Pour les syndicats, la journée du jeudi 19 janvier est sans contexte une grande réussite. 1 120 000 manifestants de l’aveu du ministère de l’Intérieur. 2 000 000 selon la CGT – 500 000 de plus que le 5 décembre 2019, date de la mobilisation contre la réforme avortée par la crise sanitaire. Des chiffres qui ne sont pas sans rappeler les mobilisations de 2010 lors de la réforme Woerth et le passage de 60 à 62 ans mais aussi et surtout celles du 12 décembre 1995, lorsque le plan Juppé a été abandonné. Pari réussi donc pour les syndicats. Du côté des professeurs, là encore les taux de grévistes démontrent une forte mobilisation. Ils étaient à 70% grévistes dans le premier degré selon le SNUipp-FSU et à 65% dans le second degré selon le SNES-FSU. 42,35% et 34,66% a admis le ministère.
Benoît Teste, secrétaire générale de la FSU, est ravi. « Nous avons une forte mobilisation de la fonction publique, tout particulièrement dans le monde de l’éducation. Les cortèges étaient très fournis en province et à Paris ». Et en effet, ils l’étaient. Plus de deux cents rassemblements ont eu lieu à travers le pays. Entre 20 et 25 000 manifestants à Rennes, 140 000 à Marseille selon les syndicats, 26 000 selon la préfecture. À Paris, de source policière, ils étaient 80 000, 400 000 selon la CGT. Face à la forte affluence des manifestants dans la capitale, les forces de l’ordre ont dû ouvrir un deuxième itinéraire.
Ras-le-bol général
Si les enseignants et enseignantes étaient si nombreux et nombreuses dans la rue, Frédéric Marchand, secrétaire général de UNSA Éducation, l’explique par « l’agglomération du sujet de la retraite à d’autres préoccupations salariales des collègues ». Un constat que partage Benoît Teste. « Cette réforme suscite un rejet particulier et elle pose aussi la question des salaires. Les salaires, c’est la base de calcul des pensions. On nous dit que l’on va nous imposer des conditions de travail encore plus difficiles, avec des taches supplémentaires dans le cadre d’un pacte. Et en plus, on veut rogner sur nos droits à la retraite ». Pour le responsable syndical, augmenter les salaires est une partie de la réponse au problème des retraites. « Augmenter les salaires permet d’augmenter les cotisations et donc de régler le problème des retraites » explique le secrétaire général de la FSU. « On a là un ras le bol général, la coupe est pleine ».
Et en effet, dans les cortèges, les enseignants évoquent les retraites mais pas seulement. À Rennes, Nadège, 38 ans, enseignante de français dans un collège d’Ille-et-Vilaine, nous confie « c’est un tout. Je ne suis pas là que pour la retraite. Les invectives venant de là-haut, je n’en peux plus. Nous sommes traités comme des enfants ». Tout comme Denis, professeur de sciences-physiques dans un lycée rennais, « je vois que les collègues qui partent en retraite ont pour beaucoup du mal à terminer leur carrière. Deux ans de plus, ce n’est pas acceptable. C’est injuste ! ». Julie documentaliste a 58 ans depuis deux jours. Elle était du cortège parisien. « Au-delà des conditions de travail de plus en plus déplorables, je trouve tout simplement que de faire travailler les gens jusqu’à la fin est immonde ».
Sur la possibilité de départ à la retraite consenti par la Première Ministre, Benoît Teste y voit une « micro-compensation ». « Cette mesure est dérisoire, elle ne pourra être mise en place qu’à partir de 62 ans, âge légal de départ à la retraite aujourd’hui. On a donc un projet de réforme des retraites brutal, injustifié et injuste et on nous offre une micro-compensation ». Le secrétaire général de la FSU précise que l’on sait peu de chose de cette proposition, « est-ce que cela signifie temps partiel de droit ou est-ce que cela sera sur autorisation ? Est ce qu’elle fait perdre des droits à la retraite ? Et est-ce que cela sera applicable tout de suite ? À ce jour, nous n’avons aucune réponse à ces questions. Et de l’aveu même de l’administration, cette mesure ne pourra être appliquée avant la rentrée 2024 voire 2025. La réforme, elle, est applicable en septembre 2023. On fait donc miroiter quelque chose de pas mis en place, de partiel pour une mesure brutale qui elle est non compensée ».
Revalorisation : « il est temps de jouer cartes sur table »
Autre point de désaccord des syndicats avec le gouvernement : le sujet de la revalorisation des professeurs. La veille de journée de mobilisation -mercredi 18, avait lieu la première réunion du cycle de concertation. Les syndicats en étaient sortis insatisfaits. La FSU le faisait savoir dans un communiqué le soir même. Le secrétaire général de UNSA Éducation confie lui aussi son mécontentement. « J’ai averti le ministre qu’il ne semblait pas mesurer le degré d’insatisfaction et de colère des personnels dans leur ensemble ». Selon lui, « les grands éléments de la revalorisation sont à peu près arrêtés, mais on ne les a pas. Il est vrai qu’il y a un temps de discussion de prévu – et c’est important que l’on puisse échanger, mais il est nécessaire que nous ayons les éléments pour permettre cette discussion. La revalorisation socle est loin des 10% promis par le Président de la République. Le gouvernement y inclut le dégel du point d’indice et cela ne concernera pas tout le monde… Ils vont sans doute faire des efforts pour les ratios d’entrée à la hors classe et à la classe exceptionnelle. Mais ce n’est pas suffisant. Quant au pacte, qu’est-ce qu’il signifie vraiment ? Il est temps qu’ils jouent cartes sur table. On entend « des missions supplémentaires », « une valorisation des missions déjà faites » … ».
Plusieurs organisations syndicales ont aussi interpellé le ministre sur la question de différence de rémunération entre les enseignants du premier et du second degré. Pas de réponse. Sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, « On nous répond qu’il s’agit de ne pas la dégrader. Pour nous, il s’agit de la résorber » fustige Frédéric Marchand.
Pour le syndicat Sud éducation, la journée de mobilisation « est une réussite ». « Malgré les efforts du gouvernement pour convaincre de sa réforme, les personnels ne sont pas dupes. Ils savent que le gouvernement veut les faire travailler plus longtemps et baisser leurs pensions en aggravant le phénomène de décote La journée de mobilisation d’aujourd’hui est une alarme : les personnels sont prêts à se mobiliser et à bloquer le pays pour empêcher cette réforme » indique-t-il dans un communiqué.
Première journée réussie donc pour les syndicats. L’intersyndicale a d’ores et déjà annoncé une nouvelle journée de grève le 31 janvier prochain. D’ici là, syndicats et mouvements de jeunesse ont appelé à multiplier les actions lundi 23. La mobilisation restera-t-elle aussi forte ?
Lilia Ben Hamouda