Accéder à la propriété est un enjeu majeur pour une grande majorité des Français. Autre enjeu majeur, la question de la scolarité et de la qualité des établissements scolaires. Marco Oberti, chercheur à Sciences Po et Quentin Ramond, chercheur à l’institut d’études urbaines et territoriales de l’Université catholique du Chili, ont analysé la relation entre ces deux enjeux pour les habitants de la métropole parisienne (Paris et la petite couronne). « Nous analysons la relation entre l’accession à la propriété et deux dimensions des inégalités scolaires : la distribution des ménages entre les secteurs scolaires et l’offre de collège public et privé de proximité permettant d’activer les stratégies d’évitement » expliquent les deux chercheurs lors du séminaire « Qui peut encore acheter un logement proche d’un bon collège ? Accès à la propriété et sectorisation scolaire dans la métropole parisienne » organisé par l’axe Politiques éducatives du LIEPP.
Évitement et sectorisation
Marco Oberti et Quentin Ramond ont tenté d’analyser la relation entre l’accession à la propriété et la « qualité » de l’offre scolaire en mettant en exergue son évolution au cours du temps. Une recherche qui combine un travail en sociologie urbaine et en sociologie de l’éducation. Les chercheurs souhaitaient mettre en évidence l’inégale répartition des accédants à la propriété entre les secteurs scolaires selon la catégorie sociale et l’offre scolaire attractive de proximité – secteur public et privé dans un rayon de trois kilomètres – à laquelle ils ont accès. Cette étude a comme terrain d’exploration la métropole parisienne où les prix de l’immobilier ont fortement augmenté lors des vingt dernières années, entraînant d’importantes inégalités d’accès à la propriété.
Ils se sont appuyés sur la Base d’informations économiques notariales – qui recense toutes les transactions immobilières – de 2005 et 2015 qu’ils ont croisé avec la carte scolaire de Paris et des départements de la petite couronne et les caractéristiques des collèges. Marco Oberti et Quentin Ramond ont rappelé que Paris et la petite couronne bénéficient d’une politique de sectorisation scolaire. Dans une dynamique d’évitement de cette dernière, les parents peuvent avoir recours à des établissements privés – c’est le cas de 20% d’entre eux – et peuvent faire des demandes de dérogation – c’est le cas de 10%. La ségrégation scolaire y est très élevée, l’indice de dissimilarité entre élèves de milieux très défavorisés et très favorisés est de 0,44 depuis les années 2000. Pour rappel, un indice de dissimilarité est faible lorsqu’il est inférieur à 20% – soit 0,20, un indice modéré est compris en 20 et 30 – soit 0,20 et 0,30, et un indice de ségrégation importante est supérieur à 30%, soit 0,30.
Une corrélation entre le prix de l’immobilier et la qualité de l’offre scolaire
Marco Oberti et Quentin Ramond précisent que l’accession à la propriété et l’école sont deux dimensions centrales de la position sociale des ménages et de sa transmission entre générations. « Il existe une corrélation entre les prix immobiliers et la « qualité » des écoles. Plus les établissements sont attractifs – au sens du niveau des résultats aux DNB, plus le coût immobilier est élevé, écartant ainsi une marge de la population, appartenant pour sa grande majorité aux classes moyennes et populaires » observe Marco Oberti. Leur recherche avait pour ambition de répondre à trois questions. Quels sont les écarts de prix immobiliers entre les secteurs scolaires en fonction de la « qualité » du collège et comment ont-ils évolué ? Comment ont évolué les inégalités d’accès à la propriété entre les secteurs scolaires ? Quelles sont les caractéristiques de l’offre scolaire de proximité pour les propriétaires qui résident dans un secteur scolaire peu attractif ?
