE de Paris et maîtresse de conférence, pour elle « la santé des étudiants en MEEF est un vrai sujet ». Cette année, elle et plusieurs de ses collègues ont organisé une formation de formateurs sur la question. « Il y a des difficultés vécues par nos étudiants qui nous ont conduit à nous interroger sur leur santé. On s’est basés sur des observations subjectives ». Selon la chercheuse, il existe des études sur la santé des étudiants mais rien sur celle de ceux qui fréquentent les bancs de l’INSPE. « On entame une recherche. C’est un objet de travail, on veut se saisir de cette situation ».
Du côté des problématiques propre aux INSPE de Lille, le directeur Sébastien Jakubowski tempère. « L’année n’est pas terminée » explique-t-il. « Il reste encore un semestre. Toute l’équipe de pilotage de la mention premier degré comprend parfaitement les inquiétudes et questionnements des étudiants. Le jury ne s’est pas réuni, la session n’est pas terminée. De plus, nous avons des instances de concertations avec les étudiants qui se réunissent en ce moment même. Plusieurs espaces de paroles existent pour que les étudiants puissent nous faire remonter toutes leurs difficultés. Cela nous permettra de prendre acte de tout ce dont ils font état ».
« Pour un secteur qui manque d’attractivité, qui peine à recruter mais qui, nonobstant, participe à la formation de la société de demain, il est grand temps et indubitablement nécessaire d’engager du changement » commente B, étudiant. Comment créer un choc d’attractivité si les étudiants qui se destinent aux métiers du professorat craquent en cours de route ?
Lilia Ben Hamouda