Une tribune de l’OZP (Observatoire des Zones Prioritaires)
Dans une tribune récente donnée au journal « Le Monde », le ministre en charge de l’éducation nationale indique comme deuxième exigence de son action sur trois « l’égalité des chances ». C’est dans ce cadre qu’il indique vouloir travailler la question de la mixité sociale et engager une révision de la carte de l’éducation prioritaire.
La politique d’éducation prioritaire doit être inscrite dans toutes les améliorations du système éducatif et doit viser l’égalité réelle.
La politique d’éducation prioritaire ne saurait se résumer à sa carte tant on sait que la réussite des élèves des milieux populaires dépend de facteurs multiples sur lesquels il faut développer une action bien orientée, résolue, continue et systémique. Cette politique relève en réalité des trois exigences posées par le ministre tant il est, par exemple, important de mieux remplacer les enseignants absents en éducation prioritaire pour assurer les temps d’enseignement et les temps de concertation et de formation en REP+ mis à mal ces derniers temps. On pourrait souhaiter que le système de la pondération du 2nd degré, dont on a vu les limites, soit remplacé par un corps de remplaçants dédiés afin que tout professeur remplacé, soit clairement, comme dans le premier degré, en service dans le réseau au moment de ces remplacements.
La politique d’éducation prioritaire n’est pas une politique d’égalité des chances qui laisse planer le doute sur le choix politique réel : l’excellence pour chacun (et donc de fait pour les plus favorisés) ou la réussite de tous (et donc la justice sociale). Difficile de faire croire à « l’en même temps », car c’est toujours, dans ce cas, le libéralisme qui l’emporte sur l’égalité. La politique d’éducation prioritaire doit être clairement une politique qui vise l’égalité réelle tant dans la qualité du système éducatif (des enseignants aussi expérimentés, des locaux de même qualité…) que dans la visée de résultats exigeants pour tous.
Oui, la carte de l’éducation prioritaire doit être revue.
Les évolutions de la carte de l’éducation prioritaire ont été, au cours du temps, très aléatoires du fait de choix politiques qui n’étaient pas conçus pour améliorer son efficacité pour la réussite des élèves des milieux populaires. En 81-82, il y avait des élus qui en voulaient et d’autres qui n’en voulaient pas ; les indicateurs étaient fragiles. En 88-90, on a lié la politique d’éducation prioritaire à celle de la ville, la faisant dépendre de signatures politiques de contrats. En 97, le dérapage politique sur le nombre de réseaux mit à mal l’idée même de priorité. En 2006, il y eut plus de rigueur pour la création des RAR sur des bases objectives. Mais en 2010-2011, on prétendit transformer la politique d’éducation prioritaire en politique de lutte contre la violence et on lui fit perdre son orientation sociale.
Il a fallu attendre 2014 avec la refondation de l’éducation prioritaire pour allier l’idée forte d’une politique sociale et pédagogique systémique en éducation portée par son référentiel et la mise au point d’une carte recentrée sur des réseaux vraiment prioritaires. Un travail de recherche de deux statisticiens de l’INSEE montre que, même sans disposer de l’indice de position sociale, ce ciblage a été vraiment bien réalisé. Toutefois, dès 2014, on savait qu’il restait du chemin pour parvenir à une carte plus juste encore. C’est pourquoi il était prévu une révision en 2019 qui n’a pas eu lieu, car le ministre Blanquer n’en a pas voulu, au profit d’une priorité au monde rural qui a certes besoin d’une politique, mais qui ne saurait être de même nature que celle de l’éducation prioritaire. Notons d’ailleurs que bien peu a été fait pour les « territoires éducatifs ruraux » dans seulement trois académies et que par ailleurs le principe d’allocation progressive des moyens établi en 2014 a été affaibli dans la période.
Mieux articuler recherche de la mixité sociale et politique d’éducation prioritaire
La mixité sociale n’est pas la panacée éducative qui résoudrait tous les problèmes de l’école magiquement. Là où il y a mixité sociale et donc hétérogénéité des publics scolaires, il n’y a pas automatiquement réussite de tous. Les enfants des milieux populaires restent souvent en retrait dans les résultats scolaires, mais on sait que c’est pire pour ceux qui sont concentrés dans des quartiers où il n’y a pas de mixité. La mixité sociale est donc préférable chaque fois qu’elle est possible. Elle ne saurait exonérer l’encadrement et les équipes d’une réflexion et d’un travail de fond sur la question des conditions de l’enseignement et des manières d’enseigner favorables à la réussite de tous. Sans doute peut-on, par un travail local sur la mixité sociale, améliorer la situation des « écoles orphelines ». On doit aussi développer des lycées polyvalents qui accueillent des formations générales, technologiques et professionnelles, car c’est dans l’enseignement professionnel que sont concentrés les élèves des milieux populaires.
