Qui se souvient aujourd’hui de Lotte H.Eisner, critique et historienne de cinéma d’origine allemande, morte à Paris en 1983 à l’âge de 87 ans ? Née à Berlin en 1896 dans une grande famille juive bourgeoise, la jeune fille au caractère bien trempé s’émancipe au fil d’études d’histoire de l’art et d’archéologie, s’imprègne de la vie culturelle intense dans l’Allemagne des années 20, se passionne pour les nouvelles formes au théâtre (Marx Reinhardt, Bertolt Brecht…), les débuts des géants du cinéma (Lang, Murnau, Pabst…) ; elle devient la première critique de cinéma au Quotidien Film-Kurier. Elle fuit l’avènement du nazisme en 1933 pour trouver refuge en France où elle acquiert la nationalité française en 1937 et se lie d’amitié avec Henri Langlois et Georges Franju (qui viennent de fonder la cinémathèque). Arrêtée pendant la Seconde Guerre mondiale et emprisonnée au camp de Gurs d’où elle parvient à s’échapper, elle passe l’Occupation cachée dans un château du Lot par Langlois et archive des bobines sauvées des mains des nazis. En 1945, commence une nouvelle vie après sa nomination en tant que conservatrice à la Cinémathèque française : elle y consacre beaucoup de son temps en parcourant le monde à l’affût de films perdus, décors et accessoires de tournage pour enrichir le Musée. Elle poursuit, par l’écriture d’ouvrages essentiels sur l’expressionnisme allemand au cinéma, Murnau et Lang et l’entretien de liens forts avec de grands cinéastes, à reconstruire la mémoire du cinéma, allemand en particulier, dont ‘le cours a été stoppé de manière radicale par la barbarie nazie’, comme le souligne son préfacier et ami, le cinéaste Werner Herzog.
« J’avais jadis une belle patrie », édition française des mémoires de Lotte H.Eisner (précise, documentée, illustrée avec pertinence, complétée par des textes éclairants, dans une traduction de l’allemand de Marie Bouquet , éditée chez Marest en septembre 2022), contribue à l’histoire du cinéma mondial en mettant en lumière le parcours hors du commun d’une femme libre, habitée par la passion du 7ème art et le désir impérieux de sa transmission.