Du 12 au 16 décembre 2022, les élèves de 6e, 5e et 4e du collège Diderot d’Aubervilliers, en Seine-Saint-denis (93), ont construit un poulailler, imaginé la chaise de leurs rêves, fabriqué une boite à musique, fait combattre des robots-sumo, cuisiné, transformé des produits de récupération en mosaïque, réfléchi aux origines de l’espèce humaine. Ils et elles ont pu aussi s’exercer à la poésie ou s’interroger sur les utopies, développer leur estime de soi et leurs compétences psychosociales, jouer au basket-ball en anglais ou participer à un tournoi sportif format Harry Potter.
S’inspirant d’une pratique du collège expérimental Clisthène de Bordeaux, l’équipe éducative du collège Diderot organise depuis 2012 des Semaines Inter-Disciplinaires (les SID). Chaque projet est proposé par au moins deux enseignant-e-s de différentes matières et éventuellement d’autres adultes du collège selon leurs disponibilités (CPE, AED, AP, personnel médico-social, agents…). Tous les professeur·es de l’établissement participent à ces semaines en fonction de leurs heures de présence au collège. Les élèves font plusieurs vœux de projets et découvrent, une dizaine de jours avant le début de la semaine, celui qu’ils et elles suivront. En général, avec une quarantaine de professeur·es il y a une quinzaine de projets proposés.
Au départ mises en place à des moments où les habitudes de travail sont bouleversées, comme pendant les semaines de révision, d’examens blancs et de stage, ou pour enrayer l’absentéisme de la fin juin, les SID sont devenues au cours des années des moments forts de cet établissement REP de 600 élèves. Elles ont désormais lieu trois fois par an : avant les vacances de décembre, avant celles de printemps et les derniers jours de l’année.
Une semaine qui bouleverse les habitudes
Au collège Diderot, où un quart des professeur·es environ est renouvelé chaque année, et où beaucoup d’entre elles et eux débutent leur carrière, les apports de ces semaines sont multiples, tant pour les adultes que pour les élèves. Il s’agit pour les personnels de décloisonner leurs connaissances, d’apprendre à travailler ensemble, de découvrir de nouvelles pratiques pédagogiques et de partager leurs passions et leurs savoir-faire auprès de leurs élèves. Les collègues nouvellement arrivé·es sont inclu·es dans un groupe avec des professeures aguerri·es, ce qui leur permet d’être guidé·es pour la préparation de leur première SID. La coanimation à la base des projets permet aussi d’observer la gestion de classe des collègues expérimenté·es ce qui nourrit les réflexions de toutes et tous. Pour les élèves, ces SID leur permettent d’évoluer pendant 3 semaines dans l’année en dehors de leur groupe classe, de découvrir de nouveaux horizons artistiques, culturels, scientifiques, sportifs, d’expérimenter des pratiques qui habituellement ne sont pas travaillées en milieu scolaire (bricolage, jardinage, cuisine, design, montage-vidéo, etc.) et de se rendre compte que les compétences apprises en classe sont utiles bien au-delà du cadre scolaire. La mixité des classes d’âge change les relations entre les élèves, et leur posture au sein des groupes : les plus grand·es sont amené·es à prendre en charge les plus petit·es, la formation par les pairs est favorisée. La coopération occupe aussi un rôle central, étant la plupart du temps indispensable pour mener les projets jusqu’au bout, à savoir la restitution publique. Enfin les compétences scolaires occupent dans beaucoup de projets une place moins grande qu’en temps normal, ce qui permet de sortir certains élèves des rôles dans lesquels ils et elles peuvent se trouver enfermé·es. Les élèves se trouvent plus facilement en situation de réussite, et peuvent apporter beaucoup au travail du groupe, quel que soit leur niveau scolaire habituel ou leurs difficultés de concentration.
Ces temps particuliers mobilisent l’ensemble du collège et nécessitent un budget et une organisation spécifiques. Pour financer sorties et matériel, une part de 3,50 euros est prévue par élève par projet, ce qui demande un budget d’environ 5400 euros par année scolaire.
Un groupe de travail comme chef d’orchestre
Depuis l’année dernière, un groupe de travail constitué de 4 personnels volontaires de l’établissement est mis en place pour organiser les SID. Cette année, un professeur de physique-chimie, une professeure de lettres classiques et deux professeures documentalistes portent cette charge. Il s’agit dès la pré-rentrée d’expliquer le principe aux nouveaux collègues. Puis dans le courant du mois de septembre d’organiser une bourse aux projets et de rappeler les échéances.
Le groupe de travail se charge, en amont de chaque SID, d’affecter les élèves dans les projets de leur choix. Le ratio est généralement de 10 à 12 élèves par professeur·e à temps complet. Ce ratio est permis par le fait que tous les élèves ne sont pas présents à ces moments-là, entre autres parce qu’ils et elles effectuent un stage d’observation professionnelle ou participent à des courses d’orientation par exemple. Le groupe de travail est attentif à créer des groupes aussi équilibrés que possible (sexe, classe, niveau, élèves à besoins éducatifs particuliers, gestion de classe).
