« Les pratiques collaboratives sont mises en avant aujourd’hui comme un moyen de développer des compétences reconnues comme essentielles dans le monde connecté du XXIe siècle. Il y va en effet de la capacité de nos sociétés à vivre et agir ensemble, avec une ouverture aux autres, dans le respect des valeurs de la République ». Le rapport de l’Inspection générale coordonné par Fabienne Paulin-Moulard demande un soutien administratif aux pratiques collaboratives des enseignants avec toute l’ambiguïté de ce type d’accompagnement.
Un fourre-tout
Basé sur la visite d’un nombre réduit d’académies et d’établissements ou d’écoles, le rapport évoque « le fourre-tout » que constituent les pratiques collaboratives. D’où la nécessité de définir précisément ce qui relève du coopératif et du collaboratif. « Quant au terme de collaboration, beaucoup plus large, il sera utilisé pour toute forme de pratiques collaboratives en général qui ne donnent pas lieu à un cadrage aussi précis que celui de la coopération, et, en particulier, pour toute forme de travail entre adultes œuvrant ensemble pour améliorer les apprentissages des élèves ».
Le rapport souligne la moindre fréquence de ces pratiques en France que dans d’autres pays de l’OCDE. « L’enquête internationale Talis, montre que dans les écoles françaises, un enseignant sur deux déclare avoir « souvent » ou « toujours » recours au travail des élèves en petits groupes. Cette proportion est plus importante dans les autres pays concernés par l’enquête : deux sur trois en Angleterre, en Flandre ou en Espagne« . Il met en évidence aussi une plus forte fréquence dans le premier degré. « L’enquête Epode met en évidence des pratiques collaboratives entre enseignants plus prononcées dans le premier degré. Ainsi, « 66 % des enseignants à l’école échangent fréquemment avec des collègues pour réfléchir à l’amélioration de leurs pratiques pédagogiques contre 53 % au collège, et 41 % élaborent fréquemment des contenus et des activités pédagogiques avec d’autres enseignants contre 29 % au collège « .
« Structurer » les pratiques enseignantes
Pour justifier le soutien apporté par le rapport aux pratiques collaboratives, l’Inspection en appelle au socle commun, au référentiel de l’éducation prioritaire et au référentiel de compétences professionnelles. Mais on appréciera qu’il s’appuie sur des exemples concrets qui vont de l’école au lycée. A vrai dire les exemples retenus ne surprendront personne. L’école Kérichen de Brest ou l’école Vitruve de Paris sont (justement) mises à l’honneur. La rapport valide la portée de projets pédagogiques, au moment où le CNR et même la Cour des Comptes les utilisent aussi. « Via des modalités coopératives, les apprentissages, notamment disciplinaires, se construisent par les interactions sociales, les questionnements qu’elles induisent et l’analyse de l’évolution de sa propre compréhension dans ce processus. De nombreuses recherches attestent que les dispositifs structurés d’apprentissage entre pairs sont efficaces, qu’ils prennent la forme de tutorat ou d’apprentissage coopératif. « Le qualificatif « structuré » est crucial. Il convient, en effet, de rappeler que le travail en groupe n’est pas en soi générateur d’apprentissages scolaires. Souvent (…) le travail en petits groupes est de piètre qualité. Pour que celui-ci génère des apprentissages, il importe qu’il soit structuré par des principes qui organisent les échanges entre élèves ».
Renforcer le rôle pédagogique des directions d’établissement
Une fois cela posé, que peut l’institution ? Avec les « constellations » elle a imposé des collaborations dans le cadre des plans français et maths. Si elles sont appréciées par de nombreux enseignants, elles ont aussi l’avantage pour l’institution de pénétrer dans la classe et de soumettre au regard collectif les pratiques enseignantes. On a là un formidable outil de normalisation pédagogique.
Le rapport en est conscient. Mais il opte pour l’institution. « Il importe de rester vigilant sur ce qui peut être ressenti comme de l’injonction au travail collectif et qui est contreproductif lorsque les enseignants n’en perçoivent ni le sens, ni les enjeux, alors qu’ils s’engagent dans des pratiques collaboratives choisies et souvent informelles pour gérer des difficultés ponctuelles. On constate fréquemment le développement de ce que l’on pourrait nommer des « collectifs spontanés » au sein d’unités éducatives. Ils répondent à différents besoins et sont souvent mis en place via différents outils numériques et selon diverses modalités et temporalités. Les enseignants s’impliquent aussi dans des collectifs externes dont ils apprécient les rapports de confiance et le soutien. Les réseaux sociaux ont développé cette collaboration. Selon la recherche, ils n’atteignent pas forcément l’efficacité escomptée, les espaces de discussion collective ne s’improvisant pas : « ils nécessitent organisation et encadrement ». Les équipes de direction jouent ici un rôle essentiel, notamment en facilitant la mise en œuvre des projets. Les collectifs rencontrés et engagés dans des pratiques collaboratives qui s’inscrivent dans la durée ont toutes salué le fait d’avoir bénéficié du soutien des équipes de direction« .
Soutien ou contrôle ?
La mise en œuvre « raisonnée » que recommande le rapport décline les outils institutionnels. Le rapport recommande aux enseignants de « professionnaliser dans sa classe l’organisation des apprentissages coopératifs » et de « mettre en place des activités, des projets et des modalités de travail rigoureusement structurés, de l’amont à l’aval« .
Il demande aussi aux chefs d’établissement de « faciliter, structurer et organiser les pratiques collaboratives au service des apprentissages entre enseignants« , par exemple « d’organiser des temps d’échange collaboratifs entre pairs en réservant des temps spécifiques dans les emplois du temps« . Cette pratique est déjà assez répandue avec des heures qui ne sont pas financées. Il revient aussi aux chefs d’établissement, dont les compétences pédagogiques semblent admises par le rapport de l’Inspection, de « faire connaître les retombées positives des pratiques collaboratives sur le bien-être à l’école et les apprentissages des élèves« .
Au niveau académique, le rapport recommande le soutien à des formations par la coopération, déjà largement instituées, de « développer la formation continue entre pairs (de type lesson studies, « constellations », de renforcer les liaisons inter degrés autour de la question des pratiques collaboratives« .
S’il est agréable de voir l’Inspection générale se pencher favorablement sur de véritables pratiques coopératives mises en place par des équipes inspirées de Freinet (par exemple l’admirable école Vitruve de Paris), il est à craindre que ce rapport se situe plutôt dans la pression institutionnelle à contrôler davantage les pratiques enseignantes en légitimant le rôle pédagogique de la hiérarchie locale.
François Jarraud