Qui pourrait imaginer aujourd’hui le scandale provoqué en 1966 par « Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot » (le titre complet du film), adaptation fidèle et magistrale par Jacques Rivette du roman de Denis Diderot, fiction jugée alors ‘blasphématoire’ (finalement distribuée en 1967 avec une interdiction aux moins de 18 ans-levée par le Conseil d’Etat en 1975- et au terme d’une importante mobilisation des milieux artistiques notamment et d’une longue bataille juridique à la suite de fortes pressions des milieux catholiques, des membres de l’enseignement privé en particulier, galvanisés par la frilosité du pouvoir de l’époque) ? En 2013, Guillaume Nicloux reprend le flambeau et met en évidence avec brio l’actualité subversive de l’oeuvre au-delà de sa charge féroce contre les lois mortifères du clergé. La Suzanne de Guillaume Nicloux (Pauline Etienne, vibrante interprète, César du meilleur espoir féminin), fille naturelle et donc vouée à l’enfermement du couvent comme bien des jeunes filles ‘mal nées’ au XVIIIème siècle, traverse les épreuves sans perdre une impressionnante force intérieure. Nous la voyons d’abord sidérée par le décalage entre la foi en Dieu qui la porte et le règne du mensonge et des faux semblants associés au prétendu mariage avec le Seigneur auquel elle est vouée; puis elle affronte et subi dans sa tête et dans son corps successivement la bienveillance encombrante, la tyrannie sadique et l’emprise libidineuse de Mères supérieures frustrées (incarnées par trois comédiennes exceptionnelles, Françoise Lebrun, louise Bourgoin et Isabelle Huppert) lesquelles se révèlent sans considération pour l’âme d’une adolescente qu’elles prétendent élever. Peu à peu l’esprit de résistance se consolide chez notre belle et fière héroïne, irréductiblement attachée à la vérité, l’amour et la justice, dans un univers carcéral régi par des règles opposées aux principes que l’institution religieuse professe. Tournant le dos à l’issue tragique (choisie par Diderot et respectée par Rivette), le réalisateur nous offre le portrait lumineux d’une jeune rebelle, prête à briser ses chaînes pour courir la campagne et respirer à pleins poumons. Contre toutes les formes de fanatisme et d’intégrisme, cette « Religieuse » résonne aujourd’hui comme un appel puissant à l’émancipation et à la liberté.
=> »La Religieuse » de Guillaume Nicloux-en replay sur arte.tv jusqu’au 23 février 2023