Les SID demandent aussi de repenser l’organisation du temps de cours. Ce sont les enseignant·es de chaque projet qui établissent leur emploi du temps de la semaine en fonction de leurs heures de service et d’un nombre minimal d’heures à effectuer pour les élèves. Ils et elles font en sorte d’être le plus souvent possible en coanimation devant les élèves.
Les séances sont à répartir entre 9h et 16h30. Puisqu’il ne faut pas changer de salle ou de prof à chaque cours, les séances durent 1h30, ce qui fait quatre créneaux possibles par jour. Avec cette organisation, aucune heure de permanence n’est prévue pendant la semaine. La SID se termine par un temps de restitution de 3h le vendredi après-midi. Chaque projet propose une exposition, un film, une dégustation, un spectacle ou d’autres activités ludiques. Ce temps festif, ouvert si possible aux parents d’élèves, fait souvent office de petite fête du collège pour clôturer la période.
Quelques exemples de projets
Le projet « Le chocolat dans tous ses états. Fabrique ta tablette de chocolat ». Une professeure documentaliste, une professeure de français et une professeure de SVT et 20 élèves de 6ème et de 4ème. Les objectifs sont variés : comprendre d’où vient le cacao et les dérives liées à la sur-production, découvrir les étapes de transformation du cacao en chocolat, différencier les différentes sortes de chocolats et de créations chocolatées, apprendre à les déguster et à utiliser le vocabulaire adéquat pour décrire les différentes sensations et fabriquer sa propre tablette de chocolat en binôme en introduisant des ingrédients mystères. Pour la restitution, les élèves présentent leur création et la font déguster à leurs camarades et aux parents présents.
Le projet « compétences psycho-sociales ». Ce projet s’inscrit dans le cadre de la médiation par les pairs qui se met en place au collège. Dans le cadre de ce dispositif, pour lequel un groupe de 7 enseignant·es et CPE a été formé par l’association Médiacteurs, une initiation aux compétences psycho-sociales est prévue pour l’ensemble des élèves du niveau de 5e. Il s’agit d’activités ludiques qui permettent aux élèves de développer l’estime de soi et des autres, et de se familiariser avec des outils de résolution de conflits. La SID de décembre est l’occasion d’aborder ce sujet sans bouleverser l’ensemble des cours. A titre exceptionnel, ce projet est obligatoire pour les élèves de 5e. Le cadre de la SID s’applique toutefois : les groupes classes sont éclatés et le travail de la semaine donne lieu à une restitution.
Le projet « Humains, nous ne sommes pas seuls ». Un professeur de SVT, un d’histoire-géo et un de physique-chimie ont travaillé avec des élèves de 6e et de 4e la question des débuts de l’humanité. Ils ont étudié les moyens techniques et scientifiques mis en œuvre par la paléontologie pour découvrir et dater les restes humains, la chronologie connue des évènements importants de l’histoire humaine, les notions d’arbre de parenté et de phénotype pour distinguer les différentes espèces humaines. Une sortie au musée de l’Homme a permis entre autres aux élèves d’observer de nombreuses reproductions de fossiles humains. Un travail de mathématique sur la proportionnalité a aussi été mené pour aboutir à la construction d’une frise géante de 48 mètres exposée dans un couloir du collège et représentant, à l’échelle, l’histoire humaine de l’apparition de Néandertal à l’invention de l’écriture. Cette frise a été présentée sous la forme d’une visite guidée lors de la restitution de fin de semaine.
Pour un climat scolaire plus serein
Ces semaines interdisciplinaires sont un vrai plus pour le collège. Elles améliorent grandement le climat scolaire. Moins d’incidents et d’exclusions de cours sont signalés lors des SID. Les élèves, à la veille des vacances sont souvent plus dissipé·es et ces semaines sont aussi une manière de les mobiliser différemment. N’étant pas dans leur classe habituelle, les élèves peuvent être amené·es à modifier leur comportement et leur posture d’apprenant·e. Le regard des professeur·es à leur encontre est renouvelé, c’est une petite rentrée, trois fois dans l’année. Les élèves apprennent à mieux se connaître, à travailler ensemble, à découvrir de nouvelles pratiques, de nouveaux horizons. Ils et elles sont volontaires et motivé·es. Pour les adultes aussi ces SID sont très bénéfiques (même si elles demandent beaucoup de travail en amont et d’énergie pendant la semaine), car elles permettent de se déplacer sur le plan des pratiques professionnelles, de penser réellement l’interdisciplinarité, d’apprendre les un·es des autres, et de mieux connaître les élèves, et de leur découvrir des compétences insoupçonnées ensuite valorisées tout au long de leur scolarité au collège. La restitution enfin, de nouveau ouverte aux parents, est un grand moment où tout le monde partage et présente ses projets, juste avant de partir en vacances, éreinté·es mais heureuses et heureux. Et fièr·es de nos élèves.
Maëlle Maugendre, Mathilde Verschaeve et Philippe Soler, membres du groupe de travail des SID