Marco Oberti souligne qu’ils se sont appuyés sur une littérature scientifique riche qui faisait déjà état d’une forte corrélation entre ségrégation résidentielle et scolaire. Les meilleurs établissements étant situés dans les quartiers les plus riches et les plus chers. « Notre hypothèse était donc qu’acheter un logement dans un secteur attractif couterait relativement de plus en plus cher ». Une dynamique qui s’accélérait ces dernières années selon lui. « L’accession à la propriété à l’échelle des secteurs scolaires serait de plus en plus inégale socialement » poursuit le chercheur. « Les ménages qui connaissent davantage de difficultés sur le marché du logement achètent dans les secteurs peu attractifs situés à proximité de collèges attracifs – incluant la possibilité d’opter pour le privé pour ces familles. Mais toutes les familles ne possèdent pas les ressources économiques ou culturelles pour mettre en place des stratégies d’évitement telles que les dérogations ou l’inscription dans le privé ».
Un décrochage fort entre les classes supérieures et moyennes/populaires
Et leurs résultats sont sans appel. « En 2006, on constate qu’il y avait une relation positive entre le prix des logements et la qualité de l’offre scolaire » développe Quentin Ramon. « La courbe de 2015 est beaucoup plus inclinée, les logements sont beaucoup plus chers dans les secteurs où l’offre scolaire est attractive. Les prix ont explosé dans ces secteurs. Dans les secteurs où l’offre est de faible qualité, la courbe est plus linéaire, les prix ont raisonnablement augmenté ». Les résultats montrent que les écarts de prix immobilier en fonction de la qualité du collège public local ont augmenté de manière significative. « Par conséquent, les ménages à bas revenus sont de plus en plus exclus du marché de l’accession, et tout particulièrement dans les meilleurs secteurs scolaires, tout comme une frange des classes moyennes qui s’est progressivement reportée sur le marché immobilier dans les secteurs scolaires peu attractifs. Les catégories supérieures ont consolidé leur accès à la propriété dans toute la métropole parisienne, y compris dans les secteurs scolaires les plus valorisés » ajoute Quentin Ramond.
Les chercheurs notent trois tendances. 60% des catégories moyennes-supérieures et supérieures ont consolidé leur capacité d’accession à la propriété dans tous les secteurs. 5 à 10% des classes moyennes inférieures et populaires ont vu leur capacité d’accès à la propriété se dégrader partout dans la métropole parisienne. Pour les classes moyennes constituées des professions intermédiaires, la courbe est en forme de U inversé. « Leur possibilité d’accession à la propriété a fortement diminué dans les secteurs scolaires les plus attractifs. Elles réussissent à se maintenir dans les secteurs peu attractifs ». Les inégalités sociales se sont donc accentuées. « Il faut aussi ajouter que cette hausse des prix a aussi impacté la possibilité d’évitement de la carte scolaire pour les familles de classes moyennes inférieures et populaires puisque dans un rayon de trois kilomètres, elles ne disposent pas d’alternative scolaire – privée ou publique – attractive » ajoute Quentin Ramond.
Une privatisation de l’école publique
Pour les chercheurs, « cette étude montre que la sectorisation scolaire joue un rôle clef dans la reproduction des inégalités sociales, puisqu’elle affecte la qualité de l’établissement de scolarisation des enfants et les possibilités d’accumulation patrimoniale, ce qui pose des défis complexes pour les politiques publiques ». Et les chercheurs vont plus loin, n’hésitant pas à évoquer une privatisation de l’école publique, limitant les perspectives de mobilité sociale. « Cette étude, comme plusieurs autres que nous menons en ce moment, tend à démontrer l’emboitement des échelles dans la lecture des inégalités en général. On cherche à comprendre la puissance relative des mécanismes qui produisent des inégalités très fortes en fonction des opportunités.
Mais ils sont aussi force de proposition. « Il faudrait tenir compte des secteurs scolaires dans la politique de construction du logement social (loi SRU). Aujourd’hui, on centralise les logements sociaux dans des secteurs bien définis. Ces quartiers sont ségrégués. Les écoles accueillent donc peu de mixité ». Et sur le financement des écoles privées, ils ont aussi des propositions fortes. « Il faudrait conditionner le financement du secteur privé à des obligations de diversité sociales et à la sectorisation scolaire ».
Lilia Ben Hamouda