La mixité sociale doit toujours être recherchée en priorité. Nous attendons de voir comment le privé y contribuera tant il fait tout au contraire office d’entre soi pour les plus favorisés dont les plus anciens se souviennent qu’ils ont su se mobiliser contre Alain Savary en 1984… Nous attendons aussi de voir comment la mixité peut être obtenue par un travail de fond sur le logement et l’urbanisme ainsi que sur les rapports avec les collèges d’à côté comme le montre une étude de Botton et Souidi car il ne saurait être question de se satisfaire des logiques de busing qui consistent à déplacer les élèves des milieux populaires vers des milieux plus favorisés et jamais les enfants des plus favorisés vers les milieux populaires…
En outre, en lien avec une politique vraiment résolue à cet égard, il faut renforcer nettement le principe d’allocation progressive des moyens pour que ceux qui ont vraiment moins aient vraiment plus de la part de l’Etat.
L’éducation prioritaire doit rester une politique du socle commun école-collège ambitieuse en appui sur des professionnels reconnus.
Au cours de son histoire, la politique d’éducation prioritaire a été tirée à hue et à dia selon les orientations politiques. Telle ministre pensait qu’il suffisait de « pôles » ou de « filières » « d’excellence » pour modifier la composition sociale, tel candidat à la présidence voulait la disparition de l’éducation prioritaire, tel ministre ne voulait pas de couches culottes à l’école, tel DGESCO voulait que la politique dite d’internat d’excellence en soit le « fer de lance » alors que celle-ci avait pour but de vider les établissements des quartiers populaires de leurs meilleurs élèves. Elle ne saurait devenir une politique des individus comme le veulent les libéraux, ni être une politique d’école ou d’établissement. Elle doit rester une politique de réseau tant la continuité dans la prise en charge des élèves sur 12 à 15 ans est essentielle.
Si l’on veut qu’elle soit vraiment une politique visant la démocratisation du système éducatif pour la réussite de tous, la politique d’éducation prioritaire doit accueillir en maternelle à deux ans dans des conditions bien adaptées (classes de deux-trois ans à 12 pour favoriser les échanges langagiers avec les adultes), elle doit s’appuyer sur des équipes accompagnées par la formation pour déterminer des organisations pédagogiques favorables aux co observations et au co enseignement qui favorisent la prise en compte des difficultés des élèves de milieux populaires à comprendre ce que l’on attend d’eux. Elle doit favoriser la mutualisation des outils et procédures (à ce titre, la fermeture le 15 novembre du site de CANOPE consacré à l’éducation prioritaire a été un mauvais signe). Elle doit surtout s’appuyer sur des corps d’encadrement et de formation eux-mêmes bien formés à un pilotage et à un accompagnement appropriés. Même si les indemnités sont importantes, la meilleure reconnaissance du travail tient aux conditions qui favorisent le développement professionnel, le travail bien fait dont on peut être fier.
Enfin, la politique d’éducation prioritaire doit être fortement pilotée au niveau central.
Toute l’histoire de la politique d’éducation prioritaire montre que sans pilotage central, cette politique est très inégalement mise en œuvre. Elle doit concerner toute la France, des quartiers populaires où sont concentrées des populations dites « défavorisées » avec un regard fort sur les territoires ultra-marins qui doivent bénéficier de nouvelles avancées. Mais il faut aussi être clair que cette politique ne saurait s’étendre, car si l’on veut une véritable priorité, on sait qu’il faut en rester à 20% du système public avec un renforcement de l’action sur environ 7% (REP+). Le bon usage de l’IPS dont on a beaucoup parlé, parfois de manière discutable (certains se livrent à des classements dont la finalité serait plutôt de favoriser l’évitement tandis que d’autres se contentent de parler des moyennes sans parler du privé et sans rentrer dans la réelle complexité des choses), doit permettre d’y travailler avec rigueur. Le privé qui n’est pas soumis à la carte scolaire et qui choisit ses élèves ne doit pas rentrer dans la carte et tout réseau qui apparaît proche des IPS moyens du public (supérieur à 85- 90) doit sortir de la carte comme c’était prévu en 2019. Cette politique n’a de sens que si elle reste bien centrée sur les écoles et collèges où sont concentrés les élèves des milieux populaires. Les modifications de la carte actuelle ne vont pas de soi tant l’enjeu des classes à 12 et des indemnités les a rendues délicates.
Marc Bablet, pour l’OZP