Je ne reviendrai pas sur les propositions concernant l’école maternelle, sinon pour souligner qu’en fixant deux priorités, le langage – en fait, vocabulaire et analyse des relations graphies/phonies – et les notions de mathématiques, elles entérinent l’idée que l’école maternelle n’aurait d’autre finalité que la préparation du CP, ce qui me semble aussi réducteur et inquiétant que centrer les relations avec les parents autour des bilans et évaluations.
S’agissant des circulaires pour l’école élémentaire, elles prescrivent de consacrer deux heures par jour à la lecture et l’écriture : c’est revenir – ce que je ne peux qu’approuver – aux recommandations des IO de 2002. Idem pour rappeler que les enseignants de toutes les disciplines contribuent à la lecture et l’écriture au collège.
Recommander « une dictée par jour » peut s’interpréter comme le retour à une pédagogie archaïque, décriée depuis longtemps comme stressante et inefficace, y compris par Jules Ferry stigmatisant l’abus des dictées. Dans l’imaginaire social, une dictée est l’écriture d’un texte inconnu, à la notation impitoyable : 5 fautes = zéro. Il faut donc rappeler que, contrairement à cette croyance tenace, les dictées faites en classe des années 1880 aux années 1960 n’étaient jamais notées, sauf au cours supérieur, année du certificat, une fois par mois, dans le cahier mensuel. D’après les témoignages pédagogiques, le moment de la dictée instaure le silence et une concentration collective exigeant que tous les élèves écrivent au même rythme : ce bref entraînement quotidien, habituant à tenir en mémoire un oral entendu pour le transcrire par écrit, donne vite plus d’aisance au geste graphique qui peut alors s’accélérer sans se dégrader. Quant aux bénéfices proprement orthographiques, les cahiers d’élèves montrent que les dictées ont d’abord été les textes de leçons – de science, d’histoire, de morale – déjà lues et apprises, puis, après la première guerre mondiale, de brefs extraits où les lectures de la semaine – sur l’automne, les animaux familiers, etc.- préparaient à une rédaction sur le même thème. Depuis les années 1950, des manuels d’orthographe ont au contraire imposé leur propre progression, indifférente aux autres activités de la classe, ce qui empêche les reprises et diminue d’autant l’efficacité des exercices. La pratique de la dictée dépend aussi de la façon dont l’enseignant sait ou non profiter de ce moment pour circuler dans la classe, prévenir les étourderies, percevoir sur quoi certains butent, mais aussi repérer des enfants dyspraxiques ou dyslexiques à qui l’exercice ne convient pas tel quel. La dictée est une procédure qui permet de voir sans difficulté une activité en cours d’exécution et de recueillir nombre d’informations sur les élèves, sur leurs acquis, leurs progrès, sur les aides ciblées à prévoir. Cette compétence d’observation se construit au fil du temps, de même que la conduite du dialogue avec la classe qui accompagne la correction immédiate. Ces prises régulières d’information et d’échanges expliquent en partie les réticences que peut avoir le corps enseignant à l’égard des évaluations formelles, plus utiles aux prescripteurs qu’au travail pédagogique. Cependant, comme l’injonction ministérielle ne « dicte » aucune procédure de travail, qu’elle laisse à chaque enseignant toute liberté pour définir le « comment faire », aussi bien le choix du contenu – phrase, liste de mots, extrait de lecture, vérification d’une règle de grammaire, auto-dictée, etc.- que sa mise en œuvre – consignes, durée de la dictée, correction,, on ne voit pas pourquoi elle poserait problème aux enseignants. D’autant qu’il s’agit d’un exercice « qui ne coûte rien » puisque sa correction, collective, est immédiate. Tant mieux si cette recommandation peut, en plus, rassurer magiquement certains parents d’élèves !
La lecture de « textes longs » semble définie de façon raisonnable pour des CM – une base minimale 1000 mots correspond à peu près à 3 pages d’un livre imprimé, et son objectif est louable, mais l’activité me semble bien difficile à mettre en oeuvre. Il n’est pas dit s’il s’agit de lecture silencieuse ou à voix haute, même si le contexte inciterait à penser qu’il s’agit plutôt de lecture à voix haute. S’agit-il de revenir à la procédure « économique », utilisée pour entraîner les élèves à l’épreuve de lecture à voix haute du certificat dans l’entre-deux-guerres ? Selon les consignes du temps, l’enseignant doit lire le texte à voix haute, vérifier par quelques questions qu’il a été bien compris, puis le fait relire de façon segmentée par quelques élèves pendant que le reste de la classe « suit » en relisant silencieusement. Cette procédure qui entraîne (un peu) la « fluence », n’entraine pas à « comprendre un texte inconnu en le lisant seul ». Si deux séances sont prévues par semaine, est-ce pour alterner entre lecture silencieuse et lecture oralisée ? Une classe entière peut facilement être plongée dans la lecture silencieuse d’un texte, l’enseignant peut vérifier après coup ce qui a été compris – questions orales ou écrites – mais il ne peut savoir comment chaque élève a lu. Entre les élèves performants qui pourraient lire bien davantage et sont « éliminés par le succès » et les élèves en vraie difficulté qui ont besoin d’être aidés en relation duelle, la masse des lecteurs « moyens » est laissée dans l’ombre : or, les difficultés des uns ne sont pas celles des autres. La mise en oeuvre pédagogique de la lecture oralisée pose également des problèmes : comment faire en sorte que chaque élève d’une classe soit entraîné à lire à voix haute un texte entier une ou deux fois par semaine ? Qui peut écouter lire chaque enfant ? Qui peut rectifier ses erreurs – hésitations ou erreurs sur la ponctuation, le lexique, la syntaxe, perte du fil du texte, etc.- et fournir l’aide nécessaire au cours même de l’activité ? Une solution serait de demander aux élèves de préparer ces lectures longues chez eux – mais on voit ce que cette demande comporte d’aléa – et de ne contrôler que quelques élèves en classe. Quand il s’agit de faire intervenir des bons ou moyens lecteurs, on se retrouve dans la situation classique de la lecture collective : tout le monde « lit » le texte en le suivant silencieusement sur son livre au fur et à mesure qu’il l’entend, le maître peut solliciter la classe pour apporter une aide, corriger une erreur, faire un commentaire. Comment adapter procédure collective aux élèves en difficulté sans que la classe s’impatiente ? Leur entraînement doit donc être conduit en relation duelle avec l’enseignant, pendant que le reste de la classe est occupée à un travail écrit.
On voit que cette « bonne idée » d’entraînement, plus facile à concevoir qu’à réaliser, est de toute façon très « mangeuse de temps » : on se demande quelles activités devraient être sacrifiées pour la mettre en place. Permettre aux élèves en difficulté de bénéficier d’une aide spécifique « durant les heures d’activité pédagogique complémentaire » est également une idée généreuse, mais là aussi, sa mise en place ne va pas de soi et l’efficacité du remède dépend largement des modalités de la relation pédagogique entre le « mentor » et l’élève : il semble d’ailleurs peu probable qu’un entraînement de 4 semaines permette une accélération de lecture suffisante pour des élèves de CM ayant de réelles difficultés.
Anne-Marie Chartier
Chercheuse associée au LARHRA-Lyon 2/ENS